
03/21/2025
''Alors oui, discutons. Parlons d’accessibilité, de transparence, de solutions concrètes pour que personne ne doive choisir entre leur animal et leur portefeuille. Mais faisons-le honnêtement, en respectant les gens de terrain qui, tous les jours, essaient de bien faire leur travail, malgré les contraintes, les critiques et les fausses perceptions.''
Réponse à Gilles Proulx et Vincent Marissal - Lettre ouverte d’un vétérinaire
Messieurs Proulx et Marissal,
Je suis vétérinaire et propriétaire de cliniques locales. J’ai lu, ces derniers jours, vos propos respectifs sur la profession vétérinaire — monsieur Proulx, dans votre chronique du 20 mars, et monsieur Marissal, dans vos déclarations publiques et propositions politiques. Permettez-moi de vous répondre avec franchise, mais aussi avec l’espoir de rétablir un peu de nuance dans ce débat.
Car ce que je ressens, comme bien des collègues vétérinaires, c’est une profonde déception. Ce que vous présentez, l’un par l’indignation médiatique, l’autre par le populisme politique, mine la confiance entre le public et les professionnels de la santé animale qui œuvrent avec intégrité, ici même, dans nos communautés.
Je travaille chaque jour avec mes collègues pour offrir des soins de qualité, tout en essayant de garder nos services accessibles. Ce n’est pas facile. Garder une clinique à flot, ce n’est pas une question de profits extravagants, c’est un équilibre constant : loyers, matériel, médicaments, équipement médical, logiciels, assurances, oxygène médical… Et surtout, offrir à notre personnel des conditions de travail humaines. Rien de luxueux, juste de quoi soigner, chaque jour.
Oui, un propriétaire de clinique peut en venir à bien gagner sa vie, lorsqu’un certain volume est atteint. Mais ce revenu n’a rien d’indécent : il est directement proportionnel à la charge mentale, à la responsabilité et à l’implication quotidienne que cela exige. Être propriétaire d’une clinique, c’est veiller sur une entreprise vivante, en constante évolution. C’est être à la fois soignant, gestionnaire, mentor, médiateur, innovateur… Un pilier qui porte tout, chaque jour, sans relâche.
Quant à nos employés, parlons franchement.
Les techniciennes en santé animale — formées, dévouées, essentielles — gagnent entre 20 $ et 27 $ de l’heure. C’est honteusement bas pour leur niveau d’expertise.
Les vétérinaires salariés ? Entre 50 $ et 75 $ de l’heure. Après cinq années d’études universitaires parmi les plus sélectives, et avec une responsabilité légale et médicale énorme. Ce n’est pas à la hauteur du stress, de la charge mentale et du travail constant que cette profession implique.
Alors non, la majorité d’entre nous ne roulons pas sur l’or. Nous roulons sur la passion. Et trop souvent, sur l’épuisement.
Dans votre chronique, monsieur Proulx, et dans vos interventions, monsieur Marissal, vous évoquez des cas de factures salées, sans contexte. Mais la réalité, sur le terrain, est bien plus complexe. Nous n’imposons rien. Nous expliquons, nous conseillons, nous proposons des options. Et surtout, nous respectons les choix des propriétaires.
Je veux vous raconter un cas qui m’a profondément marqué. Un homme s’est présenté un soir avec son chien visiblement très mal en point. L’animal était gravement déshydraté, faible, dans un état critique. Notre équipe a recommandé l’essentiel : hospitalisation et réhydratation. Rien d’excessif, simplement ce qui était médicalement nécessaire.
Il a tout refusé.
Le lendemain matin, il nous a rappelés : le chien était mort. Et il était furieux. Il a dit, texto : « Ben moi, j’ai lu et entendu que les vétérinaires étaient des crosseurs dans les médias, alors j’ai refusé le traitement. »
Ce chien est mort, non pas faute de soins, mais faute de confiance. Et cette méfiance, c’est précisément vous, messieurs, et des reportages comme celui de La Facture, qui l’alimentez. C’est vous qui avez, indirectement, privé cet homme de sa confiance envers nous. Et c’est cette perte de confiance qui a tué son chien.
Voilà la vraie tragédie.
Oui, il y a des enjeux importants dans notre profession, notamment liés à l’arrivée de grandes structures d’affaires qui ont modifié en profondeur le paysage vétérinaire québécois. Sans pointer du doigt, il est vrai qu’une part importante du marché – soit 30 % des établissements vétérinaires – est désormais détenue par quelques groupes, lesquels ont racheté les plus grandes cliniques du Québec, souvent à des prix deux fois plus élevés que leur valeur réelle.
Comme ils achètent majoritairement les plus gros établissements, cela représente environ 50 % des vétérinaires embauchés, et donc, près de la moitié du marché. C’est une stratégie classique de “roll-up” : prendre le contrôle d’un marché fragmenté, intégrer verticalement les services et redéfinir les standards. Et oui, cela a un impact sur les prix. C’est indéniable.
Mais ces changements structurels ne devraient pas servir d’excuse pour jeter le blâme sur tous les vétérinaires — qu’ils tiennent tête à cette vague et restent indépendants, enracinés dans leur communauté, ou qu’ils aient choisi, pour toutes sortes de raisons personnelles ou professionnelles, de travailler au sein de ces grands groupes. Tous les vétérinaires que je connais travaillent toujours pour le bien de leurs patients et font du mieux qu’ils le peuvent, peu importe la structure pour laquelle ils œuvrent.
Certes, il y a lieu de se poser des questions sur ce phénomène de consolidation dans le monde vétérinaire, mais en aucun temps, l’intégrité individuelle des vétérinaires n’est, à mon avis, en jeu.
Il faut aussi corriger une perception erronée sur les prix des médicaments vendus en clinique. Oui, ils sont généralement plus chers qu’en pharmacie humaine ou en ligne. Mais ce n’est pas une anomalie ou une tentative d’arnaque : c’est une composante essentielle du modèle économique vétérinaire. La marge sur les médicaments permet justement de maintenir à un niveau raisonnable les coûts des soins.
Si on réduit cette marge ou si on déplace massivement les achats vers l’extérieur des cliniques, ces revenus devront être compensés ailleurs. Cela veut dire que les consultations, chirurgies, soins hospitaliers, etc., verront leur coût augmenter de 15 % à 30 %. Ce n’est pas de la spéculation, c’est une réalité comptable incontournable : les revenus en clinique sont des vases communicants.
Et ce n’est pas tout. Une baisse des ventes internes de médicaments entraîne aussi une hausse des pertes dans les inventaires : des produits périmés, jetés, mal stockés faute de roulement suffisant. Cela pousse les cliniques à restreindre leur pharmacopée, à offrir moins de molécules en stock, ce qui nuit directement à la qualité et à la rapidité des soins, notamment en cas d’urgence. Ce sont des patients hospitalisés qui, demain, pourraient ne pas recevoir la molécule idéale parce qu’elle n’est plus tenue en stock.
Là encore, c’est l’accessibilité aux soins qui s’effondre — et ce sont les animaux et leurs propriétaires qui paient le prix, pas les cliniques.
La vaste majorité d’entre nous travaillons avec cœur, avec rigueur, avec la volonté sincère d’aider les animaux et leurs humains. Nous vivons nous aussi la détresse des clients qui n’ont pas les moyens. Nous vivons les nuits blanches, les deuils, les sacrifices personnels. Cette profession est plus une vocation qu’un commerce.
Alors oui, discutons. Parlons d’accessibilité, de transparence, de solutions concrètes pour que personne ne doive choisir entre leur animal et leur portefeuille. Mais faisons-le honnêtement, en respectant les gens de terrain qui, tous les jours, essaient de bien faire leur travail, malgré les contraintes, les critiques et les fausses perceptions.
Parce que non, messieurs, nous ne prenons personne en otage. Nous sommes là pour soigner, pour aider, pour accompagner. Et nous méritons mieux que d’être traités comme des profiteurs.
Respectueusement,
Dr Charles Rochette, m.v.
Vétérinaire et propriétaire de cliniques locales au Québec