03/17/2021
Not one more vet
La vague de sensibilisation à la détresse vétérinaire (Not One More Vet)
De nombreux membres de la communauté vétérinaire élargie ont récemment changé leur photo de profil pour y ajouter le logo NOMV, qui signifie Not One More Vet, ou en français : pas un vet de plus. Cette initiative a vu le jour en 2014, peu de temps après le su***de de Dre Sophia Yin, une médecin vétérinaire dévouée et une sommité en Amérique du Nord, en comportement animal.
Malheureusement, Dre Yin n’est pas un cas isolé. Le taux de su***de chez les médecins vétérinaires est près de 3 fois celui de la population générale au Québec. Une récente étude par l’Association canadienne des médecins vétérinaires (ACMV) a révélé que 26.2 % des vétérinaires sondés avaient déjà considéré s’enlever la vie. La vague fait suite à l’annonce récente de plusieurs décès par su***de parmi nos collègues vétérinaires américains, mais ces mauvaises nouvelles sont tristement récurrentes depuis plusieurs années. La fatigue compassionnelle, l’épuisement professionnel, la dépression et le su***de sont trop fréquents au sein de la profession et c’est pourquoi il est si important d’en parler ouvertement.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la détresse chez les médecins vétérinaires et leur personnel. C’est certainement un métier hautement émotif, tantôt gratifiant, tantôt déchirant. Dans la même journée, nous passons par toute une gamme d’émotions que ce soit en vaccinant une adorable machine à ronronnement, lors d’une chirurgie qui sauve la vie d’un de nos patients chéris, au moment d’une annonce difficile à faire ou pendant l’euthanasie d’un animal que nous suivons depuis des années.
Évidemment, la charge de travail grandissante a son rôle à jouer également. Avant la pandémie, il existait déjà une pénurie de personnel vétérinaire au Québec et celle-ci a été grandement exacerbée par les mesures sanitaires et la vague d’adoption d’animaux dans les foyers québécois. Les établissements vétérinaires sont réellement à bout de souffle et les délais qui s’allongent, bien malgré eux, augmentent le stress et, souvent, la frustration des propriétaires d’animaux inquiets.
Les coûts des soins vétérinaires sont un enjeu important, et c’est un sujet épineux qui a souvent tendance à déraper sur les réseaux sociaux. Au Québec, nous avons cette grande chance de ne pas connaître le coût de nos soins de santé grâce à notre carte-soleil, mais celle-ci fait en sorte que nous ne réalisons pas ce que coûte réellement la médecine de nos jours. Pendant toutes nos consultations, sauf exception, nous devons aborder la délicate question de l’argent. C’est cet aspect de la médecine vétérinaire qui a été le plus difficile pour moi et, très honnêtement, c’est la raison pour laquelle j’ai sérieusement considéré quitter la profession en début de carrière, malgré mon grand amour pour les animaux.
Je crois qu’il y a véritablement un problème de perception des coûts des soins vétérinaires. C’est compréhensible, car il est difficile de bien saisir l'ampleur des investissements nécessaires pour pratiquer la médecine vétérinaire. La majorité des établissements vétérinaires sont équipés comme de véritables « petits hôpitaux humains ». Ceux-ci sont généralement dotés d’appareils médicaux onéreux pour effectuer, notamment, des radiographies, des échographies ou des analyses sanguines afin de pouvoir établir des diagnostics et des plans de traitement rapidement. La plupart d’entre nous doivent également prévoir une salle de chirurgie adéquate pour stériliser les animaux et procéder à des traitements chirurgicaux sur place. Un aménagement particulier de l’établissement est souvent prévu pour les animaux nécessitant une surveillance plus étroite lorsqu’ils sont hospitalisés. Outre le bâtiment et les appareils, il y a bien sûr le personnel de l’établissement, si essentiel au bon fonctionnement des pratiques vétérinaires. J’en profite ici pour souligner le travail exceptionnel et le dévouement de nos technicien(ne)s en santé animale et de notre personnel de soutien, qui nous permettent de soigner efficacement nos patients au quotidien. La médecine vétérinaire amène son grand lot de dépenses et les professionnel(le)s qui choisissent cette voie ne le font pas pour l’argent.
Nous sommes conscients que la facture peut grimper rapidement et, tous les jours, nous nous efforçons à trouver des solutions, des plans B à Z, pour accommoder le budget de nos clients, parce que nous souhaitons de tout cœur aider les animaux. Vraiment. Nous avons néanmoins le devoir déontologique de recommander le meilleur plan de soins pour l’animal et il revient au propriétaire de prendre une décision éclairée avec les informations qu’on lui transmet. Toutefois, les propriétaires d’animaux n’ont parfois pas prévu ces dépenses dans leur budget et certains nous jettent donc le fardeau de leur propre situation, sous le stress de devoir faire face à des décisions difficiles.
Je ne peux que partager mon expérience, mais je sais que bien des médecins vétérinaires vivent le même combat. Ce qui me hante la nuit, c’est de savoir que certains propriétaires d’animaux remettent en question ma bonne volonté et me prêtent carrément de mauvaises intentions, alors que je fais sincèrement tout mon possible pour soigner leurs petits et grands compagnons. Ici, je parle de mots que nous avons tous entendus : arnaque, vol ou pire… Ceux qui me connaissent savent que l’intégrité, l’honnêteté et la transparence sont des valeurs fondamentales pour moi et c’est pour cela que ce genre de discours réussit à m’atteindre droit au cœur, malgré les barrières que j’ai érigées pour me protéger. C’est le même phénomène pour les membres de notre équipe vétérinaire, qui se démènent au quotidien pour soulager et prendre soin de nos précieux patients ainsi que de leurs propriétaires. Heureusement, une grande partie de nos clients apprécient réellement nos efforts et c’est ce qui nous donne la force de continuer.
Nous perdons de nos vaillants soldats au combat. Littéralement. C’est pourquoi cette vague de sensibilisation à la détresse vétérinaire est si essentielle. Aujourd’hui, plus que jamais, soyez indulgents et bienveillants envers votre équipe vétérinaire. Développez un lien de confiance avec les membres du personnel de votre établissement vétérinaire. Ces professionnel(le)s sont de bonne foi et feront tout en leur pouvoir pour aider votre animal et vous conseiller tout au long de sa vie. S’ils et elles sont là, c’est par passion et par amour pour les animaux, n’en doutez surtout pas.
Avec toute ma sincérité,
Dre Angélique Perrier-Edmunds, m.v.
Présidente de l’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux
Références :
https://www.nomv.org/story/
https://www.lapresse.ca/.../01-5184611-des-veterinaires...
Perret, J. L., Best, C. O., Coe, J. B., Greer, A. L., Khosa, D. K., & Jones-Bitton, A. (2020). Prevalence of mental health outcomes among Canadian veterinarians. Journal of the American Veterinary Medical Association, 256(3), 365-375.