08/12/2024
[peut-on réapprendre à un chien à prévenir avant d'agresser?]
Comme beaucoup de mes collègues, je rencontre fréquemment des chiens très intenses dans leurs comportements de mise à distance et très peu tolérants à l'égard des intrusions dans leur espace de confort. Cet inconfort peut se traduire de bien des manières, très visibles même pour un oeil non aguerri : aboiements, charges vers l'avant, claquements de dents, pincement, morsure...
Dans l'éthogramme (le répertoire comportemental d'une espèce) canin, l'agression de mise à distance est précédée d'une série de comportements, de postures et de mimiques plus subtils et plus difficilement repérables pour une personne non formée au sujet. Il peut s'agir de bâillements, d'une soudaine posture figée, d'un regard qui se durcit, d'une respiration qui se coupe ou s'accélère, d'une position de queue, de tête, un angle de la colonne vertébrale, d'une tête qui se détourne, d'un blanc d'oeil qui apparaît...
Pour autant que le chien qui produit ces signaux soit concerné, l'individu en face de lui a compris le message qu'il souhaite envoyer. Seulement, pour de multiples raisons (méconnaissance de l'humain du langage corporel du chien, enfants trop jeunes/trop excités/trop distraits pour y prêter attention, trop grande excitation/frustration/socia défaillante du chien en face...), il est fréquent que le message n'arrive pas à destination. Le chien mal à l'aise, apeuré ou en colère devra alors passer à l'étape supérieure pour faire passer son message. En langage humain, cela pourrait donner quelque chose du genre "trop près, va-t-en s'il te plaît", puis "je t'ai dit de partir!", et enfin "dégage !!!".
En fonction de la sensibilité du chien, de sa propension à marquer les expériences négatives, de son tempérament, de son état de santé... ces situations peuvent avoir pour conséquence la réduction, voire la suppression des signaux de prévention. Concrètement, on se retrouve alors avec un chien qui, par exemple, pourra passer d'une position légèrement figée à une morsure tenue avec perforation de la peau, sans signal intermédiaire, en cas de persistance de l'intrusion.
Une fois ce mécanisme compris et repéré chez un chien, comment l'aider à se réapproprier les signaux de prévention indispensables à la sécurité de tous?
🍁 Par une gestion environnementale solide : par principe de renforcement, plus le chien sera soumis à des situations où il devra se montrer très intense dans ses comportements pour se faire entendre, plus ces comportements deviendront fonctionnels et donc ancrés. En d'autres termes, le chien doit être sécurisé et protégé des situations qui le mettent en inconfort, tant qu'une désensibilisation minutieuse n'a pas été effectuée. Cela peut passer par la mise en place de sas de sécurité et barrières à la maison, la transmission de consignes claires et non négociables aux invités et aux enfants, l'évitement systématique de chiens irrespectueux en balade...
🍁 Par un apprentissage approfondi des signaux de communication du chien et une transmission des savoirs à tous ceux qui gravitent autour du chien. Plus nombreuses seront les personnes au fait de la réalité du langage corporel du chien, au plus de morsures pourront être évitées. Pouvoir repérer des signaux aussi subtils qu'un corps qui se fige ou qu'une respiration qui se bloque, et agir en conséquence en s'éloignant ou en mettant fin à une situation problématique, présente un double bénéfice : une mise en sécurité immédiate, et un message clair envoyé au chien "j'entends ce que tu me dis, tu n'as donc pas besoin de m'agresser"
🍁 Par une baisse du stress chronique et environnemental chez le chien. Comme chez tout individu, toutes espèces confondues, un taux élevé de stress dans l'organisme rendra plus difficile l'analyse de certaines situations, la tolérance à la frustration, la gestion de la colère. Il est donc primordial, lorsqu'on souhaite aider un chien à développer son répertoire préventif, de se pencher sur son état de santé, la qualité de son sommeil, le comblement de ses besoins, la nature sécurisante de sa relation avec ses figures d'attachement, la cohérence de son environnement de vie avec son tempérament et ses besoins....
🍁 Par un renforcement systématique des signaux de prévention avant l'agression. Cela fait maintenant plusieurs années que l'on nous martèle qu'il est dangereux de punir ou réprimander un chien qui grogne. Pour aller plus loin, il est même possible d'affirmer qu'il est nécessaire et même VITAL de renforcer le grognement, le retroussement de babines, l'oeil de baleine, le détournement de tête... Pour rallonger la fenêtre de tir nécessaire à une mise en sécurité de tous.
Un exemple concret : suite à plusieurs expériences négatives, Azuki a tendance, lorsqu'il est coincé physiquement (tenu en laisse courte, acculé contre un mur ou contre les jambes de quelqu'un) à agresser très rapidement et avec très peu de signaux préventifs tout chien qui tenterait un contact physique avec lui. Comment suis-je alors parvenue à déconstruire petit à petit ce comportement ?
- dès les premiers signes de malaise, même les plus subtils, j'ouvre la porte de sortie : je libère l'espace autour de lui pour qu'il puisse s'écarter en m'éloignant, en lâchant la laisse, en demandant aux gens de cesser de le coincer (cela arrive souvent lorsqu'il demande du contact à une personne inconnue). Aussitôt la porte ouverte, il choisit alors l'évitement à l'agression : les signaux de mise à distance sont alors renforcés par la possibilité de s'éloigner
- si l'éloignement est impossible immédiatement, alors je renforce les signaux de malaise (dans le cas d'Azuki un corps totalement figé, une posture haute, une respiration coupée et un regard dur) par une commande vocale préalablement conditionnée. Concrètement, Azuki a associé le marqueur "c'est bien!" à un renforçateur agréable (friandise principalement) et l'a généralisé dans plusieurs situations (rappel, tricks, prise d'initiatives...). En lui rappelant un schéma connu dans un moment compliqué, je capture donc le comportement que je souhaite prolonger (le calme avant la tempête...) afin de me dégager du temps pour éloigner moi-même l'intrus ou désamorcer la situation.
Apprendre à lire et écouter nos chiens est absolument primordial pour leur propre sécurité et pour celle d'autrui. Cependant, gardons également à l'esprit que nos chiens ont leurs propres limites et leurs propres affinités. La tolérance d'un chien et sa capacité à modérer sa communication dépendra toujours de nombreux facteurs (notamment le climat de confiance instauré entre lui et l'intrus en question). Le dernier point clé pour aider son chien à communiquer davantage avant d'agresser, est donc la création et l'entretien de liens de confiance.
Juliette Sastre
Yes We Dog - Education & Comportement canin
📷 Sophie Abadie