
19/09/2025
“Ils martyrisent les cadavres d'animaux, ça n'est pas anodin” : la tradition du cou de l’oie reprend dans un climat tendu dans le Puy-de-Dôme.
Source France 3 du 19/09/2025
Interdite l’an dernier à la suite d’un arrêté municipal, la pratique controversée du "cou de l’oie" fait son retour en 2025 à Saint-Bonnet-près-Riom, dans le Puy-de-Dôme. À l’origine de cette décision : la volonté du maire de répondre à un "attachement profond" de la population à cette tradition locale. Il s'agit d'une coutume lors de laquelle les conscrits de la commune, montés sur des chevaux, doivent arracher la tête de la dépouille d'une oie ou d'un lapin, pendue par les pattes.
Une tradition qui divise
Muriel Arnal, fondatrice de l’association One Voice, ne décolère pas : « Nous continuons à dénoncer cela. Nous pensions avoir été entendus, mais ce n’est pas le cas. Malgré tout, nous continuons, parce que ça n'est pas anodin. Il faut absolument faire changer cela. » Selon elle, cette tradition va bien au-delà d’un simple folklore : « On peut faire évoluer la tradition avec les connaissances qu'on a aujourd'hui sur l'éducation à la violence, à la compassion et à l'empathie. Faire participer des jeunes à un spectacle pareil, à les applaudir quand ils arrachent la tête d'animaux, quand ils martyrisent les cadavres d'animaux, ça n'est pas une fête anodine. C'est encourager les jeunes à la violence. La société n'est-elle pas assez violente comme ça ? »
L’association déplore également l’impact sanitaire et éthique de cette pratique : « On tue des animaux spécialement pour cela et ensuite on martyrise leurs dépouilles, leurs cadavres. Cela peut s’accompagner d’éventuels problèmes d'hygiène. On lutte contre cette idée que pour célébrer le passage à l'âge adulte, il faut violenter des animaux morts. »
Une décision municipale controversée
Le maire de la commune, Denis Rougeyron, justifie son choix de ne pas reconduire l’arrêté d’interdiction : « On a écrit au préfet parce qu'on a mené une grande concertation avec toutes les parties prenantes de la commune, et il y a un attachement très profond à cette tradition. » Il souligne que sa décision découle d’une volonté d’écoute locale : « J’ai bien vu l'attachement très important des jeunes, du comité des fêtes et de toutes les parties prenantes à cette organisation. C'est pour respecter leur position et leur avis que j'ai décidé de ne pas prendre d'arrêté. »
Mais pour Muriel Arnal, ce choix est une source d’inquiétude : « C'est une déception. Nous ne sommes pas là pour faire de l'ingérence dans les communes. Nous sommes là pour donner un signal, sonner l'alarme. Ne pas être entendus est inquiétant parce que ça n'est pas anodin. On ne demande pas aux gens de dire que ce qui s'est fait par le passé était mal. Le passé, c'est le passé. Mais là, aujourd'hui, on sait que ça n'est pas anodin, et pourtant on persiste. »
Un cadre légal strict
Interpellée, la préfecture du Puy-de-Dôme a rappelé les limites légales de ce type de manifestation. Dans un courrier adressé au maire, elle précise que : « Il n'est pas possible d'euthanasier des animaux pour procéder à une animation telle que le cou de l'oie. L'abattage d'animaux est exclusivement destiné à l'alimentation, soit dans un abattoir, soit dans un cadre familial sous conditions. »
Plusieurs articles de loi sont invoqués :
La mise à mort d’animaux sans nécessité est un délit prévu par l'art 522-1 du code pénal : « Le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, hors du cadre d'activités légales, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».
En application de l’article L. 654-3 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), l’abattage d’un animal hors d’un abattoir est interdit : il constitue un délit passible de six mois d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (article L.237-2 du CRPM).
L'article R. 231-6 du code rural et de la pêche maritime permet la mise à mort d'un animal en dehors d'un abattoir pour les espèces ovines, caprines, porcine, volailles et lagomorphes (lapins) d’élevage dès lors que cet abattage est réalisé par la personne qui les a élevés et que la totalité des animaux abattus est réservée à la consommation de la famille. Le non-respect de ces obligations constitue également un délit passible de six mois d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (article L.237-2 du CRPM).
Les animaux abattus dans un abattoir ne peuvent en sortir que sous forme de carcasses après déshabillage/plumaison et éviscération. Le non-respect de ces dispositions constitue un délit passible d’une peine d’amende de 3750 euros (article L. 228-5 du CRPM).
« Une manifestation publique ou sur invitation au cours de laquelle des cadavres seraient exposés pour "jouer" ne fait pas partie des débouchés permettant l'abattage licite des animaux », martèle la préfecture.
Le choc des convictions
Pour One Voice, il ne s’agit pas d’abolir les fêtes populaires, mais de les faire évoluer. « Il peut y avoir des épreuves, des concours, des festivités sans martyriser les cadavres d'animaux. Il est possible d'avoir la fête, d'avoir la tradition, sans rester sur ces vieilles pratiques qui sont extrêmement nocives. » Le maire précise que pour éviter tout dérapage ou manifestation durant les festivités, qui auront lieu du 19 au 22 septembre, un service de sécurité a été mis en place par les organisateurs. Sollicités, ces derniers n'ont pas souhaité s'exprimer.