02/15/2024
Ethique ou pas? Doit-on y voir une explicitation a l’augmentation des frais veterinaires?
Mais la véritablee question c’est: est-ce que cela aide l’image de la profession déjà affaiblie par ce que le public pense des coûts actuels pour soigner leurs animaux?
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Magdaline Boutros
15 février 2024
Économie
Des vétérinaires du Québec reçoivent, en plus de leur salaire de base, un pourcentage sur les services et les produits facturés aux clients. Cette pratique venue des États-Unis est surtout présente chez des spécialistes qui travaillent dans des urgences vétérinaires appartenant à de grandes enseignes, mais elle s’étend à certaines cliniques de quartier. Une tendance encore marginale, mais qui prend de l’ampleur et qui inquiète certains vétérinaires.
Un vétérinaire indépendant ayant requis l’anonymat par crainte de représailles estime que les grandes enseignes, qui occupent une place de plus en plus importante dans le milieu au Québec, « sont en train de changer le visage du marché vétérinaire ». Verser un pourcentage de la facture aux vétérinaires plutôt que de les payer uniquement à l’heure peut mener à des dérives éthiques et affecter la qualité de leur travail, croit-il.
Parmi les craintes exprimées par ce vétérinaire — et par d’autres — figure le danger de la surfacturation et de travailler trop vite. « Plus tu vas vite, plus tu [factures au client], plus tu vas faire de l’argent dans ta journée. C’est tellement direct [comme lien] que c’est sûr que ça met de la pression. »
Si ce mode de rémunération continue à s’étendre, ce vétérinaire propriétaire craint d’ailleurs de devoir lui aussi se résoudre à payer ses vétérinaires de la sorte. « J’aurai pas le choix de suivre » la tendance du marché, mentionne-t-il également.
Verser aux vétérinaires un pourcentage de la facture ne contrevient pas à leur code de déontologie, mentionne le Dr Gaston Rioux, président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ). Il note que d’autres professionnels de la santé — les médecins et les dentistes, notamment — sont payés à l’acte ou à pourcentage. « Mais il ne faut pas que ce type de rémunération influence les choix des médecins vétérinaires [pour traiter un animal] », précise-t-il.
L’article 19.2 du Code de déontologie des médecins vétérinaires stipule que « le médecin vétérinaire est notamment dans une situation de conflit d’intérêts s’il reçoit, en plus de la rémunération à laquelle il a droit, une commission, une ristourne, un avantage ». Une distinction doit toutefois être faite entre un pourcentage et une commission, mentionne le Dr Rioux. « Une commission, on le voit plus comme [quand on dit à un vétérinaire] : “Tu vas vendre tant de poches de moulée pour chiens, tu vas vendre tel type de vaccin et, si tu ne fais pas ton quota, tu vas avoir des pénalités.” C’est vraiment ça qui n’est pas acceptable. »
Récompenser le bon travail ?
L’enseigne Vet et Nous, qui possède 34 établissements, fait partie des cliniques qui offrent ce type de rémunération à plusieurs de ses vétérinaires. Un pourcentage des sommes facturées aux clients pour un éventail de soins médicaux et de produits (comme la nourriture) leur est versé. « La partie “commission” représente un très petit pourcentage au-dessus du salaire », explique Sébastien Kfoury, président et directeur des services médicaux chez Vet et Nous.
Cette pratique est « surtout [présente] chez nos spécialistes dans les centres de référence et les urgences », indique-t-il, en ajoutant ne pas être fermé à ce que ce mode de rémunération soit étendu à davantage de vétérinaires de l’enseigne. « Je trouve que c’est une belle façon de les encourager à travailler bien, à travailler plus et à en donner plus aux clients. » Offrir un pourcentage permet de récompenser, par exemple, un chirurgien qui va se lever la nuit pour opérer un chien ou qui va rester plus t**d au travail pour traiter un cas complexe, mentionne-t-il.
Le Dr Kfoury reconnaît que ce type de rémunération ne fait pas l’unanimité auprès des médecins vétérinaires, notamment en raison de la perception que peuvent en avoir les clients. Mais, selon lui, il n’y a pas de lien à établir entre le mode de rémunération et l’éthique de travail du vétérinaire, qui est encadrée par son code de déontologie. « On n’est pas des vendeurs, on est des médecins. Notre job, c’est de soigner l’animal. […] C’est quand il y a un quota [à atteindre] que ça devient un peu plus à risque de dérive. »
Daubigny, le plus grand conglomérat vétérinaire au Québec avec ses 105 établissements, n’a pas voulu accorder d’entrevue au Devoir sur ce sujet ni nous fournir de déclaration écrite.
Caroline de Jaham, p.-d.g. du groupe DMV, qui englobe 30 cliniques Passionimo en plus de centres de référence, indique que son regroupement refuse « d’aller dans cette avenue ». « Notre philosophie, c’est de ne pas mettre de pression financière sur les médecins vétérinaires », dit-elle. Ceux-ci sont déjà sous pression — et souvent pris dans des discussions difficiles — en naviguant entre les capacités financières des propriétaires d’animaux et la qualité des soins qu’ils veulent offrir, dit-elle. « On se dit que rajouter un élément de complexité qui est “ma paye en dépend” serait contre-productif. »
Pression éthique
L’ancienne présidente de l’OMVQ Caroline Kilsdonk, qui offre des ateliers en éthique à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, fait valoir qu’il n’y a pas de mode de rémunération parfait et que c’est « compréhensible que la rémunération des médecins vétérinaires puisse varier avec une certaine productivité ».
Selon l’analyse de cette vétérinaire et bioéthicienne, « plus la commission représente une part importante du revenu, plus l’“enfreinte” éthique est grande ». Elle ajoute qu’avec les avancées en médecine vétérinaire, « il y a déjà un contexte médical, technique, scientifique qui amène à faire le plus de tests possible pour rechercher une certitude diagnostique et un traitement vraiment efficace ».
Cette pression « existe de toute manière », mais la rémunération à pourcentage « peut amplifier » ce phénomène, poursuit-elle, sans que ce soit fait consciemment par le vétérinaire. « L’éthique, c’est pas juste des gens qui se disent [ou non] : “Ah, je vais profiter des autres.” C’est tout un contexte organisationnel. »
Quelle jurisprudence ?
Selon la Dre Sonia Voyer, la syndic de l’OMVQ qui est chargée de faire respecter la réglementation, ce mode de rémunération serait dérogatoire seulement s’il était démontré que le jugement du vétérinaire était biaisé et qu’il voulait « favoriser ses intérêts personnels au lieu des intérêts de son client ». Fixer un montant de vente minimal pour avoir droit à un pourcentage contreviendrait aussi au Code de déontologie, précise-t-elle.
L’avocate Véronique Brouillette, associée chez Cain Lamarre et chargée de cours en droit des professions à l’UQAM, indique n’avoir trouvé aucune décision « dans laquelle on aurait conclu que la rémunération par pourcentage, en soi, représenterait une commission, une ristourne ou un avantage et placerait donc le professionnel [vétérinaire ou autre] en situation de conflit d’intérêts ».
Elle ajoute toutefois que, selon sa lecture, « une entente à pourcentage qui prévoirait, au-delà des honoraires professionnels [pour les services rendus], un montant pour la vente de produits pourrait placer le professionnel en situation de conflit d’intérêts ».