28/11/2022
Précision : Des particuliers m’écrivent pour me demander si ce que leur éducateur a fait avec leur chien, était de l’immersion. Je dois constater que oui, à chaque fois, le chien a été placé dans une situation qui a augmenté considérablement ses angoisses, jusqu’à ce qu’elles atteignent un niveau où il n’a plus eu d’autre choix que d’abandonner l’idée de se défendre ou de fuir. Je dois aussi constater que ces particuliers ne savent pas faire la différence entre immersion et désensibilisation.
Pour vous aider, il y a une manière très simple. Retenez que la désensibilisation progressive (la thérapie à employer) inclue obligatoirement la distance, le temps et la progression.
Si aucune distance n’est mise entre votre chien et le déclencheur, c’est de l’immersion.
Si les déclencheurs sont multipliés (pas de progression), c’est de l’immersion.
Si l’éducateur vous dit que cela ira vite (pas de temps), c’est de l’immersion.
Les notions indispensables qui doivent être présentes et qui peuvent vous aider à faire la différence sont LA DISTANCE, LE TEMPS et LA PROGRESSION. 😉
*** L’IMMERSION ? DITES NON. ***
L’immersion est une technique qui vise à inonder le chien craintif des informations sources de ses peurs, de manière à ce qu’il s’y soumette rapidement, en raison de la quantité des déclencheurs qui s’imposent à lui et donc, par une sur-stimulation émotionnelle. L’immersion consiste à surexposer le chien.
Exemples :
- Le chien qui a peur des humains sera placé à l’attache au beau milieu d’un espace surpeuplé d’humains qui bougent, parlent ou crient (style parking de supermarché, parc public, marché, etc.).
- Le chien qui a peur de ses congénères sera emmené à l’attache dans une balade où il sera entouré de plusieurs chiens.
- Le chien qui a peur des enfants se verra emmené tous les jours à la sortie des écoles où il assistera attaché à une déferlante de petits qui crient, courent et passent tout près de lui.
- Le chien qui a peur des voitures sera promené en laisse courte au bord d’une route passante… etc.
Je pense que vous aurez compris l’idée simpliste qui se trouve à la base de cette méthode. Au-delà du fait qu’elle est à la portée du premier hurluberlu qui passe (et qui pensera avoir eu l’idée du siècle), il serait tout de même sérieux de se demander si intervenir sur les émotions et le comportement d’un être vivant n’exigerait pas un tout petit peu plus de temps, d’arguments, de connaissances solides, en réalité.
L’immersion exclut les émotions du chien. Ses émotions sont multiples, complexes, graduées. Et comme le chien est sensible, elles empirent avec le temps et les expériences mal gérées. Ainsi, une appréhension n’est pas une peur et une peur n’est pas une terreur. Cependant, une simple appréhension peut se transformer en peur, puis en panique, terreur, phobie avec le temps qui passe.
Si vous avez une appréhension de l’eau et que je vous jette dans le grand bain pour vous apprendre à nager, il y a de fortes chances pour que vous en ressortiez marqué et que l’apprentissage de la nage soit ensuite plus complexe. L’appréhension a laissé place à autre chose.
Si vous avez réellement peur des araignées et que je vous enferme dans une pièce qui en est remplie, vous resterez traumatisé.
La difficulté, c’est que la peur décuplée nous paralyse. Elle nous met dans un état de prostration et d’absence totale de réaction lié à la sidération.
Si je vous filme en cet instant précis de grande détresse, je vous montrerai en vidéo que vous êtes désormais capable de rester sans bouger et sans sur-réagir dans un lieu grouillant d’énormes araignées. Votre comportement à ce moment là s’appellera la détresse acquise*.
Aurai-je gagné pour autant?
Allez-vous vraiment me remercier chaleureusement et me payer pour ça ?
Revenons au chien. L’éducateur qui proposera l’immersion pour « vaincre la peur », exigera qu’il reste attaché dans le contexte déclencheur jusqu’à ce que les comportements qui découlent de sa peur disparaissent totalement (tentatives d’évitement, velléités de fuite, élans de survie logés dans la tentative désespérée d’agression et/ou de morsure, cris, contorsions, etc.). Cela prendre du temps ou ira très vite, tout dépendra de la personnalité du chien.
- Est-il fort mentalement ? Dans ce cas, la souffrance sera longue car il se défendra jusqu’à ce qu’il acquiert la conviction qu’il n’a plus aucun rôle à jouer, aucun choix, aucune possibilité d’action, de réaction.
- Est-il plus faible ? Dans ce cas, la torture sera rapide car il abandonnera presqu’immédiatement.
Mais dans les deux cas, le chien est démoli.
Il reste avec ses peurs.
Il ne les exprime plus.
Elles s’entasseront en lui.
Nous serons tranquilles.
Avec notre conscience morale ? Je ne sais pas…
Il ne faut pas oublier que si l’immersion fait disparaître le problème, elle a surtout pour effet de faire s’évanouir chez le chien toute stratégie de défense, toute capacité de réaction face à une situation dangereuse ou effrayante. C’est normal, il est traumatisé. On l’a empêché de fuir. Or, quand on a peur, la fuite est un réflexe essentiel de survie. L’expérience lui laissera une marque à vie et régulièrement, des contextes de son quotidien la lui rappelleront sans que nous nous en apercevions. Lui, il se souviendra aussi que nous étions là et que nous avons laissé faire.
L’immersion est une méthode cruelle et dépassée qui provoque l’état grave de détresse acquise et détruit le lien de confiance avec votre chien. Cet état l’amène à abandonner tout espoir de gérer ce qui lui fait peur. En cela, elle est un procédé non seulement simpliste, mais sans aucune éthique. Dites non.
Audrey Ventura - Cynoconsult
Le livre "Le chien, cet animal qui nous échappe" d'Audrey Ventura est disponible ici : https://bit.ly/3t0W9ED
*Détresse acquise ou impuissance acquise = sentiment d'impuissance permanent qui résulte de l'expérience vécue par un animal humain ou non. Il est provoqué par le fait d'être plongé, de façon durable ou répétée, dans des situations où l'animal humain ou non, ne peut ni agir, ni se sauver. Il s'assimile à la dépression, l’anxiété, et le sentiment de désespoir. L'impuissance apprise a été théorisée en 1975 par Martin Seligman, professeur de psychologie expérimentale puis complétée par Abramson, Metalsky et Alloy, en 1989, sous le terme de « théorie de manque d'espoir ou de désespoir ». Cet état psychologique résulte toujours d'un apprentissage, d'une expérience de l'absence de maîtrise sur les événements. Pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes de la détresse acquise et de ce qui les provoque, lire les expériences du Dr. Selingman réalisées sur trois groupes de chiens. Elles démontrent que quand un chien est soumis à des stimulations inévitables, il renonce à tout comportement d'évitement et se résigne à l'immobilisme. Ce comportement persiste même quand les stimulations inévitables et négatives sont ensuite évitables.
Ci-dessous : Symbolique de la peur à laquelle on ne peut se soustraire.