
03/04/2025
Petit texte très bien récris par un collègue et ami éducateur basé sur Chambéry...😉
A la question « Mon chien adore rapporter la b***e que je lui lance ! Est-ce que je dois y jouer tous les jours ?»
Ma première réponse est toujours « Non ! Surtout pas avec les races de travail comme le Malinois, le Berger Allemand, le Berger Hollandais, le Border Collie ou tout autre chien à fort instinct de prédation »
Cette réponse peut vous surprendre, voire vous paraître incohérente. Je le comprends - votre chien vous apporte la b***e, les yeux brillants, le corps plein d'énergie, vous suppliant pratiquement de la lancer. On a l'impression de créer du lien. On a l'impression de le défouler. Mais d'un point de vue comportemental et neurobiologique, ce n'est pas le cas. En fait, cela pourrait être l'une des habitudes quotidiennes les plus nuisibles pour la santé mentale de votre chien.
Laissez-moi vous expliquer cela en détail. Ce sera long, mais si vous avez un chien dit « de travail », vous devez bien comprendre ce qui suit, car comme souvent, tout est dans la nuance !
Les chiens de travail comme le Malinois ou le Border Collie, races à la mode et pour lesquelles je constate fréquemment des individus en mal-être, ont été sélectionnés au fil des générations pour leur intensité, leur persistance et leur motivation à s'engager dans des comportements liés à la séquence de prédation (c’est-à-dire détecter, traquer, chasser, attraper, mordre, tuer). Dans leur rôle de chiens de police, de protection, de troupeau ou militaires, ces schémas moteurs génétiquement codés sont partiellement utilisés et dirigés vers des tâches définies par l'homme.
Rapporter la b***e est une imitation artificielle de cette séquence de prédation : la b***e = une proie, le lancer = le stimulus de mouvement, la chasse de la b***e = le renforcement, l’attraper et la rapporter = clôture de la séquence.
Chaque fois que vous lancez cette b***e, vous ne faites pas seulement donner de l'exercice physique à votre chien. Vous déclenchez un schéma-moteur évolutif, conçu pour aboutir à la mort d'une proie. Mais voici le hic : la "morsure mortelle" n'arrive jamais. Il n'y a pas de satisfaction en fin de séquence, sauf quand le chien commence à mâcher la b***e sans la rendre, ce qui entraîne encore plus de problèmes puisqu’après 2 b***es neuves détruites, vous avez investi dans une b***e indestructible (donc une proie que votre chien ne peut jamais mettre à mort). Le chien est donc laissé neurologiquement dans un état d'excitation.
Quand votre chien revoit cette b***e, son cerveau est gavé de dopamine. Anticipation, motivation, envie. Quand vous la lancez, l'adrénaline entre en jeu et sature son organisme. Cela donne un cocktail de forte excitation et d’instinct primaire.
La dopamine n'est pas la substance chimique de la récompense - c'est la substance chimique de la poursuite. Elle crée l'envie de chasser, de répéter le comportement. L'adrénaline et le cortisol, les hormones du stress, sont sécrétées pendant la chasse. Et même si le chien attrape la b***e, la clôture biochimique n'a jamais vraiment lieu car le chien ne se « pose » pas neurologiquement en consommant sa proie. Et le schéma est réinitialisé, encore et encore, à chaque lancer.
Imaginez maintenant faire cela tous les jours. Le cerveau de votre chien commence à se câbler pour un état permanent de haute alerte, s'attendant constamment à la stimulation, à l'excitation, au mouvement. C'est ainsi que nous créons un stress chronique. En effet, son système nerveux autonome a deux branches principales : le système nerveux sympathique (pour « combat, fuite, chasse ») et le système nerveux parasympathique (pour «repos, récupération, digestion»). Rapporter la b***e, jeu basé sur la prédation, stimule le système sympathique.
Quel est le vrai problème ? La plupart des propriétaires n'aident jamais le chien à redescendre de cet état de haute alerte. Il n'y a pas de décompression, pas d'activation parasympathique, pas de transition vers le repos. Nous créons un chien qui est neurologiquement piégé dans l’instinct primaire - toujours en train de chasser, jamais en train de se reposer, avec des dommages sur son état de santé. En effet, la dominance neuro-sympathique chronique entraîne plusieurs symptômes :
- Agitation, halètement, incapacité à se calmer
- Hypervigilance
- Réactivité au mouvement
- Obsession pour les b***es, les jouets, voire les autres chiens
- Comportements destructeurs
- Sommeil non réparateur
- Problèmes digestifs
- Système immunitaire affaibli avec le temps
- Burn-out comportemental
Quand rapporter la b***e devient un rituel quotidien, votre chien commence à s'y attendre. Ce n'est plus un jeu. C'est un besoin conditionné. Et quand ce besoin n'est pas satisfait ? Stress, frustration, obsession. Un chien qui s'attend à chasser (au sens prédation) tous les jours mais ne l'obtient pas peut commencer à rediriger cette pulsion ailleurs - en chassant les ombres ou les lumières, les chats, les cyclistes, les voitures, etc. C'est ainsi que se forment les schémas comportementaux pathologiques.
De nombreux maîtres utilisent le rapport de b***e (ou de bâton ou de freesbee) comme un raccourci pour l'exercice physique de leur chien. Mais lancer une b***e 100 fois n'épuise pas un chien de travail - cela le rend plus « tendu » neurologiquement. Ce dont ces chiens ont besoin, c'est un entraînement basé sur la relation avec son maître, un bon contrôle de son impulsivité et l’utilisation des « interrupteurs marche/arrêt », de l’engagement cognitif, de la résolution de problèmes, une dépense physique « régulée » comme des promenades structurées, de la natation, du tir à la corde avec des règles, ou un travail sportif équilibré, un travail de pistage ou de flair pour satisfaire la connexion nez-cerveau ET un temps de récupération dans un environnement calme !
Mais comment satisfaire la pulsion de prédation de ces chiens ? N’ont-ils pas besoin d'un exutoire ?
Si, bien sûr ! Et voici la nuance : la pulsion doit être satisfaite stratégiquement, et non impulsivement. C'est là qu'intervient la véritable philosophie du jeu. Au lieu de lancer la b***e à tout va, je recommande un engagement du maître dans le jeu de tir à la corde, avec des règles de lâcher, de contrôle des pulsions (travailler le « couché sous pulsion » - la capacité de passer de l'excitation au repos), avec des consignes de début et de fin de jeu claires, des séances qui intègrent le contrôle et la récompense, et des jeux de recherche, de pistage, etc… Cela construit un chien qui réfléchit, pas un chien qui réagit impulsivement.
En conclusion, ce n'est pas parce qu'il aime ça que c'est bon pour lui. Votre Malinois, Border Collie, Berger Allemand, Berger Hollandais, ou autre chien de travail peut adorer la b***e. Il peut vous l'apporter avec joie. Mais la question n'est pas ce qu'il aime – c'est ce dont il a besoin.
En tant que maître, il est de votre responsabilité de penser à long terme. Vous développez un compagnon de vie, mais aussi un athlète bien dans sa tête. Alors non, je ne recommande pas de jouer à la b***e tous les jours. Parce que chaque lancer est un renforcement de l'instinct primaire. Et l'instinct primaire, sans contrôle, ne peut être raisonné. Il ne peut pas s'auto-réguler. Le chien devient esclave de ses propres instincts.
Entraînez votre chien à s'engager avec vous, pas seulement avec le jouet. Enseignez l'excitation avec contrôle, le jeu avec un but, et le repos avec confiance. Votre chien mérite mieux que l'obsession. Il mérite l'équilibre. Il vous mérite - pas seulement sa b***e.