22/07/2023
🐾 NON, VOTRE CHIEN NE CHERCHE PAS À VOUS DOMINER 🐾
Pendant des décennies (et encore aujourd’hui, hélas, mais les mentalités évoluent lentement) on a considéré qu’il fallait « dominer » son chien pour pouvoir cohabiter agréablement avec lui. Même moi, j’y ai cru ! Oui, oui, j’ai longtemps estimé qu’il fallait que ma chienne Diana mange après moi, qu’elle passe les portes derrière moi, et qu’elle obéisse à mes commandements sans réfléchir. Sinon… forcément, elle finirait par me manger toute crue ! Je me devais d’être la « cheffe de meute » pour que ma chienne me respecte. Ce qui ne fonctionnait absolument pas, puisque ma lubie était incompréhensible pour Diana, et que notre relation était finalement plus conflictuelle qu’harmonieuse.
C’est en devenant bénévole en refuge, où j’ai pu observer jour après jour le fonctionnement de chiens en groupe, que j’ai constaté qu’il ne se dessinait aucun profil de « chien Alpha » au sein d’un groupe de canidés vivant pourtant ensemble en permanence. Il y avait des conflits, parfois, pour de la nourriture ou lors de moments d’excitation. Il y avait des caractères extravertis, d’autres plus discrets, des chiens plus curieux qu’on pouvait prendre pour des « meneurs », mais qui étaient surtout les plus hardis et les plus explorateurs du groupe, les premiers à aller renifler un nouvel arrivant. Mais aucun chien, mâle ou femelle, ne semblait endosser ce fameux rôle de grand gourou que nous, humains, fantasmions tant.
J’ai alors définitivement laissé tomber la théorie de la dominance inter-spécifique. Si les chiens ne cherchaient pas à se dominer entre eux, pourquoi le feraient-ils avec des animaux d’une espèce différente (les humains) ? Ma relation avec ma chienne Diana s’en est trouvé presque instantanément améliorée. Je ne portais plus sur les épaules le devoir de dominer ma chienne, et Diana ne se voyait plus infliger des règles restrictives totalement absurdes à ses yeux. J’ai appris à observer Diana comme ce qu’elle était : juste une petite chienne American Staff qui ne demandait qu’à profiter de la vie, et qui, si elle ne revenait pas au rappel immédiatement ou mangeait quelque chose de répugnant au sol, ne le faisait pas pour me défier ou me contrarier, mais juste parce que cela lui apportait du plaisir. Bien entendu, je ne l’ai pas pour autant laissée faire tout ce qu’elle voulait, car pour sa sécurité et le respect de notre entourage, c’était chose impossible. Mais j’ai cessé de vouloir contrôler tous ses faits et gestes, et croyez-moi, cela a été une décision qui a changé définitivement ma vie et ma façon d’envisager mon travail d’éducatrice.
Depuis huit ans, je travaille beaucoup avec les chiens en groupe, et leur observation m’apprend énormément. J’observe régulièrement des conflits, où l’on peut presque toujours constater la présence d’un « gagnant » et celle d’un « perdant ». Mais cette dynamique peut tout à fait s’inverser selon les circonstances : il n’existe aucun « gagnant », aucun « dominant » définitif. Un chien peut tout à fait en agresser un autre pour un quignon de pain traînant au sol ; mais le jour où il n’aura pas faim, et que son congénère, lui, sera affamé, il se fera peut-être alors envoyer sur les roses, et l’acceptera. Les conflits chez le chien dépendent souvent de la motivation de l’animal à posséder une ressource à un instant T, non d’un statut social immuable « dominant » ou « soumis ». La hiérarchie linéaire existe au sein d’autres espèces, chez la poule domestique par exemple, où la poule A domine tout le groupe, la poule B domine le groupe sauf la poule A, etc. Mais ce type de hiérarchie n’existe pas chez le chien.
Mais alors, pourquoi l’idée d’une hiérarchie intra et inter-spécifique est-elle encore aussi répandue aujourd’hui ? Premièrement, parce qu’elle arrange bien l’humain qui, il faut le dire, aime bien se sentir au-dessus de toute autre forme de vie. Peut-être aussi parce que, n’ayant plus d’esclaves, de domestiques, d’épouses à dominer, l’humain a besoin de reporter son besoin de contrôle d’un autre être vivant, sur cet exutoire à quatre pattes qu’est le chien. Et aussi, parce qu’il a longtemps basé sa théorie sur l’observation des loups, estimant que le chien n’était qu’un « loup domestiqué ». Ce qui est on ne peut plus faux : je m’explique.
Premièrement, le chien ne descend pas du loup. Le chien et le loup actuels ont un ancêtre commun, mais ils sont deux espèces distinctes, comme l’être humain et le chimpanzé. Se baser sur l’un pour expliquer le comportement de l’autre, c’est comme interpréter un comportement humain en observant celui d’un bonobo. D’autre part, les loups, dans la nature, fonctionnent en meutes familiales. La hiérarchie qui s’établit entre eux est naturelle, basée sur une autorité parentale comme dans les familles humaines. On est loin du grand mâle Alpha prêt à risquer sa vie pour défendre sa place. Malheureusement, les loups observés à des fins « scientifiques » l’ont principalement été dans un environnement artificiel, c’est à dire en captivité. Or, en regroupant des individus qui ne se connaissent pas, on assiste nécessairement à des conflits, puisque l’organisation familiale naturelle n’est pas présente. Les loups ne savent pas comment trouver leur place dans le groupe et le stress provoque des situations conflictuelles. Rien de plus normal, mais en effet, cela a longtemps induit en erreur les scientifiques et les éducateurs canins qui se sont basés sur leurs observations.
Au sein de son foyer humain, le chien est nourri, logé, on lui assure sécurité et confort. Pourquoi éprouverait-il le besoin d’entrer en concurrence avec nous pour obtenir davantage ? Inutile donc, de se sentir obligé de lui rappeler notre soi-disant supériorité dès l’instant où il fait un pet de travers. Vous pouvez nourrir votre chien avant vous (ne meilleur moyen pour qu’il vous fiche la paix pendant votre repas !), le laisser observer vos allers et venues, accepter qu’il dorme sur le canapé si ça vous chante, vous ne le rendrez pas « dominant » pour autant. Le chien n’a pas besoin de notre autorité au quotidien, il sait parfaitement collaborer avec nous et accepter nos règles sans que nous ayons besoin de crier ou de le plaquer au sol pour lui rappeler où est sa place. Par exemple, mes chiens respectent des règles simples sans que j’aie besoin de « m’imposer comme femelle Alpha » auprès d’eux : ils ne touchent pas à la nourriture sur la table basse, attendent mon signal avant de descendre de voiture, ne tirent pas en laisse, ont un très bon rappel… sans que j’aie besoin d’user d’autorité avec eux. Juste parce que nous constituons un groupe qui fonctionne bien, et que nous collaborons.
Et vous, qu’est-ce qui vous a amené à abandonner la théorie de la dominance inter-spécifique dans votre relation avec votre chien ?
(Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, je vous invite à lire le grand classique de Barry Eaton, « Dominance, mythe ou réalité », publié aux éditions du génie canin. Il explique très clairement pourquoi la théorie de la dominance inter-spécifique est une vaste erreur sur laquelle nous nous basons encore malheureusement pour éduquer nos chiens).
Découvrez d’autres articles sur le comportement canin sur notre site web 👉 www.cynopolis.fr
Elsa Weiss / Cynopolis
© Tous droits réservés - 2023
Formations en ligne en éducation canine pour particuliers et professionnels, pour une relation harmonieuse avec votre chien.