26/03/2023
+++ L’OBÉISSANCE, LE CONFORT FACILE ET LIMITANT +++
Il faut se rendre à l’évidence que pour beaucoup d’entre nous, un chien « éduqué » est un chien qui « obéit ». L’obéissance est souvent un aveu du besoin de se rassurer soi-même sur nos compétences. Agir sur le chien serait alors une preuve de grande technicité. C’est un gage de ténacité, de capacité à « affronter les problèmes ». C’est souvent risible, mais dans cette « philosophie », un chien obéissant est un chien « sous contrôle ». Entendons, un chien « sous le contrôle de son maître ».
Où est l’avancée ? On s’en moque un peu.
Est-ce pour autant un chien heureux et adaptable ? Disons que dans cette dynamique-là, c’est une question que l’on ne se pose pas.
Par ailleurs, notre société semble croire (ou plutôt tenter de se convaincre) qu’un chien "dressé" ne représente aucun risque. C’est tout de même faire preuve d’une grande naïveté, compte tenu du fait indéniable que le seul chien qui représente un risque zéro est un chien mort. Un chien équilibré est en effet un animal fidèle à ses propres codes, à son propre instinct, à sa propre éthologie (que nous nous devons de connaître). Mais la société moderne refuse d’accepter l’animalité du chien en même temps qu’elle dit aimer les chiens. Elle multiplie alors les risques d’accident.
Tant que les particuliers et les professionnels (« en positif » ou pas, précisons-le) voudront des chiens parfaitement contrôlés, ils devront faire le deuil des individus sereins, adaptés et adaptables. Les automatismes que l’homme apprend au chien sont inquiétants et réducteurs. Cet animal intelligent a de plus en plus de difficultés à supporter ce que la société attend de lui. Par expérience, la frustration et la colère ne sont jamais loin quand on trouve refuge dans le contrôle absolu de tout, au lieu de chercher à comprendre, collaborer, développer la cognition du chien.
« La quoi ? », répondent alors - goguenards - ceux qui n’envisagent le chien que sous l’angle de son dressage ou de son éducation. Ici, peu m’importe la sémantique puisqu’à partir du moment où un chien n’est appréhendé que dans une dynamique d’éducation contrôlante, qu’elle soit positive ou pas, c’est inacceptable. Alors, que l’on ne se trompe plus de responsable quand le chien devient difficile à gérer. Bizarrement ici, l’obéissance et le contrôle ne sont plus d’aucune utilité. Quelle est leur niveau de responsabilité dans le comportement actuel du chien ? Dans la mesure où le niveau général de l’éthologie et de la psychologie se situe à peu près à hauteur des pâquerettes, l’obéissance et l’illusion du contrôle ont rassuré un temps. Forcément…
Un chien obéissant est-il adapté au monde qui l’entoure ? Rien n’est moins sûr. Trop souvent, le constat est que ce chien est devenu incapable de se gérer lui-même. Ce chien obéit chez lui certes (ou parfois plus du tout), mais sur un plan comportemental, il est sous-développé. C’est souvent un chien devenu impossible à encadrer normalement, un chien que ses propres émotions submergent constamment, un chien non entraîné à l’environnement immédiat.
Pourquoi ?
- Parce que personne ne l’a jamais placé en situation de développer ses autocontrôles par la cognition (faire des choix, prendre des décisions, analyser, réfléchir, collaborer, exprimer ses compétences personnelles, etc.) et personne autour de lui n’a jamais respecté ses perceptions, ses failles, etc.
- Parce qu’un chien robotisé, sous le contrôle de son humain, c’est plus facile à court terme. Le danger reste que souvent cet humain ne se maîtrise pas lui-même, est en manque cruel de connaissances, de compétences ou pire, croit les posséder. Alors il a recours à l’obéissance comme on s’accroche à une bouée de sauvetage. Sauf qu’avec cette bouée, ni l’homme ni le chien n’apprennent à nager. En effet, on ne peut pas contrôler un être vivant et espérer ensuite qu’il s’autocontrôle. Contrôle et autocontrôle sont des notions antinomiques.
*** DÉFINISSONS LE TERME « AUTOCONTRÔLE » ***
C’est la capacité de tout être vivant à maîtriser ses émotions, ses impulsions, à autogérer ses comportements. C’est une compétence précieuse et redoutable qui permet d’atteindre ses objectifs dans le calme, et de maintenir son équilibre interne et externe. C’est la faculté d’être adapté et adaptable à l’environnement grâce à l’entraînement dans cet environnement. C’est le cheminement à accomplir, c’est l’objectif vers lequel tendre, pour n’importe quelle espèce émotive.
Les autocontrôles n’ont rien à voir avec les « exercices d’autocontrôles » futiles, qui noient pourtant la toile (et le chien). C’est dans l’environnement réel que les autocontrôles se développent progressivement. Un chien qui développe cette formidable compétence n’est-il pas plus sûr pour notre société (puisque c’est ce qu’elle semble rechercher à tout prix) que celui à qui l’on doit tout ordonner, à chaque instant ?
Dans ma pratique professionnelle, je vois des chiens dont la tolérance à la frustration est en chute libre, des chiens que la moindre interaction excite ou que le plus petit changement dans l’environnement alerte ou effraie. Le tempérament réactif ou craintif s’est développé à force d’expériences désagréables, ou carrément néfastes, ou conditionnées, vécues dans la première année (surstimulation par trop d’exercices et de demandes, trop d’interactions, de rencontres non souhaitées; frustration par trop de refus sans raison valable, trop de contrainte, trop de demandes limitantes; sensibilisation par immersion dans des contextes déclencheurs d’émotions encore non gérées, etc.).
Il y a un problème dans notre perception de l’éducation en France.
Il y a un problème dans notre perception du chien.
Si l’obéissance coercitive est pour moi la pire démonstration de l’incompétence d’un humain face à un chien, l’obéissance dite « positive » contre friandises, par l’excès de renforcement positif comme seul et unique recours, n’est certainement pas la solution. Dans les deux cas, ce n’est pas le bien-être et la bonne compréhension du chien qui compte, c’est notre ego. C’est notre conviction que quoiqu’il arrive, nous sommes des techniciens qui parviendront « en trois jours » à « faire marcher un chien en laisse ». On n’hésitera pas à poser des objectifs sur un animal que l’on n’a même jamais vu, et à faire croire que la méthode est universelle. Ainsi, en trois jours, tous les chiens de ce monde seraient capables d’apprendre à marcher en laisse courte. Achetez la formation en ligne. Nous en sommes là.
A l’étude, on constatera que :
- Ces chiens « dressés », en positif ou pas, n’ont pas été éduqués à l’environnement (l’art des chiens libres).
- Ces chiens qui ont appris à « obéir » n’ont pas appris à « observer » l’environnement (l’art des chiens libres).
- Ces chiens qui ont appris à « exécuter » bêtement, n’ont pas appris à « analyser » l’environnement (l’art des chiens libres).
- Ces chiens qui ont appris à « ne pas bouger », à « ne pas aller », à « ne pas toucher », n’ont pas appris à « expérimenter leurs émotions » dans l’environnement. C’est la virtuosité des chiens libres de l’homme dont l’intelligence émotionnelle étonne toujours. Et pour cause, ce sont des maîtres de l’autocontrôle qui n’ont pas eu besoin de nous pour les développer. Ils ont eu recours à l’environnement.
Le chien n’a pas besoin d’obéissance pour être éduqué à l’environnement.
Il a besoin de l’environnement.
C’est notre obsession de l’éduquer selon nos propres perceptions qui lui fera perdre son potentiel ou ses compétences d’adaptation.
Expérimenter ses émotions dans le calme, la distance…
Observer et analyser les contextes…
Accueillir et surmonter ses émotions…
Avoir la possibilité de prendre des décisions pour avoir la chance d’en prendre des bonnes…
Avoir envie de renouveler l’expérience de la bonne décision…
Se développer, évoluer, grandir bien…
Tout ceci relève de l’éducation du chien par le développement de ses autocontrôles émotionnels, de sa propre flexibilité, de sa propre capacité d’autorégulation dans l’environnement, la seule éducation valable, basée sur les neurosciences. Tout le reste, c’est du blabla.
*** CE QUE L’ON CONTINUE POURTANT DE PRÔNER ET DE CONSTATER EN FRANCE ***
« Mon chien va à l’éducation depuis qu’il est petit mais son comportement empire. »
Cours anxiogènes en situation artificielle, où les demandes faites au chien sont aux antipodes de son éthologie (souvent méconnue).
« Mon chien est devenu ingérable en dépit de mois de cours collectifs dans un club. »
Cours collectifs surpeuplés, dispensés par des moniteurs ou des éducateurs parfois mal formés, parfois coercitifs.
« Mon chien est de plus en plus agressif avec ses congénères alors qu’il les voit toutes les semaines depuis l’école du chiot. »
Séances agitées qui immergent le chiot dans la surenchère d’interactions sociales au mépris de sa communication spécifique.
« Mon chien ne sait faire les exercices d’autocontrôle que dans le jardin ou dans le salon ».
Conditionnement du chien à des contextes artificiels où on lui apprend à s’éloigner, à se désintéresser, à ne pas réagir, en croyant sincèrement qu’il conceptualisera l’apprentissage à l’extérieur.
« Mon chien a été éduqué en positif mais il ne m’obéit toujours pas. »
Contradiction dans les termes. Jamais l’éducation positive ne devrait prôner l’obéissance du chien.
Quand les familles appellent à l’aide, elles ont besoin d’explications. Elles pensent que leur chien a un problème et souvent, elles s’excluent de la problématique. Il est pourtant essentiel pour elles de comprendre que l’éducation basée sur l’obéissance est inadaptée à la psychologie, en ce qu’elle favorise le contrôle de l’humain, pas la réflexion du chien. Mais pendant des mois, et avec une grande régularité, elles ont rassemblé tous les ingrédients pour que de très mauvais comportements surviennent, et se conditionnent.
Les familles sont démunies.
Les jeunes professionnels ne savent plus à quel saint se vouer. En visioconférence, je les écoute parfois me poser des questions qui relèvent des fondements.
La gestion environnementale, à la base de tout encadrement sain et éthique de toute espèce animale, est oubliée.
L’éthologie et les besoins, à la base du respect de toute espèce animale sont mal connus.
On n’a plus foi qu’en une seule chose : les exercices de contrôle où l’on clique et renforce ce que l’on veut. Mais le chien lui, que veut-il ?
*** QUE FAUT-IL PROMOUVOIR ? ***
- C’est individuellement que le bien-être du chien doit être appréhendé.
- C’est dans le calme et le recul que le chien peut apprendre, explorer, faire des rencontres de qualité.
- C’est sans aucun stress et surtout dans l’environnement réel que le cerveau du chien mature.
Ce n’est pas une question de point de vue, de tendance, de mode ou de méthode.
Il n’y a pas de débat.
C’est un acquis scientifique qui concerne aussi les enfants : Le cerveau mature dans l’expérience sereine de l’environnement.
Le fait que le chien soit un animal social ne justifie pas qu’on le noie dans un groupe difforme pour l’intoxiquer socialement dès ses premiers mois de vie.
L’éducation doit tenir compte de sa personnalité et de ses limites.
Si la socialité est toujours synonyme d’immersion pour certains (écoles du chiot, cours collectifs, balades surpeuplées, etc.), que l’on ne soit pas surpris que les chiens finissent par développer de la réactivité.
Si le bien-être du chien est absent des préoccupations majeures de l’humain, comment ose-t-il exiger de cet animal qu’il se comporte correctement dans sa société ?
Si l’éducation à l’obéissance (même « en positif ») reste une priorité, le bien-être du chien est relégué au second plan. Ne nous étonnons pas qu’il ne parvienne pas à s’autoréguler en grandissant, et que les problèmes comportementaux et les accidents se multiplient.
En aucun cas l’éducation « positive » ne consiste à faire obéir un chien contre des friandises.
Pour apprendre à s’adapter aux milieux dans lesquels il devra évoluer, le chien a besoin de les côtoyer dans le calme et la distance. Comme n’importe quel être vivant de cette planète, il a besoin de vivre des expériences réelles, neutres ou agréables. L’enclos du club, le hangar du centre d’éducation ou le salon ne sont que des leurres qui donnent le sentiment de contrôle. D’un milieu clos et artificiel (hypostimulant), le chien devrait passer sans problème à un contexte ouvert et naturel (hyperstimulant) ? Le grand écart est improbable. Le chien a besoin de voir le monde avec ses humains, sereinement, progressivement, à son rythme.
Un chien « éduqué » est un chien adapté et adaptable dont les besoins connus sont satisfaits. Cela n'a rien à voir avec un chien « obéissant ». L'éducation devrait toujours être limitée à son strict minimum, la sécurité (rappel automatique, suivi naturel). Encourageons nos chiens à observer, à réfléchir, à prendre des décisions, à faire des choix dans l’environnement. Apprenons nous-mêmes à lâcher-prise sur les considérations polluantes que la société nous impose. Nous n’avons pas besoin d’agir sur un chien pour avoir la conviction d’être compétent. Imposer l’obéissance, c’est limiter l’intelligence. Le faire avec des croquettes, c’est se voiler la face. Favoriser la cognition, c’est développer le chien et c'est mûrir soi-même.
Le livre « Le chien, cet animal qui nous échappe », d’Audrey Ventura est disponible ici : https://bit.ly/3t0W9ED
Cynoconsult
Ci-dessous : Oeuvre magnifique de Juho Laitila "Walking the dog" (promener le chien) sur https://juholaitila.tumblr.com/