21/03/2023
La gestion d'environnement 🙌 À méditer
« PAS TOUCHER LE POT POURRI ! »
La cliente :
- « J’aimerais apprendre à mon chien à ne pas toucher au pot pourri que je pose depuis toujours sur ma table basse du salon. J’ai essayé de lui enseigner « en positif » qu’il valait mieux s’en éloigner, mais ça ne marche pas, ça empire. Je pense que mon timing n’est pas bon quand je clique l’éloignement du pot pourri, car mon chien fait exprès de revenir vers le pot-pourri pour que je clique, et lui donne sa friandise, et ainsi de suite…
Moi :
- C'est bien compliqué tout ça... Pourquoi ne pas éloigner le pot pourri plutôt que le chien ? Le surélever, le faire disparaître (ou l’envoyer en orbite sur la planète Mars) ? C’est plus simple, non?
La cliente :
- Parce que si je fais ça, j’ai l’impression que je ne lui apprends rien.
Moi :
- Mais là, vous lui apprenez quoi exactement ?
La cliente :
- …
Moi :
- Vous lui apprenez que votre pot-pourri est de plus en plus intéressant car il provoque une séquence de distribution de friandises. Mademoiselle, entre votre chien de sept mois qui veut absolument jouer avec le pot pourri et vous, qui voulez absolument le laisser à sa portée pour vous rassurer sur votre capacité à l’éduquer, qui est le plus obstiné des deux ? ».
Voilà aujourd’hui l’une des dérives les plus significatives (et les plus courantes) de l’éducation positive et de l’obsession de vouloir à tout prix « éduquer », quand souvent, la gestion de l’environnement immédiat suffit. Je le répète régulièrement, le renforcement positif n’est pas une méthode d’éducation à part entière. C’est un outil parmi tant d’autres. À lui seul, il ne permet pas de gérer la multitude de comportements qu’un chien peut exprimer dans l’environnement, surtout quand il est jeune. Ici, le bon sens, la simplicité opératoire, la sécurité du chien, la rapidité de résultat, la préservation de la relation - TOUT - place cette jeune fille dans la gestion environnementale (sans risque) ou dans la psychologie inversée (très risquée).
Pour tenter de lui ouvrir les yeux sur sa manière de concevoir l’éducation de son jeune chien, deux propositions lui sont faites :
- Soit elle fait disparaître le pot pourri de l’environnement. Et son problème est réglé. Son chien en pleine croissance va oublier l’objet « funny » et le comportement qui va avec, qui correspondent tous les deux à une envie (facile à supprimer), et non pas à un besoin (impossible à supprimer). Dans quelques mois, le pot pourri pourra sûrement être replacé sur la table, il est fort à parier que son chien ne s’étant pas embourbé dans des habitudes conditionnées avec elle, s’en désintéressera facilement.
- Soit elle multiplie les pots-pourris en libre service absolument partout dans sa maison, au point que les pots-pourris deviennent banals, lassants, indignes d’intérêt. Son chien finira par s’en détourner totalement, s’il n’est pas mort empoisonné avant.
Évidemment, la seconde idée ne manque pas de la faire réagir. Pourtant, il n’y a pas de grande différence avec sa demande de départ de laisser le pot-pourri en place, afin que son chien « apprenne » à le laisser tranquille.
Lors des études, je suis souvent contrainte d’en arriver à de telles extrémités, si je veux que les personnes puissent saisir à quel point il est malsain de vouloir contrôler autant un problème - qui n’en est pas un - jusqu’à ne plus voir que ce problème, jusqu’à ne plus pouvoir conscientiser le danger, et réussir à trouver ça « positif », sous prétexte de friandises. Non, entraîner un chien à s’éloigner d’un pot pourri en lui jetant des appâts n’est pas positif, c’est même tout l’inverse. C’est une manière très limitée d’appréhender le chien. Un enfant de huit ans pourrait demander spontanément : « Mais pourquoi vous ne rangez pas le pot-pourri ? ».
Je pourrais vous donner des dizaines d’exemples comme celui-ci :
- Apprendre au chiot à ne pas aller dans une pièce de la maison (que l’on s’obstine à laisser grande ouverte « pour qu’il comprenne »).
- Apprendre au chiot à ne pas s’exciter tous les jours devant le même chien, derrière la même grille (à laquelle on s’obstine à le confronter quotidiennement « pour qu’il apprenne »).
- Apprendre au chiot à ne pas manger dans la gamelle du chat (qu’on s’obstine à lui laisser sous le nez « pour qu’il comprenne »).
Etc. Etc. Etc.
Et on entraîne le chien au clicker… On clique l’éloignement… On clique le détournement de regard… Le chien y retourne, et on recommence… Et on donne les friandises, renforçant ainsi toute une chaîne de comportements (dont l’intérêt pour le pot-pourri qui démarre toute la séquence). Ce n’est pas parce qu’on est muni d’un clicker et de friandises qu’un exercice est forcément efficace ou positif. Cela ne rendra pas un entraînement mal pensé plus fort de sens. Les récompenses ne nous offrent pas un blanc seing avec le chien, et surtout, elles ne doivent pas nous éviter de réfléchir.
La plupart des « problèmes » de comportement, hors pathologies comportementales, trouveront l’apaisement dans la gestion environnementale partielle ou totale, la considération du chien dans sa spécificité émotionnelle (cognitivisme), la gestion comportementale humaine (nos propres autocontrôles de nos propres obsessions, et la connaissance de nos propres limites), le contre-conditionnement opérant, la désensibilisation progressive (en distance et en temps), la réorientation pour décharge émotionnelle (avec objets de substitution type b***e ou corde à noeud), la communication homme-chien, l’occupation saine, etc..
Dans tous ces leviers, vous n’avez pas forcément besoin d’un clicker, ou de friandises. Je suis pourtant une utilisatrice du clicker et du renforcement. Mais renforcer un chien ne signifie pas toujours lui jeter des appâts, et surtout, un chien n’a pas forcément toujours besoin d’être renforcé. N’oublions pas la part importante de l’auto-renforcement. Mais si l’on n’étudie jamais l’environnement immédiat, si les dispositions dans lesquelles le chien se trouve ne sont pas les bonnes, il n’est pas étonnant que cette part d’éducation naturelle soit inconnue.
- « Que veut le chien à l’instant T. ? » est une question de plus en plus absente des raisonnements à cause de la systématisation de la récompense par la friandise.
- « Quelle est l’alternative la plus simple, naturelle et efficace ? » est une question que l’on s’interdit formellement dans un monde où l’on préfère rivaliser en technicité.
- « Que ressent mon chien si je m’autorise ça ? » est un questionnement que peut d’humains s’appliquent dans une dynamique où l’on estime qu’il est là pour « apprendre », « comprendre », « être éduqué ».
Dès le départ, si l’on ne tord pas le cou aux systématismes qui nous empêchent de nous interroger à bon escient, les systématismes auront raison de notre lecture clairvoyante du chien. On n’éduque pas un chien uniquement en renforcement positif. Si vous ne connaissez que cette méthode, il est urgent de vous informer, de vous former ou de vous faire accompagner par un professionnel compétent. L’éducation « positive » ce n’est pas ça. Être « positif », ce n’est pas une méthode, c’est une philosophie générale qui inclue que vous respectiez le chien, ses émotions, sa nature animale. Cela impose de limiter au strict minimum les velléités d’éducation, et que vous fassiez le deuil de briller en société ou sur les réseaux avec un chien robotisé.
Tous droits réservés
Cynoconsult
Le livre « Le chien, cet animal qui nous échappe » est disponible ici : https://bit.ly/3t0W9ED