19/12/2024
Hocus, pocus ... focus ? Le focus, une baguette magique ?
Être focus, ça veut dire quoi ?
Le 1er lien sur lequel on tombe en recherchant ‘focus chien’ provient de la Fédération française des sports et loisirs canins. Avec comme définition : “Un chien qui est ‘focus’ c'est un chien qui porte son attention sur un point précis, une activité particulière, avec une intention précise”. Pour le Larousse, focaliser = concentrer l'attention de quelqu'un sur un point précis.
J’entends donc par “focus” toute demande de focalisation intense, par le regard, sur l’humain·e et tout apprentissage allant dans ce sens. Ne rentrent pas dans cette définition les check-ins - petits coups d’œil que le chien nous lance naturellement - et que j’utilise volontiers dans mes programmes d’entraînement.
- “Si mon chien était plus focus sur moi, il serait moins réactif / prédateur”
Oui, c'est vrai. Si votre chien ne vous quitte pas des yeux pendant la balade, il ne verra pas le chien sur l'autre trottoir ou le lapin dans le champ.
C’est un raisonnement légitime : si l’attention est constamment sur nous, les distractions n’en sont plus. Dans le cas de la réactivité et la prédation, ça peut vite être perçu comme l’outil magique.
Mais demander au chien de se focaliser sur nous lors d’une balade alors qu’il est censé interagir avec son environnement, c’est un peu dommage. Mais c’est également un apprentissage qui peut s’avérer plus compliqué qu’il n’y paraît.
Le focus en prédation ou réactivité = prendre le problème à l’envers
Si on ressent le besoin d’apprendre le focus à notre chien, c’est qu’il est facilement absorbé par son environnement, ce qui va forcément rendre l’apprentissage du focus compliqué.
- Focus : un niveau d’éveil et d'activité élevé
Le focus n’est pas, par définition, passif. Se concentrer sur son humain·e est un comportement qui implique un niveau d’éveil assez haut et ce n’est pas forcément un comportement intuitif pour notre compagnon. Ça implique un effort qui peut donc favoriser son excitation, ce qui peut s’avérer contre-productif si on vise un apaisement global en extérieur.
- “Le focus, c’est simple !”
Pour le chien chasseur, demander un focus régulièrement en présence de gibier peut être source de frustration et donc intensifier l’envie de chasser.
Si le chien est réactif ou anxieux vis-à-vis de son environnement, ce sera très contre-intuitif pour lui de ne pas scanner son environnement ou ne pas garder un stresseur à l’œil. Garder l’œil sur un déclencheur ou scanner donne un sentiment de contrôle au chien sur son environnement.
Se focaliser sur le focus (ahah) si notre chien est très absorbé par les stimuli en extérieur revient à ne pas considérer la problématique dans sa globalité, en plus de demander une fois de plus au chien de faire des efforts de communication dans un langage qui n’est pas le sien.
Les yeux dans les yeux pour un chien sous contrôle ?
- L’eye contact, un concept humain et culturel
Regarder dans les yeux = prêter attention. C’est une vision très humaine, vos demandes et vos intentions envers votre animal ne sont pas généralement communiquées par vos yeux.
C’est imposé UN aspect de la communication humaine au chien alors qu’on peut clairement s’en passer. En outre, la fixation visuelle est mal perçue et intimidante si elle est dirigée vers un congénère et certains chiens auront des difficultés à regarder les humain·es dans les yeux, même si on renforce généreusement.
- Solution pansement et altération de la communication
Le fait que le chien passe du temps à nous regarder car on lui a enseigné le focus peut avoir plusieurs inconvénients :
* C’est une solution pansement : le chien nous paraît plus facilement contrôlable mais son malaise peut être plus difficile à voir s’il nous regarde et ignore son environnement.
* Un chien qui nous regarde beaucoup naturellement peut communiquer une demande d’aide, apprendre artificiellement un focus peut entraver cette communication.
* Si on renforce le regard vers un congénère puis le regard vers nous (déformation du Look at That de Leslie McDevitt), on peut rentrer dans une chaîne de comportements dont il est difficile de sortir et renforcer une fixation visuelle qui n’est pas souhaitable. L’utilisation de renforçateurs fonctionnels (voir plus loin) est préférable en réactivité et permet au chien de gagner en autonomie.
Voici des notions et techniques que je préfère au traditionnel "focus", qui renforcent la connexion humain-chien et qui auront plus de sens pour votre animal.
Focus ≠ check-in
On peut tout à fait renforcer les coups d’œil que nous jette naturellement notre chien sans demander un focus ni un ‘yeux dans les yeux’.
“Oui mais ma chienne regarde mes mains / ma poche quand elle se retourne” : Oui et si vous lui apprenez à vous regarder dans les yeux puis la récompensez avec une friandise, son objectif est le même mais ça lui demandera plus d’efforts et de concentration de vous regarder dans les yeux alors que ce qu’elle veut est dans votre main.
On range l’ego au placard, si on utilise un renforçateur alimentaire (ou même non alimentaire), notre chien ne nous regardera pas dans les yeux pour la beauté de ces derniers, et ce, même si on travaille le fameux focus.
-> Les check-ins, c’est moins tape-à-l'œil que le focus mais comme ils demandent aussi moins d’effort, ils apparaîtront plus souvent et on aura donc plus d’occasions de les renforcer (tout bénef’).
Fenêtres de capture / renforcement
L’erreur à trop attendre que le chien soit focus sur nous, c’est qu’on loupe de nombreux comportements à renforcer. Il y a un monde entre un comportement “indésirable” et un chien qui nous regarde dans les yeux, et tout ce qui vient entre les 2 est potentiellement renforçable, surtout si notre chien est réactif, très excité ou chasseur.
La fenêtre de renforcement / capture représente le moment qui vient juste avant un comportement jugé indésirable : la seconde pendant laquelle le chien fige face à un chat, le moment où le chien fixe un congénère en se tendant etc. “Ne rien faire”, c’est souvent un comportement qui doit être renforcé.
L’orientation
Le chien communique avec sa posture et ses mouvements. Si on en a conscience dans les interactions avec des congénères, on a du mal à s’en satisfaire quand il communique avec nous.
Pourtant, avec l’orientation de la tête, du regard ou du corps, le chien nous communique plus de choses qu’en nous regardant dans le blanc des yeux.
Partages d’activités
Partager des activités en extérieur avec son chien est le meilleur moyen de créer une connexion et d’avoir un chien plus attentif à notre comportement.
Une activité n’est pas forcément excitante pour le chien, ce n’est pas forcément une activité sportive ou du jeu.
Ça peut être : faire une pause en hauteur pour scanner son environnement, trouver le plus chouette des bâtons, creuser, chercher les écureuils dans les arbres etc.
La synchronisation consiste à faire la même chose au même moment qu’un autre individu. C’est un comportement affiliatif qui a pour but de renforcer et maintenir les liens entre individus (Le comportement de mon chien, Charlotte Duranton).
Une étude a montré que les chiens ‘préfèrent’ les personnes qui se synchronisent avec eux*. Par ‘préférer’ on entend ici : approcher, s’orienter vers, rechercher la proximité avec l’individu (donc pas forcément regarder fixement)
Avec la synchronisation et le partage d’activités, on prend la problématique à sa base : on créé une connexion en extérieur avec le chien afin d’avoir plus facilement son attention si on doit le guider, rappeler etc.
Un chien facilement “guidable” plutôt que focus ?
Que veut-on au final en apprenant le focus à notre chien, notamment dans le cadre de la prédation et réactivité ? On veut un chien facilement “guidable”.
Portes de sortie et renforçateurs fonctionnels
On a plus de chances qu’un chien intègre un comportement et le reproduise de manière autonome si le comportement proposé a une fonction cohérente avec celle que le chien voulait initialement produire.
“Je m’éloigne” à la place de “je charge pour faire fuir” -> la fonction est la même : plus d’espace entre le chien et le déclencheur.
En outre, proposer des portes de sortie au chien quand il est submergé, stressé par des stimuli est le meilleur moyen d’avoir un chien qui s’oriente vers nous pour nous demander de l’aide en cas de difficultés.
Signaux de l’environnement
Pour le chien, l’environnement est composé de signaux qui vont engendrer un comportement :
Une odeur de lapin = je piste
Un copain au loin = je fonce
On peut très bien apprendre au chien à nous jeter un coup d’œil ou au moins à s’arrêter et nous attendre à la vue d’un signal de l’environnement.
L’idée est de façonner ou capturer et renforcer un comportement qu’on souhaite voir se reproduire à la vue d’un certain signal. Ça peut être : s’arrêter et nous attendre à l’approche de routes, revenir à nous quand un chien arrive au loin, etc. Les applications sont multiples. Le chien apprend ainsi à nous regarder à des moments cruciaux, ce qui renforce la communication, la connexion, la coopération.
*Duranton C, Bedossa T, Gaunet F. Pet dogs exhibit social preference for people who synchronize with them: what does it tell us about the evolution of behavioral synchronization? Anim Cogn. 2019 Mar;22(2):243-250. doi: 10.1007/s10071-019-01241-w. Epub 2019 Jan 25. PMID: 30684061.