27/10/2024
Je repartage car je n'aurai jamais de cesse de le répéter : bien que la consigne soit très utile dans certains contextes précis, laisser nos chiens PRENDRE DES INFORMATIONS sur la situation qu'ils sont en train de vivre évite bieeeeen des soucis, l'accumulation de frustration inutile et une explosion potentielle... Si tant est que l'intensité de ce qu'ils sont en train d'analyser soit supportable pour eux!
["tu laisses!", ou les dangers du renoncement systématique]
Clarifions les choses d'entrée de jeu : le renoncement est une compétence que le chien doit maîtriser pour vivre en société (et l'humain également... 😉). Pouvoir se détourner sur demande dans une situation qui l'exige est un gage de sécurité pour tous. Cependant, mes observations de terrain m'ont amenée au constat suivant : les demandes de renoncement, souvent matérialisées par la consigne "tu laisses", sont bien souvent trop systématiques, et relativement mal utilisées, causant des dommages à la relation et à l'équilibre émotionnel du chien. Quelques explications :
🍁Le chien est un animal de nature opportuniste : ses actions sont guidées par les conséquences qui en découlent. Si ces conséquences lui sont bénéfiques, alors le comportement est renforcé, et ses probabilités d'apparition augmentent. Partant de ce postulat, nous pouvons en déduire que :
- les actions sont guidées par des besoins. Sans comblement adéquat des besoins, notre "tu laisses" restera inefficace sur le long terme, même conditionné, même renforcé à la friandise comme c'est souvent le cas. Si le chien est en recherche d'autre chose (prise d'informations, besoin de pister, contact social...), demander un renoncement sans renforçateur adapté au besoin initial s'avérera bancal
- certains comportements déjà très renforcés (citons la prédation, l'agression de distanciation, le vol de nourriture...) vont être extrêmement difficiles à concurrencer avec le renoncement seul. Si celui-ci peut faire partie des apprentissages dans un processus de rééducation comportementale, il est dangereux et illusoire de s'appuyer uniquement sur lui, car il n'apporte pas au chien la conséquence recherchée par l'action initiale. Avant de travailler un renoncement, on va donc privilégier le comblement des besoins (pour que le chien ne cherche plus à produire de comportement considéré "gênant" par l'humain pour le combler de lui-même), la gestion environnementale (qui permettra au chien d'être soumis à un niveau de stimulations moins haut, donc à des réponses comportementales moins intenses), le renforcement de comportements jugés adaptés et pouvant satisfaire les besoins du chien dans un cadre sécurisé
🍁 Dans une situation ambiguë, qui provoque chez le chien des émotions quelles qu'elles soient, analyser la scène par le regard, l'ouïe et l'odorat est parfois essentiel pour l'animal. Demander au chien de renoncer systématiquement et immédiatement à la vue d'un stimulus est malheureusement le meilleur moyen de faire monter la pression dans la cocotte : sans possibilité d'analyser la situation, le chien se retrouve en difficulté pour interpréter les circonstances réelles de ce qu'il vit. Ces difficultés d'interprétation peuvent alors mener à une augmentation de la frustration, de la peur, de l'incompréhension, et donc une flambée des comportements intenses.
Si, à contrario, les émotions du chien explosent lors d'une exposition visuelle, olfactive et/ou auditive trop prolongée, c'est que le degré de stimulation est trop haut : trop proche, trop fort, trop intense.. tout est donc question de dosage et de compréhension du seuil de tolérance de nos chiens.
Un chien placé à une distance suffisante pour lui, à un degré de stimulation tolérable et en sécurité émotionnelle aura de grandes chances de renoncer de lui-même une fois les informations prises et digérées. Ce comportement spontané pourra alors être renforcé par l'humain, augmentant donc la probabilité de le voir se répéter
🍁 L'apprentissage du renoncement sur demande est intéressant pour les situations dites "d'urgence" : croisement trop proche, nourriture laissée au sol, nécessité de s'éloigner rapidement d'une situation dangereuse ou inconfortable. Il peut donc être entraîné avec le chien, en adaptant l'apprentissage au contexte (et donc, le renforçateur). Cependant, il est toujours préférable de developper l'autonomie décisionnelle de nos chiens (les aider à prendre les décisions adéquates dans une situation nécessitant une prise de décision rapide et sécuritaire). Le conditionnement, s'il peut faire la différence entre la sécurité et la catastrophe dans de nombreuses situations, devrait rester une solution palliative, un tuteur que l'on remet en place lorsque le chien est en difficulté pour prendre de lui-même la décision adéquate, et non l'inverse.
De ce fait, si nous nous retrouvons très fréquemment obligés d'avoir recours au "tu laisses" pour sortir le chien d'une situation, c'est que quelques réglages sont nécessaires dans le quotidien : adaptation des lieux de balades (moins de gibier, moins de croisements difficiles, plus grande distance...), mise en longe par alternance dans les lieux trop stimulants et non sécurisés, comblement plus adéquat des besoins...
🍁 Certains comportements, très ancrés chez certains individus, seront excessivement difficiles à contrôler grâce au renoncement sur demande. La prédation, pour ne citer qu'elle, en est l'exemple typique : avez-vous déjà tenté de faire renoncer un chien en pleine action de chasse, lorsque la machine est déjà lancée ?
L'ancrage génétique, le cocktail hormonal délivré par l'action, balayent au vent nos consignes et demandes, aussi solides et renforcées soient-elles. N'y voyons aucune désobéissance ou défaut dans la relation : le chien est un prédateur. Pour atténuer ces comportements, une gestion environnementale rigoureuse et une guidance bien encadrée seront nécessaires, pour modérer l'intensité du comportement et anticiper les situations qui rendront le chien hermétique à toute consigne.
🍁 Cet article n'est en aucun cas un plaidoyer pour le "laisser-faire" en toutes circonstances. Comme mentionné plus haut, il est essentiel pour tout animal humain et non-humain d'apprendre que la frustration fait partie intégrante de la vie, sous peine d'apparition d'une grande souffrance lorsque celle-ci se présentera brutalement. Cependant, l'éducation basée uniquement sur le conditionnement, et le renoncement demandé par l'humain, sans égard pour les besoins réels du chien, est un écueil auquel bien des personnes se heurtent. Les conséquences finissent inévitablement par se faire sentir : le carcan de l'éducation sera bien vite balayé par la capacité de nos chiens à performer ce qu'ils sont génétiquement programmés pour accomplir.
Avant de conditionner, apprenons à les comprendre : chaque individu nous parle à SA façon. Ce n'est qu'en comprenant cela que nous pourrons adapter nos apprentissages de façon à les guider vers plus d'adaptabilité et de résilience
Juliette SASTRE
Yes We Dog - Education & Comportement canin