31/12/2023
Savane, dommage collatéral de notre société humaine
J’ai aujourd’hui envie de vous parler d’une expérience marquante de mon parcours dans le « monde du chien ».
Nous sommes en 2016, et j’ai depuis peu conscience que l’île où j’ai grandi (à savoir, la Guadeloupe) est truffée de plages magnifiques mais cache aussi son lot de desolation. Tout au long de mon séjour de vie là-bas, j’ai été confronté à des chiens errants partout : dans les centres ville, sur les plages, le long des routes … j’étais assez grande pour être touchée par cette « misère » animale (je mets des guillemets volontairement) mais trop petite pour réellement me poser des questions. Je n’avais jamais été au contact prolongé de chiens et quand j’en voyais un qui semblait perdu, c’était très simple, je voulais le ramener à la maison. Il était forcément malheureux, il n’avait pas de toit, ni d’humain…
L’été 2016 approche et je prépare mon voyage aidée de mes soeurs avec une seule idée en tête : être famille d’accueil pour sauver des chiens sur place. Association contactée, grands-parents convaincus d’héberger un poilu (dans le jardin uniquement, interdiction de rentrer dans la maison) et tout est prêt pour accueillir Savane.
C’est une petite chienne d’environ 9 mois qui a toujours vécu dans un champ, seule, elle est nourrie par une bénévole de l’association qui en profite pour lui donner quelques caresses au passage. La situation dure et il « faut » absolument la sortir de la avant les premières chaleurs et qu’elle ne devienne complètement sauvage.
Nous partons avec mes soeurs et ma mère pleines de bonne volonté et galvanisée par ce sentiment de bonne action. Au moment de la récupérer, premier constat : il n’y a non plus un chien, mais deux. On fait quoi ? On prend Savane et on laisse l’autre ? Impossible. Bon, on prend les deux. On baptise ce petit rigolo Lucky, qui saute dans la voiture à peine le coffre ouvert ….. pas très sauvage celui-ci.
Au tour de Savane. La chienne a peur, heureusement que la bénévole qui la connaît est là. Elle arrive à lui passer un collier, tant bien que mal. Première signature de l’Homme sur son corps. Maintenant la laisse, qui entravera pour la première fois et une fois pour toute sa liberté. Elle se débat violemment, forcément. Savane ne veut pas nous suivre, elle porte bien son nom … nous mettons cette petite chienne dans la voiture avec difficulté, l’arrachant à tous ses repères.
Arrivant à son lieu de destination temporaire, chez nous donc, après quelques heures de méfiance, elle passera sa première soirée à dormir, tout comme Lucky.
Rapidement, nous avons des nouvelles de l’association : elle pourra voyager vers un refuge en métropole dans 15 jours. Lucky, lui, ne pourra que partir quelques jours plus t**d. Super nouvelle pour nous, ils ne connaîtront qu’une seule famille d’accueil et un refuge. Car oui, certains chiens transitent de FA (familles d’accueil) en FA puis en refuge en métropole (ou encore en FA) avant leur adoption.
Pas de temps à perdre, avec mes sœurs nous nous affairons donc à préparer ces chiens à leur future vie définitive. Balades, apprentissage de la marche en laisse, de la propreté et j’en passe (on a même essayer de faire de l’agility à l’époque … pour vous dire). Force est de constater que Lucky est très volontaire pour tout cela, et je le comprends maintenant avec le bagage que j’ai acquis : TRÈS facilement excitable. Il n’est inquiet de pas grand chose quand il s’agit des objets de la maison, adore courir derrière les balles qu’il trouve, a très peu d’autonomie et sait très bien se placer en voiture … ce chien a connu et vécu avec l’Homme avant nous, c’est certain.
Savane, elle, est beaucoup plus réservée, observatrice, calme. Elle ne se déplace que si nécessaire, et reste distante, même si au bout de quelques jours on voit bien qu’elle n’est pas indifférente à nos propositions de papouilles. Elle accepte de nous suivre en balade mais nous devons l’attacher car elle divague très vite vers les poubelles et les terrains vagues lorsque qu’elle est en libre … étonnant n’est-ce pas ?
Bref. Le jour du départ arrive. J’ai encore un très mauvais souvenir de ce moment. On voit clairement dans ses yeux la trahison. Après l’avoir arrachée à son champ où elle vivait paisiblement, malgré tous les dangers qu’on connaît à une vie d’errance, nous avons choisi de la ramener dans notre maison pour finalement l’enfermer dans une cage, qui sera elle-même enfermée dans un avion pour l’amener dans un refuge qui la gardera à son tour jusqu’à son adoption. Le verrou est posé sur la liberté de Savane, la clé est jetée, depuis le champ du Lamentin en Guadeloupe à un refuge en Isère qui l’attend…
Le voyage se passe, elle arrive sans encombre et nous attendons l’utile nouvelle : l’annonce de son adoption.
Lucky part à son tour, et en gardant sa jovialité naturelle entre seul dans la cage de transport, part sans le moindre signe de stress, confiance en l’humain intacte. Quelques jours plus t**d, nous recevons un mail de la nouvelle famille de Lucky, la définitive, la vraie ! A peine quelques jours après son arrivée au refuge dans l’Est de la France, il a séduit une famille qui a décidé de l’adopter. Quelle bonne nouvelle ! Nous attendons encore pour Savane. Soyons optimistes, elle est timide mais c’est un petit gabarit et visiblement est compatible avec une vie en appartement et s’entend avec les chats.
Les jours passent, les mois passent, les années passent.
Savane mettra plus de 4 ans à se faire adopter, après avoir été replacée en famille d’accueil un temps car elle supportait difficilement le refuge et une tentative d’adoption ratée, ou on l’a ramenée au bout de 24h. L’impatience de l’humain dans toute sa splendeur. Ces années d’attente l’ont abîmée, c’est certain, mais j’espère de tout coeur que ses adoptants ont compris l’adaptabilité et la résilience dont elle a dû faire preuve mais aussi la part de résignation qu’il reste en elle. La comprendre permettra pour moi de mieux vivre avec elle et ne pas lui faire supporter le poids de trop d’attentes envers elle… mais peut-être est-ce déjà trop demandé pour nous humains ?
Cet article n’est pas une critique envers la protection animale. Elle est indispensable et salvatrice comme j’aurais peut-être l’occasion de vous le raconter à travers les histoires d’autres chiens recueillis plus t**d… Mais nos interventions posent questions. A vouloir tout régir, y compris la pluie et le beau temps, faisons-nous au moins autant de mieux que de dégâts ?
Évidemment je n’ai pas la réponse à cette question si complexe et comme je le citais dans un article précédent selon moi, il faut « persévérer dans le bien ». J’invite uniquement à la réflexion et à l’humilité sur notre place et nos actions.
Merci a L'Empreinte éducation et comportement du chien de m’avoir inspiré cet article (cf Le chien Libre)