22/08/2024
LE CHIEN, CATALYSEUR DES PEURS HUMAINES
Aimer les animaux et aimer lâanimalitĂ©, ce nâest pas du tout la mĂȘme chose. Dans ces deux rĂ©alitĂ©s distinctes, câest la condition humaine qui est questionnĂ©e. Pour pouvoir accueillir lâanimalitĂ© du chien, il est bon que lâhumain ait conscience de la sienne. Or, il est la seule espĂšce Ă croire quâil nâest plus un animal et quâil nâa plus besoin de lâenvironnement naturel. La nature est parfois mĂȘme un ennemi Ă combattre, Ă contrĂŽler.
Dans lâamour de lâanimalitĂ© sont intimement logĂ©es les notions de rusticitĂ©, de libertĂ©, de connaissance et de respect des besoins de lâespĂšce quâon affirme aimer. Or, au regard du degrĂ© dâanthropocentrisme qui parasite la vie du chien, on comprend surtout que souvent, nous aimons lâidĂ©e de possĂ©der un animal, mais beaucoup moins celle de sâadapter Ă lui et de rĂ©unir les conditions de son bien-ĂȘtre.
LâanimalitĂ© du chien dĂ©range.
- sa communication est mal connue, et lâon voudrait souvent quâelle corresponde Ă nos clichĂ©s et nos interprĂ©tations, qui rassurent nos croyances.
- les besoins du chien sont perçus comme pénibles, salissants, inutiles ou idiots.
- le chiens de notre sociĂ©tĂ© doit ĂȘtre poli, polissĂ©, politiquement correct, propret, prĂ©sentable, bien Ă©duquĂ©, et surtout, obĂ©issant.
On aurait de plus en plus tendance Ă calquer sur le chien de famille le modĂšle Ă©ducatif de nos enfants (qui est loin dâĂȘtre une rĂ©fĂ©rence). Ainsi, de la mĂȘme maniĂšre que dĂšs le plus jeune Ăąge, le petit dâhomme devra faire preuve de compĂ©tences, dans certains pays (comme la Suisse), on envisage lâinstauration de tests obligatoires pour tous les chiens, travail ou pas, catĂ©gorisĂ© ou pas. Dans cette idĂ©e, plusieurs Ă©preuves seraient imposĂ©es, du « assis » au « pas bouger », en diverses circonstances, toutes moins naturelles les unes que les autres. Ces tests ne sont Ă©videmment prĂ©dictifs de rien, et certainement pas de lâĂ©ducation du chien, de son adaptabilitĂ©, ou de sa stabilitĂ©.
Que nous apprennent ces lubies de « tests obligatoires » sur les humains qui les ont ? Que lâobĂ©issance les rassure, surtout quand ils sont inexpĂ©rimentĂ©s et peu confiants dans leur rapport Ă lâanimalitĂ©. Cela indique aussi la propension dĂ©sastreuse de lâhomme moderne Ă exĂ©cuter, sans se questionner, des pratiques dĂ©suĂštes, et Ă en faire la publicitĂ©. Câest le fameux « ça a toujours existĂ© », alors ne prenons pas la peine dâentrer en rĂ©flexion sur ce que lâon demande Ă nos chiens, ou Ă nos tout-petits.
Ils doivent obĂ©ir, un point câest tout, parce que nous croyons que lâobĂ©issance et lâĂ©ducation sont des synonymes.
Câest donc lâanimalitĂ© du chien quâil faut mettre sous contrĂŽle - plutĂŽt que de la comprendre - alors mĂȘme que la plupart des humains qui prĂŽnent lâobĂ©issance comme fer de lance de lâĂ©ducation, mĂ©connaissent lâĂ©thologie. Le problĂšme reste que, la peur doublĂ©e dâinexpĂ©rience induit les pires comportements, conduites, rĂ©ponses, croyances, et que tout cela aura un impact inĂ©vitable sur les comportements des chiens. Et ce sera toujours de leur faute, puisque que, non contents de ne pas avoir grand-chose, il nous est trĂšs difficile de nous remettre en question.
Le contrĂŽle câest la nĂ©gation mĂȘme de lâanimalitĂ©.
Notre sociĂ©tĂ© est de moins en moins adaptĂ©e au chien et Ă lâenfant, tel le pense vraiment. Il y a bien longtemps que notre environnement, surtout celui des grandes villes, ne favorise plus lâĂ©thologie de qui-que-ce-soit. Nous avons tous cette image magique du parc canin anxiogĂšne, inaugurĂ© en grandes pompes par des Ă©lus qui se gargarisent de leur initiative "Ă lâintention de nos amis les chiens". Comment lâĂ©thologie pourrait-elle ĂȘtre respectĂ©e dans une sociĂ©tĂ© qui encourage autant la promiscuitĂ©, lâimmĂ©diatetĂ©, lâobĂ©issance bĂ©ate, lâabsence de vague, et qui voit dâun trĂšs mauvais oeil le naturel, la libertĂ©, le dĂ©saccord ou la colĂšre, comme sâil fallait tout accepter. Dans cette dynamique hypocrite, les chiens sont en libertĂ©... dans des parcs mal pensĂ©s, et trop Ă©troits.
De lâautre cĂŽtĂ©, malheureusement Ă lâextrĂȘme, jâobserve un grand besoin de rĂ©volte, exprimĂ© dans la maniĂšre dont chiens et enfants sont absolument non-Ă©duquĂ©s, non adaptĂ©s. Câest le paroxysme inversĂ©. Ici, la libertĂ© semble ne devoir souffrir dâaucune limite. La parole de lâautre nâa pas dâimportance. Les rĂšgles doivent voler en Ă©clat, sans respect pour rien ni personne, au prĂ©texte dâune libertĂ© qui nâen a que le nom, de lâĂ©thologie-Ă -ma-façon, et dâune soit-disant psychologie qui prĂŽne le laisser-faire absolu par peur de la frustration.
Alors, quand les humains et les chiens dĂ©crits au dĂ©but de ce texte, rencontrent ceux que je dĂ©peins maintenant, câest la guerre assurĂ©e.
Le juste milieu est-il possible?
Pour espĂ©rer lâatteindre un jour et toucher du doigt la nuance qui rend agrĂ©ables les discussions et les rencontres, il faut connaĂźtre les bases, et se forger une expĂ©rience en se posant sans cesse des questions. Câest le principe de lâĂ©volution et de la remise en cause constantes, celles qui nous Ă©vitent la caricature, les recettes toutes faites, qui nous empĂȘche de suivre les sons de cloche qui nous rassurent, et que nous avons tendance Ă rĂ©pĂ©ter un peu trop bĂȘtement. Câest ce qui nous protĂšge des extrĂȘmes, tout simplement.
Les professionnels compĂ©tents, les auteurs, les scientifiques, tous les humains en gĂ©nĂ©ral, Ă©voluent dans leurs connaissances et leur pratique tout au long de leur vie, et câest bien normal. Remettre en question sa propre pensĂ©e est une expĂ©rience saine et vivifiante. Il nâest par contre absolument pas rassurant, de constater quâen une ou deux dĂ©cennies, aucun changement, aucun rĂ©tropĂ©dalage, aucune prise de conscience, mĂȘme infime, nâa existĂ© chez quelquâun.
Ainsi, en France, beaucoup de professionnels ont dâabord oeuvrĂ© en mĂ©thode traditionnelle et coercitive, pour un jour changer radicalement dâavis, contrairement aux imbĂ©ciles, comme le dit lâexpression. Et c'est une bonne chose.
Mais souvent, quand on change dâavis, on tombe dans lâextrĂȘme inverse.
Alors, de la coercition au laxisme, nous parviendrons un jour Ă trouver la mesure.
Espérons-le.
Je le dis et le répÚte, comme le veut la pédagogie :
Non, le chien nâa pas tous les droits, juste parce que nous sommes devenus opposĂ©s Ă lâobĂ©issance, ou adeptes de lâĂ©ducation positiviste.
Non, les chiens ne sont pas tous malheureux, maltraités, ou soumis, juste parce que nous avons décidé de consacrer notre vie à les protéger.
Non, lâhomme nâest pas forcĂ©ment un tortionnaire, un maniaque du commandement, ou un tyran dĂ©saxĂ©.
Et non, lâhomme ne doit pas sâestimer libre de tout, juste parce quâil a besoin dâexprimer quâil est en dĂ©saccord avec les rĂšgles de sa sociĂ©tĂ©.
Nâutilisons jamais le chien pour faire passer un message Ă qui que ce soit. Si nous recherchons ardemment une libertĂ© que vous nâavons pas encore trouvĂ©e, commençons par nous comporter comme nous ne lâavons jamais fait : dans le respect de lâautre. Nos chiens nâont rien Ă voir dans tout ça. Et ce sera le dĂ©but dâun vrai changement, sans autoritarisme, ou misĂ©rabilisme, mais sans laxisme non plus.
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- "Mon chien, mon coach et moi" est disponible ici : https://shorturl.at/cFIV1
- "Le chien, cet animal qui nous Ă©chappe" d'Audrey Ventura est disponible ici : https://shorturl.at/afMNQ