01/07/2024
[le contrôle comme outil contre la réactivité]
Les personnes qui partagent leur vie avec un chien réactif pourront en témoigner : dans le long chemin vers l'apaisement de la réactivité, de nombreux renforçateurs sont utilisés pour valoriser les comportements attendus : friandises, séquences de jeu, contact physique, accès à une ressource...
Si ces renforçateurs peuvent être tout à fait valides et efficaces dans le processus de rééducation, en fonction du chien et de la situation, il en est un que j'affectionne particulièrement, et qui constitue la base de la méthode B.A.T (Behavior Adjustment Training, en français "technique d'ajustement du comportement), que j'utilise beaucoup dans mes suivis comportementaux : la capacité à exercer du contrôle sur l'environnement et à faire des choix.
Quelques explications :
🍁Tout être vivant a besoin de sentir qu'il exerce une forme de contrôle sur son environnement pour s'y sentir en sécurité. À divers degrés, les humains n'échappent pas à cette règle. Quelques exemples :
- on tend de plus en plus à éviter de laisser un jeune enfant pleurer, car les pleurs sont un moyen pour l'enfant d'exercer du contrôle sur l'environnement en rappelant la figure d'attachement dont dépend sa survie. L'absence de contrôle sur la situation, par la non réaction aux pleurs, entraîne de l'angoisse (et favorise le développement de mécanismes d'adaptation néfastes pour le développement affectif et neuro-cérébral) --> coucou l'impuissance acquise, un terme qui doit maintenant parler à beaucoup d'entre vous
- de nombreuses personnes ont besoin de connaître leur planning en avance afin de se sentir sécurisées, de façon à éviter au maximum les imprévus gênants, de pouvoir gérer leur quotidien, etc. Cette forme de prévoyance leur permet de se sentir plus en contrôle de la situation face à l'inconnu
- on observe beaucoup, chez les personnes vieillissantes vivant en maisons de retraite, une augmentation des angoisses (ainsi qu'une baisse des capacités cognitives) lorsque la possibilité de choisir ses activités, ses repas, ses heures de sortie... se réduit. Ce constat peut amener à penser que la capacité à faire des choix et à exercer du contrôle sur sa propre vie est prépondérante dans le bien-être mental et la maîtrise des angoisses
En tant que mammifères sociaux, nos chiens et nous-mêmes possédons des fonctionnements cérébraux extrêmement similaires. De ce fait, il est loin d'être absurde de penser que, comme chez l'humain, la capacité à faire des choix est absolument primordiale pour l'équilibre psychologique et émotionnel
🍁 Quel rapport avec la réactivité me direz-vous ? Quelques pistes :
- la réactivité peut se déclarer (et c'est malheureusement souvent le cas) suite à des évènements qui ont placé le chien en position passive, qui l'ont rendu impuissant face à une situation dangereuse/effrayante/douloureuse/anxiogène. Les raisons peuvent être multiples : tenue en laisse empêchant la fuite lors d'un incident, environnement étroit empêchant l'évitement, non-respect des signaux de distanciation du chien, éducation basée sur la peur/douleur/inconfort qui punit les prises d'initiative, environnement trop pauvre pour apprendre à faire des choix...
- la réactivité se situe par définition dans l'action : le chien charge, aboie, grogne, claque des dents, cherche à mordre... Bref, il cherche à FAIRE quelque chose pour éloigner (ou pour se rapprocher de, en fonction des émotions qui sous-tendent les comportements) l'élément déclencheur. Par ses actions, il cherche à regagner du contrôle sur son environnement en se débarrassant de ce qui le gêne, en contrôlant le mouvement de ce qui l'effraie (coucou les chiens qui se mettent à vouloir arrêter les voitures après s'être faits percuter)...
- le sentiment de perte de contrôle, comme dit précédemment, génère de l'angoisse et de la tension. Ce stress, de par les réactions physiologiques qu'il provoque (augmentation du flux sanguin, de la fréquence cardiaque, dilatation des pupilles...) prépare le chien à l'action, le rend plus prompt à réagir pour stabiliser ses émotions. Le retour à l'homéostasie (sentiment de paix et d'équilibre intérieur) se fait alors à travers l'action... Qui se traduit alors par des comportements dits "réactifs"
🍁 Une fois ces constats établis, comment cette histoire de contrôle et de capacité à faire des choix peut-elle nous aider dans l'amélioration de la réactivité ?
- lorsqu'on met un chien en contact avec un de ses déclencheurs (et lorsque je dis en contact je n'entends pas forcément à proximité immédiate; en fait, il est fréquent que le travail commence à grande distance, puisque le but est de garder autant que possible le chien sous son seuil de déclenchement), il est primordial s'assurer que le chien a LE CHOIX de la distance qu'il souhaite mettre avec celui-ci. La sélection de l'environnement de travail est alors primordiale : il sera nécessaire de choisir un lieu large, dégagé (mais avec assez d'obstacles visuels pour pouvoir faire des pauses), et que ledit déclencheur soit sous contrôle afin qu'il ne puisse pas s'approcher plus que le chien est capable de tolérer (d'où l'intérêt de l'approche B.A.T), sous peine de mettre à mal cette fameuse capacité de contrôle sur l'environnement
- une fois cela mis en place, la logique est simple à comprendre : le chien peut produire tous les comportements qu'il souhaite pour interagir avec son déclencheur et avec l'environnement, tant que ceux-ci sont définis comme adaptés et non-dangereux. Quelques exemples : le chien aura la possibilité de regarder le déclencheur, de s'en approcher calmement, de s'en éloigner, de renifler au sol, de produire des signaux d'apaisement ou de distanciation (dans ce cas précis, il sera alors important de les repérer et d'accéder à la demande sous peine d'escalade des comportements), de se poser pour faire une activité (comme mâchouiller de l'herbe ou un bâton)... Bref, tout comportement LIBREMENT CHOISI par le chien sera respecté et renforcé de lui-même en lui procurant un effet positif (détente, prise d'informations, sentiment de sécurité, etc)
- si le chien produit des comportements dangereux, nous partons du principe que la configuration de la situation ne lui a pas permis de produire les choix adéquats : une modification de paramètres s'impose. Un réglage de la distance, de la difficulté du déclencheur (profil de chien/humain, mouvement, attitude...), de l'environnement en lui-même, pourra être effectué
- il est absolument essentiel de ne pas punir ce que nous considérons être des "mauvais choix" : le chien, lui, ne fait pas de mauvais choix, il fait simplement "un choix", et tout comportement est une tentative de regagner du contrôle. Punir cela, c'est s'exposer au risque de voir s'inhiber la capacité du chien à prendre des décisions... Y compris les bonnes. Et le cercle vicieux se remet en route. Pour palier aux comportements inadéquats, on favorisera toujours la gestion d'environnement, comme expliqué dans le point précédent
- le but final de cette technique est, par la répétition des comportements adéquats entraînant des conséquences positives pour le chien, de renforcer sa confiance en lui, en son environnement, son libre-arbitre. Et de voir, à terme, les comportements adaptés et réfléchis se généraliser
La capacité à faire des choix et à avoir du contrôle sur sa vie est un élément central pour le bien-être de tout être vivant. Outre les soucis de réactivité, garder ce principe en tête dans chaque composante de la relation avec nos chiens nous permettra d'entretenir cette relation de façon saine, et de développer leur résilience et leur capacité à faire des choix sécuritaires pour eux, pour nous et pour autrui.
Juliette Sastre
Yes We Dog - Education & Comportement canin
Illustration : Pancho, qui fait le choix de regarder passer le berger allemand, puis de se détourner pour renifler au sol et retourner à ses activités