22/02/2024
LA MAGIE DE LA SITUATION RÉELLE MAÎTRISÉE
Exemple de la frustration.
Que nous ayons un chiot ou un chien adulte, qu’il soit réactif ou pas, il serait souhaitable pour nous tous de comprendre que leur intelligence émotionnelle ne pourra se développer qu’en situation réelle gérée par nous, leur gardien. Les neurosciences nous ont démontré il y a longtemps que le cerveau du chien (comme celui de l’enfant), ne mature que dans une expérience sereine de l’environnement réel. Ainsi, les environnements artificiels visant à entraîner artificiellement notre chien à la tolérance d’une frustration artificielle elle aussi, se révèleront « gadgets » et inefficaces.
La mise en scène d’ « exercices d’autocontrôle » avec le chien, dans le salon ou le jardin, est monnaie courante sur les réseaux. Ainsi, pour travailler l’acceptation de la frustration, des situations de frustration sont générées par le gardien avec de la nourriture ou des jouets, afin de placer sciemment le chien en situation de gérer l’émotion avec laquelle il est en difficulté (souvent la frustration).
>>> C’EST UNE MAUVAISE IDÉE...
D’abord, aucun encadrement respectueux ne devrait tolérer qu’un chien soit sciemment placé dans une situation difficile pour pouvoir l’entraîner. C’est le mettre en échec, ce qu’une situation réelle maîtrisée ne cherchera jamais à faire. Cette mauvaise habitude va même amener certains gardiens à nous demander parfois de créer dans nos séances des situations artificielles autour de la frustration, afin qu’ils apprennent à la gérer. « Artificiel » signifie que l’émotion du chien va être provoquée pour que son gardien puisse avoir l’impression de la contrôler, et se rassurer.
+ Quid du chien dans tout ça ? +
- Soit le gardien est inquiet car il affirme que son chien ne sait pas accepter la frustration à tous les coups. Le fameux « ce n’est pas encore parfait ». Je lui réponds que son chien est en cours d’apprentissage et que la perfection n’est pas sur Terre. On ne le répétera jamais assez : Trois réussites isolées en contexte réel sont bien meilleures que beaucoup de réussites et d’échecs successives, surtout en situation artificielle.
- Soit le gardien craint de mal gérer lui-même et d’amener son chien à la « faute ». Je lui réponds qu’il apprendra lui aussi en situation réelle, en même temps que son chien, et que l’on ne parle jamais de « faute » lorsque l’on traite des émotions.
Si travailler le « coucher » en milieu artificiel n’entraîne certainement pas un chien à rester calme en situation réelle pour des raisons d’absence de rapport entre les deux situations, faire accomplir des « exercices d’autocontrôles » hors contexte, n’aide pas du tout le chien à mieux vivre ses émotions en situation réelle. Le chien ne peut pas faire le grand écart entre ces deux situations, alors que beaucoup de gardiens continuent de croire qu’il s’agit de la même chose !
Les « exercices d’autocontrôles en situation artificielle » ne servent qu’à deux choses :
- Occuper le chien via une interaction qui peut s’avérer sympathique pour certains chiens et d’un ennui mortel pour d’autres. Pourquoi pas, Mais ne nous leurrons pas sur l’issue.
- Rassurer le gardien qui parvient à remuer un chiffon sur le sol de sa cuisine sans que son chien bouge, ou à poser un monticules de friandises sur sa table basse du salon sans que son chien y touche, ou à jeter une b***e dans le jardin sans que son chien la poursuive, à obtenir un « coucher pas bouger » de cinq minutes dans sa cour, etc.
Ce n’est pas un problème en soi, à condition évidemment que le chien apprécie réellement d’accomplir des exercices qui installent le contrôle de son gardien sur son comportement. Il en existe. Mais d’autres chiens s’exécuteront de fort mauvaise grâce, et là, c’est la relation qui s’abîme.
Le problème devient réellement le nôtre (nous, les professionnels qui, comme le chien, ne comprenons pas le rapport entre cette pratique et la gestion des émotions) à partir du moment où le gardien nous demande :
« Pourquoi mon chien est-il capable de rester couché face à une b***e qui roule devant lui dans mon salon (même très vite), mais pas face à une poussette ou à un chat ? ».
« Parce que votre chien s’est conditionné au lieu, à votre exercice, et à son issue positive pour lui. »
« Parce qu’il a bien compris ce qu’il a à tirer de cette situation ».
« Parce que dans votre salon, ses instincts sont en sommeil, et le rendent disponible à tout ce que vous voulez ».
« Parce que vous vous placez dans une situation qui vous conforte personnellement, mais ne vous apprend pas du tout à gérer l’environnement extérieur. »
Etc.
Lorsque le gardien propose cette activité, en aucun cas il n’aide son chien à développer son adaptabilité à l’environnement réel (si problème d’adaptabilité il y a). Ici, l’environnement réel reste le grand absent de l’équation. Croire qu’un jour ce chien-là cessera de poursuivre les trottinettes et les joggers parce qu’on fait rouler devant lui des b***es en plastique est un peu naïf, et fait perdre beaucoup de temps à tout le monde. Je ne parle évidemment pas des chiens qui n’ont aucun patron-moteur génétique envahissant et dont on nous racontera que c’est grâce à ce genre d’exercices que le patron-moteur de poursuite ne s’exprime pas (n’importe quoi).
Si le chien est conduit par sa génétique et son instinct, s’il peut faire le rapport direct entre les contextes réels, le panel de conduites dont il dispose, et le bien-être qu’elles peuvent lui procurent à la hauteur de sa motivation, les émotions sont accueillies sans trop de mal et le chien devient plus mesuré. Par contre, il ne faut pas croire qu’un comportement très contextualisé (dans le salon ou le jardin) sera généralisé par ce chien à l’environnement extérieur. Si l’on ne veut pas que ce chien se conditionne bêtement à un seul contexte, cessons de ne contextualiser qu’à une situation totalement artificielle.
« Pourquoi ai-je l’impression que la frustration de mon chien a empiré depuis que j’ai démarré les entraînements quotidiens autour de sa difficulté à gérer sa frustration ? »
« Parce que c’est ce qui se passe vraiment. »
« Parce que vous êtes dans le contrôle d’une émotion excessive qui aurait pu se réguler dans un contexte naturel, avec le temps et la maturité ».
« Parce que la répétition quotidienne et artificielle de la survenance de cette émotion excessive a fini par l’ancrer ».
« Parce que votre chien vit des frustrations excessives et répétées par cette pratique ».
« Parce que votre besoin de contrôle et de rassurance empire l’intensité et l’incidence des comportements liés à la frustration ».
Ici, il ne s’agit en rien des autocontrôles du chien, mais seulement du besoin de contrôle de l’être humain. Le contrôle nous dirige toujours vers les voies que l’on voulait éviter.
>>> QUE FAIRE ALORS ?
Commençons déjà par comprendre que l’excitation et la frustration sont des émotions normales, et détendons-nous. Elles sont présentes chez tous les êtres vivants, par opposition aux morts, et surtout chez les jeunes individus en puberté. Aussi, serait-il souhaitable de ne pas paniquer à la seconde où un chien s’énerve, s’excite, exprime sa joie ou sa colère. Il est tonique. Il est la vie. Il est sensible. Vouloir empêcher ça, c’est le rendre fou. J’insiste là-dessus parce qu’il existe une croyance qui semble répandre doucement l’idée que le chien ne doit jamais sortir de son calme, jamais s’exciter, comme s’il était un maître du zen, ou un mollusque sans répondant, ni élan vital. Un chien, ça bouge, et ça s’excite. Les chiens ont été sélectionnés sur cette force vitale, cette motivation énorme qui devait à la base nous être utile. Donc, on ne peut pas demander au chien domestique de rester calme et serein en toutes circonstances. En êtes-vous capable ?
L’essentiel restera que le chien parvienne à revenir au calme facilement après s’être frustré ou énervé, et tout ça de lui-même ou sur la demande de son gardien de ne pas insister, de renoncer, de se résigner car « non, ce que tu veux là maintenant, n’est pas possible, et c’est la vie ».
L’intelligence émotionnelle d’un chien se développe en milieu réel maîtrisé. Avec cette phrase, presque tout est dit. Ainsi, pour que le chien puisse mieux vivre ses émotions, il a besoin que cette compétence soit induite par les contextes qu’il vit réellement, pas par des exercices. Donnez au chien une expérience neutre et agréable de l’environnement réel, et vous aurez un chien qui se montre plutôt indifférent et agréable dans cet environnement. Cela ne veut pas dire qu’il ne ressent plus rien, et qu’il ne s’énervera ou ne se frustrera jamais. Cela veut dire qu’il a maturé, et qu’il sait que parfois, c’est non.
Les chiens, réactifs ou pas, ne devraient pas être encadrés dans un hangar, un salon, un jardin ou un parc qui les conditionne. Seule la gestion environnementale en milieu réel peut les aider et elle induit :
- L’expérience neutre de l’environnement réel grâce à la distance et au respect de la proxémie du chien (personnelle à chaque individu).
- L’observation sereine et l’analyse ininterrompue de cet environnement et de ses déclencheurs.
- Le droit de choisir son comportement, la manière de s’adapter.
- Les pauses qui favorisent le retour au calme ou évitent que la pression monte.
- La prise ininterrompue d’odeurs au sol. Certains chiens ne feront que ça, tellement cette compétence les aide sur tous les plans.
- La réorientation dans une b***e à mâchouiller, un tug à mordre et/ou secouer, une activité à haut niveau de motivation afin de permettre au chien de décharger son émotion avec l’aide de son gardien.
- L’anticipation des montées fortes en pression (déjà bien identifiées) afin de les éviter au bon moment, celui où le chien est capable de redescendre seul en émotion.
- La patience, l’accompagnement, le soutien.
- L’évitement par la proposition de salutaires demi-tours face au déclencheur et de changements de trajectoires.
- Les conseils de votre coach personnel.
Etc.
Enfin, les adeptes du systématisme qui vous diront que les b***es et les frisbees sont interdits car ils excitent les chiens, que les tugs sont interdits car ils rendent les chiens mordeurs, que les friandises sont prohibées parce qu’elles rendent le chien débile, que l’évitement et la distance sont des solutions de facilité face à un problème, qu’un chien équilibré doit rester calme quoiqu’il advienne, etc. ne vous aideront pas, et n’aideront jamais votre chien à vivre ses émotions (puisqu’elles sont visiblement reniées). Ne perdons pas de vue que les chiens sont issus de races sélectionnées pour l’utilité, et qu’accueillir la frustration, c’est aussi permettre au chien de faire quelque chose de mieux, en parallèle de se résoudre à ne rien faire. Dans ce juste milieu, il n’est pas envisageable et éthique de retirer au chien et à son humain d’attachement de quoi nourrir sa génétique et ses besoins fondamentaux. C’est méconnaître le phénomène des patrons-moteurs si présents chez le chien domestique, et la définition même de la frustration en psychologie.
Cynoconsult / Audrey Ventura
*** ACTUALITÉ ***
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