20/12/2024
✨️Les contes de la Sourcière✨️
🎄Le Chat de Noël🎄
Dans un vieil immeuble d'une ville ordinaire, vivait Madame Jeanne, une femme de quatre vingt quatre ans, au dos voûté, au regard las, et à la silhouette fragile comme une feuille d'automne craquelée. Elle était de celles qu'on salue par habitude, ...mais dont on ignore l'histoire.
Chaque matin, elle sortait acheter sa moitié de baguette de pain, quelques fruits ou une boîte de conserve. Puis, elle rentrait chez elle, seule, et attendait la fin de la journée. Les horloges de son appartement semblaient battre plus lentement que partout ailleurs, comme des cœurs fatigués. Les jours se suivaient, monotones, silencieux, sans saveur.
Madame Jeanne attendait la mort. Simplement la mort...
Un matin de décembre, alors qu'elle peinait à visser une nouvelle ampoule au plafond, Madame Jeanne sentit ses mains trembler. Elle décida d'aller frapper à la porte de ses voisins du dessous, une famille discrète, "sans histoires". Elle frappa... Pas de réponse. Elle frappa plus fort... Toujours rien. Juste un miaulement... faible, à peine audible. Elle approcha l'oreille de la porte et plissa les yeux.
Oui, c'était bien un miaulement !
Inquiète, elle appela un voisin du palier, Monsieur Andreï, un vieux célibataire, ancien légionnaire, bourru mais serviable. Ensemble, ils frappèrent à nouveau à la porte. Pas de réponse. Mais ce miaulement... il était bien là. Andreï, avec son fort accent des pays de l'est, posa ses mains sur ses hanches et hocha la tête.
—"C’est pas normal ça", murmura-t-il.
—"Vous croyez qu’ils sont partis ?" demanda madame Jeanne.
—"À ça oui ! Y’a un mois qu’on ne les a pas vus", répondit-il en grattant sa barbe. "Les parents ont divorcé, j’crois. Mais j’pensais que quelqu'un passait pour ce pauvre animal !"
Madame Jeanne sentit une bouffée d’angoisse lui nouer le ventre...
—"On va pas le laisser crever là-dedans, Andreï !", dit-elle, le ton sec et résolu.
Le vieil homme acquiesça. En tant qu'ancien légionnaire, il avait à cœur d'aller jusqu'au bout des choses.
Ils contactèrent le syndic, mais la réponse fut glaciale; "Oui, la famille est partie depuis un mois mais ils ont pas dit où. Les charges continuent à être prélevées par virement automatique. Donc rien à reprocher à ces gens. Et puis c’est une propriété privée. Vous n’avez pas le droit d’y entrer." On leur conseilla d’attendre que le propriétaire réapparaisse, que le chat avait sûrement tout ce qu'il fallait, et que sinon quelqu'un passait certainement. Qu'ils devaient pas s'inquiéter comme ça.
Les jours s'écoulaient, les propriétaires restaient introuvables. Personne dans le quartier ne savait où cette famille était partie.
"Un chat, ça peut attendre", avait même osé dire un membre du syndic. Mais Madame Jeanne ne l’entendait pas de cette oreille.
—"Attendre, c’est la mort pour lui !" répondit-elle avec une voix tremblante de colère.
Trois jours après la "découverte" du chat et après n'avoir constaté aucune visite, les voisins se rassemblèrent. Il y avait Monsieur Andreï, bien sûr, mais aussi Clara, une jeune mère célibataire du troisième étage, et Samia et Djalila, deux soeurs étudiantes infirmières. Ensemble, ils mirent au point un plan. Andreï, bricoleur de longue date, sortit un tournevis et une lime longue, et se mit à gratter le bas de la porte.
—"Si on arrive à creuser un espace, on pourra lui glisser de la nourriture", dit-il en transpirant sous l’effort.
Les voisins regardaient, les bras croisés, certains filmaient avec leurs téléphones. La scène devint une sorte de rituel quotidien. Clara apporta des croquettes pour chat, Samia et Djalila, du thon en boîte... et une grosse seringue avec un embout tuyau. Quand l’ouverture sous la porte fut suffisamment large, ils glissèrent les croquettes une à une, puis le thon. La nourriture disparaissait presque instantanément. Le chat mangeait ! Avec la seringue, Samia injecta de l'eau pour former une flaque de l'autre côté de la porte. On entendait lapper avec avidité.
—"Il est vivant ! Il est vivant !" s’exclama Madame Jeanne, les mains sur la poitrine.
Chaque jour, ils recommencèrent. Chaque jour, le chat les attendait derrière la porte. Leurs cœurs se serraient à chaque miaulement. Ce petit cri d’âme leur rappela que, dans la solitude, même un chat peut être un miroir de leurs propres vies...
Quinze jours s'écoulèrent.
Mais bientôt, quelque chose changea. Une odeur nauséabonde s’échappa du bas de la porte. Une odeur de décomposition. Madame Jeanne s’en inquiéta.
—"C’est le chat ! Il est en train de mourir !" S'exclama-t-elle d'une voix brisée par l'émotion.
Elle se rendit au commissariat en compagnie de Samia. Le policier d’accueil, d'abord indifférent, leva les yeux vers elles.
—"C’est qu’un chat, Mesdames", dit-il.
—"C’est une vie", répliqua madame Jeanne, le regard dur. "Et c'est nous qui porterons cette odeur sur la conscience si vous ne faites rien ! Nous voulons déposer plainte pour abandon, négligence et maltraitance passive. Nous en avons le droit monsieur ! Ce serait un humain, cette porte serait déjà ouverte ! Les animaux ont des DROITS, monsieur, et nous comptons bien les faire respecter !"
Le policier, grommela devant son insistance et consulta son supérieur. Mais la loi était stricte; sans autorisation judiciaire, ils ne pouvaient pas forcer la porte. Malgré la plainte, c'etait une propriété privée. "On ne peut rien faire pour le moment. Il faut attendre la décision juridique".
Les mots résonnaient comme une condamnation...
Pendant trois jours, l’odeur s’amplifia. Le miaulement devint plus faible. Madame Jeanne pleura. Elle passa ses nuits à écrire des lettres aux autorités, au syndic, au maire. Elle frappait à toutes les portes ! Elle priait... avec passion et abandon total à Notre Dame. Samia et Djalila, bien que musulmanes, priaient avec elle, très souvent le soir après avoir bu ensembles un petit thé consolateur. Elles demandaient à Dieu de maintenir le chat en vie le temps que des solutions arrivent.
Puis, une nuit, la veille de Noël, le miracle arriva...
Deux policiers en uniforme vinrent frapper à sa porte. C'était le même policier du commissariat. Cette fois, il n'était pas seul.
—"On n’a pas pu obtenir l’autorisation judiciaire, Madame, mais... on va pas attendre. Mon fils de douze ans a été un bon avocat pour ce chat, croyez-moi. Je lui ai fait une promesse. Alors... on va ouvrir cette porte."
Les larmes roulèrent sur les joues de Madame Jeanne. Elle serra la main du policier avec toute la force fragile de ses quatre vingt quatre printemps.
Le serrurier fut appelé. Les voisins se rassemblèrent dans le couloir. Quand la porte céda enfin, l'odeur les frappa au visage comme une claque. Madame Jeanne mit sa main devant sa bouche.
—"Où est-il ? Où est-il ?"
Ils le virent, recroquevillé dans un coin sombre du salon rempli d'excréments. Le chat, maigre à faire pleurer, laissait à peine apparaître ses côtes. Son pelage, qui devait autrefois être soyeux, était terne et collé. Partout autour de lui, des restes de cuir. On découvrit qu’il avait mâchonné une vieille ceinture en cuir pour tenter de se nourrir. Ses yeux étaient ternes, mais il vivait.
—"Mon Dieu, il a survécu", murmura Clara en éclatant en sanglots.
De leurs côtés, Samia et Djalila pleuraient aussi, touchées par le spectacle qui s'offrait à tous.
-"Comment ? Comment peut-on en arriver là ? Maudits sans coeur que ces gens là !", s'exclama monsieur Andreï.
Madame Jeanne s’approcha lentement, ses pas résonnant sur le parquet nu...
—"Viens, mon petit. On est là maintenant. Personne ne te laissera plus jamais seul..."
Elle tendit la main. Le chat hésita, puis avança lentement, la tête basse. Quand il toucha ses doigts, il se frotta doucement contre eux. Il n’y avait plus de force dans son corps, mais il avait encore l’instinct du réconfort.
Dans un coin de la cuisine, malheureusement, un petit lapin nain n'avait pas eu la même chance. Couché dans sa cage, c'est de son corps en décomposition qu'émanait l'odeur pestilancielle qui avait envahit l'appartement... Le policier en versa des larmes discrètes, mêlées de colère et de tristesse... "Je vais m'en occuper..." murmura t'il, l'âme brisée devant cette petite vie ôtée par la bêtise humaine.
Les voisins amenèrent le chat chez le vétérinaire. Clara paya les frais avec l’aide de Samira, Djalila et des dons spontanés des voisins. Ils décidèrent de le laisser à Madame Jeanne.
—"Il est à vous, Madame Jeanne", dit Andreï, la main sur son épaule.
—"À moi ? Vraiment ?"
—"On s’occupera de vous deux, c’est promis..."
Le soir de Noël, l'appartement de Madame Jeanne n'était plus vide.
Autour de la table, les voisins étaient là. Clara avait apporté des biscuits de Noël. Samira et Djalila avait cuisiné un énorme tajine pour réchauffer les cœurs. Andreï, fidèle à lui-même, avait fabriqué un petit arbre à chat avec du bois de récup' d'où pendait un drapeau de la légion étrangère. Même le serrurier était là avec sa femme enceinte !
Au centre de la pièce, sur un coussin moelleux avec son nom brodé en lettres dorées, le chat dormait paisiblement...
On l'avait appelé "Noël", pour ne jamais oublier ce moment.
Les voisins, qui autrefois n’étaient que des ombres dans le couloir, riaient ensemble ce soir-là. Et Madame Jeanne, qui avait tant de fois attendu la fin du jour en silence, savait qu’elle n’attendrait plus seule. Elle caressa le chat d'une main tremblante, mais cette fois, ce n’était pas le tremblement de la fatigue... C’était l’émotion.
-"Merci de m'avoir trouvée, toi aussi", chuchota-t-elle au chat.
Près du sapin, madame Jeanne avait déposé la peluche d'un petit lapin qui ressemblait beaucoup à celui décédé seul dans sa cage. Un petit être qu'elle ne voulait pas oublier. Elle lui avait accroché autour du cou une médaille de la Vierge Marie, et priait souvent pour le repos de sa petite âme... "Car toute vie est précieuse", murmurait-elle à Djalila et Samia qui souriaient avec tendresse dans ces moments de prières partagées.
Et la neige tomba ce soir-là, recouvrant les toits de l'immeuble d'un manteau blanc. Mais dans l'appartement de Madame Jeanne, la chaleur ne manquait pas...
Et si l'on tendait toujours l'oreille aux "miaulements" du monde ?
Peut-être que des cœurs isolés retrouveraient la chaleur d'un foyer...
✨Lillie La Fay️✨️
❤️❤️❤️❤️❤️❤️❤️❤️
Merci à Françoise et Valérie pour la correction de mes fautes d'orthographe 🥰
[Image perso créée via Bing Creator de Microsoft]