21/03/2022
La dominance : un sujet mal compris de l’humain mais très bien expliqué dans ce post !
[Technique cavalier : La position de dominant et la hiérarchie chez les chevaux n’existent pas]
Je ressors pour l’occasion une photo prise par Laurence Perceval en 2018 de Bashshar avec Kharish Adhem Sharif.
Loin d’une confrontation pour établir une quelconque hiérarchie, on a ici un simple comportement d’expression d’un stress (de séparation en l’occurrence) en duo. Bashshar s’étant nettement amélioré dans sa gestion de la frustration depuis, il n’exprime plus le même comportement de très haut stress lorsqu’il est séparé de ses juments.
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Définition : Un comportement de dominance est l’expression d’une compétition dans l’accès aux ressources limitées entre 2 individus d’une même espèce.
Autrement dit, un comportement de dominance est un comportement TRANSITOIRE qui exprime une différence de motivation d’accès MOMENTANÉE à une ressource présente en quantité limitée.
Encore autrement dit, un cheval qui exprime un comportement agressif de manière répétée sans qu’il n’y ait une ressource particulière à protéger n’est pas dominant : il exprime un MAL-ÊTRE.
Exemple en pratique : de manière générale, Bashshar et Habibi sont très motivés pour accéder au seau d’aliment, tandis que Mag n’en a rien à faire. Si je pose un seul seau d’aliment, je sais que si les 3 sont présents, chacun va adopter un comportement qui exprime sa motivation. Je verrais Mag partir tranquillement pendant que Bashshar et Habibi entreront dans une escalade de comportements agressifs (oreilles couchées, menace de morsure, menace de coup de pied, etc) jusqu’à ce que celui qui est le moins motivé se dise que ça n’en vaut pas la peine et parte.
Je donne donc les seaux dans l’ordre de motivation. La plupart du temps, c’est Bashshar, Habibi puis Mag. Mais parfois c’est Habibi la plus motivée et il faut savoir le reconnaître. Si je me disais que Bashshar était le dominant du groupe sur la base de ces observations, je serais incapable de reconnaître les changements de motivation, qui expriment eux un changement dans les niveaux de stress et donc de bien-être.
Si je vois des changements, je vais chercher la cause ailleurs : Bashshar peut avoir froid, Mag peut être courbaturée, Habibi peut être inquiète d’un nouveau bruit dans l’environnement… Je peux ainsi plus facilement diminuer leurs niveaux de stress.
Cette définition a aussi une autre implication : La dominance inter-espèce N’EXISTE PAS.
Non, vous ne pouvez pas dominer votre cheval, et il ne cherchera jamais à vous dominer. Vous pouvez juste lui faire peur et lui sera juste incompris.
Vous n’aurez jamais les mêmes ressources en tant qu’individus. Le cheval est parfaitement au courant que vous n’êtes pas un membre de son espèce. Il n’a AUCUNE raison d’entrer en compétition avec vous pour une ressource.
Par contre, il peut faire de la protection de ressources… S’il a déjà manqué ou s’il a une certaine dépendance autour d’une ressource et que vous cherchez à la lui retirer, sa frustration pourra s’exprimer par des comportements agressifs. Ça veut juste dire une seule chose : il n’a jamais appris la gestion de la frustration, et il est incapable de gérer le stress autour de cette ressource. (Autrement dit, il est dans un état de mal-être autour de cette ressource.)
La recherche indique qu’il est probable que le cheval apprenne et se souvienne d’une interaction de dominance, liée à une situation spécifique et une ressource spécifique. Cependant, cet apprentissage est lié à une situation unique (par ex, donner l’aliment le matin à 8h, dans le seau jaune, dans tel lieu du pré, alors que tel congénère est dans tel niveau de stress et de motivation). Il n’y a aucune indication que le cheval s’attribue un rang par rapport au congénère avec lequel il a interagi. Il n’y a aucune indication que le cheval est neurologiquement capable de modéliser le concept intellectuel de hiérarchie.
De plus, dans un contexte où chaque relation sociale est basée sur des interactions uniques entre 2 individus à chaque fois, aucune hiérarchie ne peut s’établir. Notre envie d’établir une hiérarchie est un besoin humain, pas une réalité équine. Les chevaux savent juste qu’untel est plus motivé sur le seau d’aliment, mais moins motivé pour aller boire.
Par exemple, si dans l’accès au seau d’aliment, on pourrait (si on y tenait vraiment) établir la hiérarchie Bashshar > Habibi > Mag, quand il s’agit de l’accès à l’humain (eh oui, vos grattouilles sont une ressource !) on a plutôt une hiérarchie Mag > Habibi > Bashshar. Et encore, puisque Bashshar se tient en retrait jusqu’au moment où il estime que je DOIS passer du temps avec lui, auquel cas il vient m’évincer du groupe et si Mag vient me réclamer, il la chasse pour me garder avec lui.
L’instant où la ressource limitée disparaît, ce concept (très très humain, pas du tout cheval) de hiérarchie ne peut plus exister puisque le cheval est un animal paisible par nature.
Pour éviter les comportements de dominance et assurer l’apaisement d’un troupeau, voici quelques suggestions :
- Ne concevez jamais mentalement de hiérarchie entre les individus d’un troupeau. Ouvrez vos yeux, observez-les dans différentes situations, face à différentes ressources et constatez… Il n’y a rien de figé, tout change chaque jour en fonction des niveaux de stress de chacun.
- Essayez d’apporter le plus de ressources en quantités illimitées. Non seulement ça veut dire fourrage à volonté, mais dans le cas de grands groupes, il faut idéalement autant de points d’approvisionnement en fourrage que d’individus. Une prairie d’herbe le fait tout naturellement, tandis qu’un ballot de foin peut provoquer des comportements de protection de ressources, voire de dominance s’il n’y a pas suffisamment de place autour du ballot : il faut alors disposer plusieurs ballots sur la surface de vie des chevaux.
- Apprenez à vos chevaux à mieux gérer la frustration. Vous êtes responsable de l’éducation de vos chevaux. Certes, l’éleveur et les propriétaires précédents y sont pour beaucoup également, mais à partir du moment où vous devenez le gardien d’un animal, vous devenez responsable de son bien-être. Le premier apprentissage qui peut aider un cheval qui fait de la protection de ressources, c’est l’apprentissage de la gestion de la frustration. (Et vous n’aurez plus à vous inquiéter que votre cheval puisse en blesser un autre par stress ;) )
(Cf ma publication sur le sujet : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=250641553337825&id=110168654051783 )
Pourquoi c’est important ?
Sous couvert de dominance et de hiérarchie, beaucoup de propriétaires sont incapables de constater le mal-être qu’exprime leur cheval.
Sous couvert de dominance et de hiérarchie, beaucoup de gardiens de chevaux laissent des chevaux agressifs blesser leurs congénères sans se remettre en question.
Sous couvert de dominance et de hiérarchie, beaucoup de cavaliers ou d’entraîneurs s’autorisent des pratiques relevant de la maltraitance ordinaire.
Certes, c’est un mot, c’est du pinaillage de vocabulaire, c’est du détail… Mais quand vous vous adressez à la jeune génération, ce détail change tout. Si les chevaux se dominaient entre eux, ça autoriserait les cavaliers à user de la cravache pour les dominer à leur tour. Un cheval agressif devient un dominant, qu’il faut soi-même dominer donc agresser encore plus.
On se retrouve à chasser les chevaux en provoquant de la peur pour devenir leur dominant, là où eux ne cherchent que la confiance et l’apaisement…
Essayez de chasser plutôt les mots dominance et hiérarchie de votre vocabulaire équestre. Ils n’ont rien à y faire et ils polluent notre relation avec les chevaux.
La prochaine fois que vous voyez un cheval chasser ou mordre un autre au moment du repas, dites plutôt « il est très motivé pour manger par rapport au copain ». La prochaine fois que vous voyez un cheval se pointer à la longe, dites plutôt « il est très stressé, il ressent de la peur et voudrait s’en aller ».
Et n’oubliez jamais d’écouter votre cheval ! ;)
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Ressource :
Traduction du résumé de la page « Prise de position sur l’usage/le mésusage des concepts de leadership et dominance dans l’entraînement du cheval (2017) » du site de l’ISES (Société Internationale pour la Science de l’Équitation).
https://equitationscience.com/equitation/position-statement-on-the-use-misuse-of-leadership-and-dominance-concepts-in-horse-training
(La société expose sa position à grands renforts d’études scientifiques, je vous invite à la lire en entier, si besoin à l’aide des outils de traduction automatique qui sont très efficaces sur ce texte.)
« La hiérarchie de la dominance, la position d’alpha ou de leader dans les groupes sociaux équins sont des constructions humaines qui ne devraient pas constituer la base des relations humain-cheval.
Les chevaux sont des animaux sociaux qui interagissent les uns avec les autres sur un niveau bilatéral (chaque cheval a une relation individuelle avec chaque autre cheval), et il est peu probable qu’ils disposent du concept de hiérarchie qui inclurait tous les membres du groupe.
L'étude des capacités cognitives des chevaux suggère qu'il est peu probable qu'ils aient la capacité mentale de réaliser une telle construction. Si les membres les plus âgés et les plus expérimentés d'un groupe peuvent connaître leur territoire de vie et conduire les membres du groupe vers des endroits où de la nourriture, de l'eau ou un abri sont disponibles plus souvent que les chevaux plus jeunes et moins expérimentés, il n'existe actuellement aucune preuve solide que le leadership soit propre à des individus spécifiques au sein du groupe social.
Fonder les interactions entre l'homme et le cheval sur un concept de dominance peut être préjudiciable au bien-être du cheval. Il existe malheureusement des exemples de cavaliers, d'entraîneurs et d’éducateurs qui, croyant devoir se placer en « position alpha » par rapport à leur cheval, ont recours à des procédés et/ou des pratiques d'entraînement qui suscitent la peur et, dans certains cas, peuvent entraîner des abus. Dans la nature, les chevaux évitent les conflits plutôt que de les rechercher. S'il est approché par un individu agressif, le comportement prédominant d'un cheval sera la fuite ou l'évitement. Les entraîneurs, cavaliers et éducateurs doivent s'efforcer d'établir une relation claire et cohérente avec leurs chevaux afin de préserver leur bien-être. Ils doivent être conscients des répercussions possibles quand ils décrivent leurs interactions avec et l’entraînement d’un cheval avec un vocabulaire tiré d’un contexte d’organisation sociale humaine. »