27/12/2023
*** SOCIALISATION VERSUS IMMERSION - PARTIE 1 ***
Que sâest-il passĂ© pour que la socialitĂ© du chien domestique soit abordĂ©e dans lâimmersion la plus totale, lui faisant perdre progressivement sa nature sociable ? Dans les clubs, les centres dâĂ©ducation, Ă©coles du chiot, chez les Ă©ducateurs indĂ©pendants, dans la pratique des particuliers eux-mĂȘmes, Ă quel moment a-t-on cru que noyer le chien domestique dâinteractions amĂ©liorerait sa socialitĂ© ? Et surtout, quand sâest-on mis Ă croire que lâ « hypersocialitĂ© » Ă©tait un but Ă rechercher ?
- « Je veux que mon chiot soit hypersociable ».
- « Il ne faut pas que votre chiot devienne agressif alors il faut lui prĂ©senter beaucoup de chiens avant sa pubertĂ© pour quâil « sociabilise » (ce qui ne veut rien dire).
⊠Tout ceci en parlant dâun chiot qui, la plupart du temps (car des exceptions il y en a toujours), est sorti de son Ă©levage avec le panel de communication propre Ă son espĂšce. Mais ensuite, les enclos Ă©troits, les parcs urbains, les balades collectives dites « socialisantes », les sĂ©ances de grand nâimporte quoi animĂ©es par des bĂ©nĂ©voles sans formation ni connaissances, les croyances et biais cognitifs des uns et des autres, etc. se sont chargĂ©s de rĂ©duire Ă nĂ©ant sa communication en devenir. NĂ© social, il ne restera pas sociable.
Ainsi, le chien domestique est une espĂšce sociale, mais les individus qui la composent peuvent ne pas ĂȘtre sociables. La plupart des chiens observĂ©s en Ă©tude sont des animaux sociaux devenus peu sociables, ou dont la sociabilitĂ© prĂ©sente beaucoup de lacunes. Les interactions subies par le chien domestique durant sa premiĂšre annĂ©e sont Ă lâopposĂ© de ce quâil aurait dĂ» observer, vivre, connaĂźtre, apprendre, mĂ©moriser. Elles sont le contraire de lâexemple Ă suivre. Et malheureusement pour le jeune chien, lâexemple est trĂšs vite retenu, mĂȘme le plus mauvais qui soit. Et quelques expĂ©riences suffisent pour que lâaltĂ©ration de ses comportements sociaux naturels, stables et normaux soit en marche. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, cette pratique dĂ©viante initiĂ©e par des non-initiĂ©s sâancre de plus en plus pour devenir la norme.
>>> LE CONSTAT
Dans ma pratique, le constat que je fais depuis trop dâannĂ©es, sur de trop nombreux chiens de famille est celui-ci :
- Des chiens qui accourent, sans aucune observation ni rĂ©flexion, Ă la rencontre de tous les autres chiens, au mĂ©pris du risque (en ont-ils seulement conscience?), mais Ă lâarrivĂ©e, ne communiquent pas avec lui. Ils sâagitent, bousculent, sâimposent, et semblent ne pas avoir saisi (ou avoir oubliĂ©) que le contact nâest pas obligatoire pour faire passer un message. Ils passent rapidement Ă un autre chien quâils aperçoivent un peu plus loin, puis Ă un autre qui arrive⊠Le chien assailli ne comprend pas le but de lâassaillant qui papillonne, va et vient dâun chien Ă lâautre, sans aucun dialogue, et sans logique. Il semble rechercher la nouveautĂ©, sans cesse, et sans aller plus loin. Mais ce chien nâagresse rĂ©ellement personne, alors tout va bien.
- Des chiens (en gĂ©nĂ©ral autour de 12 mois Ă 2 ans) qui sâĂ©meuvent fortement Ă la vue du moindre chien quâils aperçoivent au loin, parfois Ă une distance de cinquante mĂštres, voire davantage. Le chien peut rĂ©agir de cette maniĂšre vingt fois de suite en une heure de temps, comme sâil nâavait jamais lâoccasion de rencontrer des chiens. LâĂ©motion de joie est si intense que le chien ne parviendra Ă revenir au calme que si le chien convoitĂ© disparaĂźt de son champ de vision (et parfois, cela ne suffira mĂȘme pas). La joie devient parfois crise dâeuphorie. Si on dĂ©tache ce chien au stade premier de la joie, il fonce sur lâautre, et communique trĂšs mal. Il bouge beaucoup, multiplie les invitations au jeu dâune maniĂšre immature et brouillonne, pour finalement devenir frustrĂ© de constater que le congĂ©nĂšre nây rĂ©pond pas favorablement. Il reste clair sur son dĂ©sintĂ©rĂȘt, mais il nâest pas compris par le chien « joueur » qui nâa jamais mordu personne donc tout va bien.
- en libertĂ©, des chiens qui foncent sur les autres chiens croisĂ©s, tournent autour dâeux, pattes antĂ©rieurs Ă lâoblique, en courbette dâimposition. Le chien assailli rĂ©pond par des charges cherchant Ă imposer la distance, mais lâassaillant poursuit son comportement harcelant de contrĂŽle, faisant alors dire Ă ses humains « il veut juste jouer, il est hypersociable ». Donc tout va bien.
Mettons-nous au clair une fois pour toutes, quitte Ă nous rĂ©pĂ©ter : lâhypersocialitĂ© est un trouble comportemental qui peut revĂȘtir plusieurs causes, mais ce nâest sĂ»rement pas une vertu. Quand « hyper » est placĂ© devant un comportement, cela signifie quâil est hypertrophiĂ©. Le comportement va sâexprimer sans phase dâarrĂȘt, ou avec beaucoup trop dâintensitĂ©, ou de maniĂšre beaucoup trop rĂ©pĂ©tĂ©e, et parfois les trois. Ce comportement dĂ©viant est soit appris, soit gĂ©nĂ©tique, soit gĂ©nĂ©tique et aggravĂ© par la pratique environnementale. Il peut aussi ĂȘtre mĂ©dical. Mais je dois constater que la plupart du temps, il suffit de refaire lâanamnĂšse et dâĂ©tudier les conditions dâĂ©levage pour savoir que ce comportement dĂ©viant a Ă©tĂ© enseignĂ© par lâadoptant et lâĂ©ducateur professionnel ou non, rĂ©pĂ©tĂ© et retenu comme la norme par le trĂšs jeune chien qui apprend surtout par mimĂ©tisme. Quels exemples lui a-t-on montrĂ©s et Ă quelle frĂ©quence pour quâil les prenne pour la base ?
Le chien domestique est le seul Ă se comporter de cette maniĂšre. Il est donc intĂ©ressant de sâinterroger sur les raisons dâune telle socialitĂ© en marge de celle que lâon peut observer dans le reste du monde canin.
>>> LES CONTRADICTEURS
Jâai passĂ© beaucoup de temps cette annĂ©e Ă discuter, et parfois Ă discuter de maniĂšre tendue, avec des professionnels, et des bĂ©nĂ©voles totalement dĂ©complexĂ©s, qui pensent que les cours chiots ne comptant que des chiots, les balades collectives dites « socialisantes », les sĂ©ances dâĂ©ducation en groupe qui consistent Ă confronter des chiens dans des enclos toujours exigus, sont tout ce quâil y a de plus normal, admis, naturel, et lĂ oĂč je bondis, « Ă©thologique ».
On invente que lâĂ©thologie du chien domestique est « spĂ©ciale ». Or, elle nâest pas spĂ©ciale, elle est altĂ©rĂ©e, et ce nâest pas la mĂȘme chose. On base donc son travail sur des altĂ©rations sociales, et on biaise le rĂ©sultat pour le dĂ©finir comme la normalitĂ©. On prĂ©tend que pour comprendre le chien domestique, il faut nâobserver que lui. Ainsi, les recherches des Ă©thologues sur les chiens libres de la planĂšte sont indignes de lâintĂ©rĂȘt de ceux qui, non contents de sâĂȘtre placĂ©s au centre de tout, imposent dĂ©sormais leur propre chien dĂ©viant comme la norme.
Ce « pet-centrisme », pour reprendre lâexpression forte de sens du professeur Deputte, chercheur Ă©thologue au CNRS, devrait apparemment devenir la base dâanalyse des comportementalistes. Certains iront mĂȘme jusquâĂ nous demander pourquoi un Ă©thogramme spĂ©cial du chien domestique nâa pas encore Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©. Le jour oĂč nous nous concentrerons sur le chien domestique pour Ă©tudier et stabiliser les comportements troublĂ©s du chien domestique, ledit chien domestique sera totalement perdu. Dans ses Ă©crits et confĂ©rences, Bertrand Deputte affirme quâ « il est Ă©vident que les travaux scientifiques portant sur la socialitĂ© du chien ne peuvent ĂȘtre menĂ©s que sur des chiens libres, en dehors de toutes contraintes et interventions directes humaines ».
Lors de sa derniĂšre confĂ©rence sur la socialitĂ© du chien, il dĂ©clara avec humour que la difficultĂ©, quand on veut faire des recherches sĂ©rieuses sur le chien, câest que tout le monde est spĂ©cialiste du chien, sauf ceux qui cherchent. Apparemment, lâĂ©vidence Ă©thologique doit encore ĂȘtre dĂ©montrĂ©e, puisque nous sommes tombĂ©s dans une Ăšre dĂ©complexĂ©e, oĂč les chercheurs et professionnels formĂ©s, expĂ©rimentĂ©s, documentĂ©s, en recherche perpĂ©tuelle dâune meilleure comprĂ©hension du chien, doivent se justifier face Ă des bĂ©nĂ©voles ou des profanes qui sâautorisent Ă donner des conseils Ă des particuliers qui les Ă©coutent aveuglĂ©ment, mais qui exigeront des premiers leurs sources, des Ă©tudes faciles Ă lire et en français sâil vous plaĂźt, avec des « preuves scientifiques irrĂ©futables », car non contents de ne rien savoir, ils sont fainĂ©ants.
>>> SUR LA SOCIALITĂ DU CHIENâŠ
Qui veut en apprendre sur la socialitĂ© du chien, lit Deputte ou Bonanni ou Coppinger (pour ne citer quâeux). Câest le moindre des prĂ©alables pour se permettre de donner des conseils avec autoritĂ© Ă des personnes qui en savent parfois plus que celui qui les donne, ou de contredire des Ă©vidences scientifiques, sans aucun autre argument que « moi mon chien ». Ăvitons aussi de comparer lâĂ©thologie humaine Ă lâĂ©thologie canine, câest une aberration totale. AprĂšs le « pet-centrisme », place Ă lâanthropocentrisme, voilĂ oĂč en est lâĂ©thologie canine des spĂ©cialistes du « moi mon chien ».
B. Deputte nous interroge :
« Pourquoi se poser la question de savoir si le chien est une espÚce sociale ? Pour plusieurs raisons :
- On entend encore trop souvent des affirmations pĂ©remptoires stipulant que le chien ayant le loup pour espĂšce-mĂšre, il en possĂšde la mĂȘme structure sociale.
- Le terme social est utilisĂ© Ă tort et Ă travers, totalement galvaudĂ©, ce qui conduit Ă©videmment Ă sâinterroger sur la connaissance du concept de socialitĂ©.
- Alors que le chien vit dans une grande diversitĂ© de conditions Ă©cologiques, le « pet-centrisme » reprĂ©sente actuellement la situation la plus artificielle que puisse vivre le chien, mĂȘme si elle reprĂ©sente dans certains pays industrialisĂ©s, la situation majoritaire ».
Non, le chien nâest pas un animal qui se regroupe spontanĂ©ment avec tous les siens pour se promener « en meute ».
Non, le chien ne vit pas dans le mĂȘme systĂšme que le loup car câest son ancĂȘtre.
Non, le chien nâest pas une espĂšce qui passe son temps libre Ă jouer avec les siens quand les ressources ne manquent plus (affirmation des plus fantaisistes visant Ă justifier la pratique non Ă©thologique du regroupement rĂ©gulier ou le comportement obsessionnel du chien qui veut aller « dire bonjour » au moindre congĂ©nĂšre quâil aperçoit).
Non, le chien nâest pas un ĂȘtre social qui aime tous les autres individus de son espĂšce.
Et non, le chien domestique nâest pas un att**dĂ© mental qui croit que tous les chiens domestiques de la planĂšte sont ses amis. Mais il est accompagnĂ© dâun humain qui croit que tous les chiens sont amis entre eux. Ce biais se rĂ©percute irrĂ©mĂ©diablement sur ses comportements. Câest une dĂ©viance qui nâest visible que chez le chien domestique. Tant que nous nâen aurons pas conscience, on nâavancera pas.
Lâexpression du caractĂšre social est dâune grande flexibilitĂ©, variabilitĂ©, tout comme les milieux dans lesquels on le trouve, « depuis des individus solitaires, jusquâĂ des groupes cohĂ©rents, polygynes et de petite taille, en passant par des groupe opportunistes Ă lâapparence dâun systĂšme social lĂąche (cf McDonald & Carr 1995). Il est aussi trĂšs souvent rapportĂ© lâexistence de nombreux chiens solitaires, en plus de groupements, manifestation dâun caractĂšre social (Italie - McDonald & Carr 1995, Ethiopie - Ortolani et al. 2009, Ile Maurice - Obs. pers.). Mais rien nâest jamais systĂ©matique, rĂ©pĂ©tĂ© Ă lâextrĂȘme, au point dâen Ă©tablir une norme simpliste quâil faudrait appliquer Ă toute lâespĂšce.
Alors pourquoi tenons-nous autant à regrouper les chiens, et à les appréhender en collectivité, au mépris de leur individualité ?
Le Pr. Bonnani nous parle des dynamiques complexes observĂ©es dans la vie des chiens libres et domestiques, et des grandes diffĂ©rences de communication qui apparaissent, Ă cause de lâinfluence de l'homme. Il nous montre la communication des chiens d'un point de vue gĂ©nĂ©tique, environnemental et social, et ce que le chien domestique a perdu ou acquis Ă cause de la sĂ©lection et de la coexistence avec les humains. Pour Ă©tudier le comportement social intraspĂ©cifique particulier du chien domestique, il met en Ă©vidence des paramĂštres comme le contrĂŽle de l'homme, le facteur race et sĂ©lection, les mĂ©thodes coercitives dâĂ©ducation, les croyances, etc. Pour aider au mieux le chien domestique, il affirme que la connaissance de la vie des chiens errants et libres nâest pas une option.
Jamais le chien domestique ne devrait constituer une base dâĂ©tude et de comprĂ©hension pour aider le chien domestique.
Câest le serpent qui se mort la queue.
Câest ratisser par le bas.
Câest partir dâun problĂšme pour considĂ©rer quâil est la solution.
Et ce nâest pas une raison pour comparer lâĂ©thologie du chien Ă celle du loup. Le seul vecteur dâobservation et de comprĂ©hension valable reste celui du chien libre. Ici, « lâattitude de ceux qui affirment des convictions fantaisistes est bien plus proche dâun mensonge quâon se fait Ă soi-mĂȘme de façon Ă satisfaire un dĂ©sir cachĂ©, autrement dit, un dĂ©ni », Tisseron nous invite Ă nous interroger au plus profond de nous-mĂȘme sur la raison pour laquelle nous tenons tant Ă nos croyances.
Ici, pourquoi est-ce si important pour lâhomme que son chien soit « trĂšs sociable » ? Que dit-il quand il recherche cette extrĂ©mitĂ© ? Que provoque-t-il quand il poursuit un tel objectif aussi peu naturel ? QuâĂ©vite-t-il quand il justifie les comportements sociaux dĂ©viants de son chien ? Une large part des troubles sociaux que jâobserve chez le chien domestique sont logĂ©s dans lâaltĂ©ration de la socialitĂ© du chien domestique par lâhomme lui-mĂȘme. Le chien est nĂ© social. Nul besoin dâen rajouter, au risque de tout gĂącher. ArrĂȘtons le massacre. Cessons lâimmersion sociale.
Audrey Ventura / Cynoconsult
ACTUALITĂ
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DOCUMENTATION (la majeure partie se trouve dans les bibliographies des livres dâAudrey Ventura).
Deputte, B.L. 2010. Ecologie et socialité du chien. In Comportement et éducation du chien (T. Bedossa, B.L. Deputte, eds.), Educagri, Dijon. Pp. 319-354.
Le chien, Canis lupus familiaris : une espĂšce sociale ?, B. Deputte, professeur Ă©mĂ©rite Ă lâĂ©cole nationale vĂ©tĂ©rinaire de Maison Alfort, r***e scientifique (extrait), 2019.
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R. Bonanni. Il comportamento sociale del cane domestico. Rozzano (MI) â 20-21 Febbraio 2016 â Seminario ad unico relatore della durata di 18 ore complessive distribuite in due giornate, organizzato da âDog Soulâ.
R. Bonanni. Il comportamento sociale del cane domestico. Cerignola (FG) â 27 Febbraio 2016 â Seminario ad unico relatore della durata di nove ore, organizzato da âGli Amici di Baltoâ Ass. Animalista
http://www.robertobonanni2015.com/