21/05/2024
🐾 RÉCIT D’UNE TRADI REPENTIE 🐾
Avant, j’étais une « tradi ». J’ai découvert l’éducation canine il y a maintenant vingt-quatre ans, dans un club canin situé près de chez moi et au sein duquel j’enseignais à mon chien -du moins, je le pensais- les « bonnes manières ». À l’époque, nous ne faisions pas dans la demi-mesure, et colliers Torcatus, coups de sonnette, marche au pied serrée et hurlements étaient de mise. Certaines méthodes me dérangeaient déjà, mais je n’incrimine personne : au début des années 2000, nous n’avions pas toutes les connaissances éthologiques que nous avons acquises ces dernières années au sujet du chien. Nous pensions qu’un chien devait être dominé si nous voulions qu’il nous respecte. Bien sûr, il devait « obéir », et il semblait nous « devoir » quelque chose, du simple fait d’être un chien et nous des humains. Les bénévoles du club eux-mêmes souffraient du manque de connaissances de l’époque en matière de comportement canin. Ils essayaient de bien faire, et ne se rendaient pas toujours compte qu’ils pouvaient être maltraitants. Quant à moi, j’avais quinze ans, et j’écoutais les consignes qu’on me donnait. Les cours de « dressage » étaient difficiles pour moi, à l’époque : on me disait que je n’étais pas assez autoritaire, et comme je pensais que la fermeté était la seule façon d’obtenir quelque chose d’un chien, j’ai fini par me résigner et penser que je n’arriverais pas à grand-chose avec mon compagnon. L’autorité ne faisait pas partie de mes traits de personnalité, et je ne pouvais pas me forcer à être ce que je n’étais pas. L’éducation canine n’était-elle donc réservée qu’aux gens « autoritaires » ? Cela me semblait bien réducteur. Si seulement, à l’époque, j’avais eu connaissance des lois de l’apprentissage, cela aurait changé bien des choses. Curieusement, quand je n’étais pas au club canin, j’enseignais tout un tas de « tricks » à mon chien en employant uniquement le renforcement positif, dont j’ignorais le nom à l’époque : Jules avait appris à faire le mort, aboyer sur demande ou faire une roulade sans que j’aie eu besoin de le malmener pour cela. Mais je ne pensais pas pouvoir étendre cette méthode de travail au champ du quotidien.
J’ai eu plusieurs chiens après Jules, qui était mon tout premier compagnon canin. Plusieurs chiens avec lesquels j’ai tâtonné. J’aimais beaucoup façonner de nouveaux comportements, et je me suis d’ailleurs tournée vers la discipline « obéissance » avec trois d’entre eux, non pas par besoin maladif de contrôle, mais plutôt parce que j’adorais apprendre au chien, par toutes petites touches, à adopter un comportement bien précis, en le récompensant au bon moment pour renforcer les comportements que je voulais voir réapparaître. Mais au quotidien, je continuais d’entretenir une relation instable avec mes compagnons. Je continuais de penser que je devais être « le maître », et que je devais me fâcher chaque fois que l’un de mes chiens ne voulait pas exécuter quelque chose que je lui demandais. À la maison, je m’appliquais à maintenir des règles « hiérarchiques » qui maintenant me paraissent insensées, et que mes chiens devaient trouver bien étranges, comme les faire manger après moi ou ne pas les laisser s’installer dans un endroit de passage. En somme, j’arrivais à faire des choses intéressantes avec mes chiens. Je n’étais pas mauvaise entraîneuse, j’étais plutôt observatrice, j’analysais beaucoup, j’avais un bon timing et je savais quand récompenser au bon moment pour enseigner des exercices auxquels je prenais plaisir -et mes chiens aussi, j’en étais quasiment sûre. Mais j’étais tellement imprégnée de la culture « hiérarchique » qui sous-tend encore beaucoup de nos jours la relation humain/chien -et la relation parent/enfant aussi, d’ailleurs- que mes chiens semblaient ne pas savoir sur quel pied danser avec moi. La relation que nous menions n’était pas mauvaise, mais mes compagnons ne m’accordaient pas toute leur confiance, et c’était d’ailleurs réciproque. Je sentais que notre lien, qui aurait pu être fort, me glissait entre les doigts. Qu’est-ce qui péchait ?
Quand j’ai démarré l’éducation canine en tant que professionnelle il y a presque dix ans, je commençais à m’intéresser de plus en plus à l’éducation « bienveillante », « positive » ou encore « respectueuse » (à l’heure actuelle, je n’ai toujours pas trouvé un terme qui me convienne). Je restais tout de même persuadée que l’autorité était indispensable pour obtenir le respect d’un chien. Peu à peu, je n’ai plus parlé de « chef de meute » mais de « leader », ce qui revenait à peu près au même mais de façon plus édulcorée. Je devenais « tradi-bonbon », j’évoluais, mais pas encore assez. Mon entreprise d’éducation canine fonctionnait bien, et les premières années, je travaillais non-stop. Je lisais beaucoup, mais je ne parvenais pas à trouver le temps de me former suffisamment pour évoluer vers une éducation davantage basée sur l’éthologie canine. Je ne malmenais pas les chiens, je ne criais jamais, mais il m’arrivait d’utiliser des outils discutables, parce que je pensais, comme beaucoup, qu’ils pouvaient être utiles « en dernier recours », ou encore « qu’ils pouvaient permettre de sortir des chiens d’un refuge » (je travaillais également pour une association de protection animale). J’étais vraiment persuadée de bien faire, et je pesais toujours le pour et le contre de l’utilisation d’un outil coercitif dans la rééducation d’un chien.
Aujourd’hui, je ne peux plus supporter d’employer le moindre de ces outils, et justifier l’emploi de la douleur ou de la peur pour rééduquer un chien me dégoûte profondément. Pourquoi ai-je autant changé ? Par l’expérience, l’observation des chiens, beaucoup de travail avec des chiens en groupe (qui m’ont prouvé définitivement qu’ils n’obéissaient pas à une hiérarchie de dominance immuable), et les conséquences imprévues que j’ai pu observer suite à l’emploi d’outils coercitifs. Certes, une amélioration est presque toujours observée en employant des outils coercitifs : mais à quel prix ? Bien souvent, celui de la relation du chien et de son gardien. Celui de la confiance du chien en son environnement. Et celui de ma bonne conscience, aussi. Quand on emploie un outil coercitif, il est très rare qu’on n’en paie pas le prix par la suite. Je ne peux que vous déconseiller ces méthodes, pour les avoir expérimentées moi-même.
Aujourd’hui, je pense travailler quasiment essentiellement en méthodes positives. Si je précise « quasiment », c’est parce que la vie en groupe nous contraint à obéir à des règles, et nos chiens aussi doivent s’y plier un minimum. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Parfois, on doit dire « non » à son chien, parfois, on doit le porter pour le mettre dans la voiture parce qu’il ne veut pas rentrer de promenade mais qu’on doit aller au travail, parfois, on doit faire de la contention pour le soigner. Mais est-ce pour autant que l’on sort du champ de l’éducation positive ? Est-ce parce qu’on ne travaille pas à 100% en renforcement positif qu’on est coercitif ? Je ne pense pas. Vaste débat, en tout cas.
Je suis cependant très heureuse, malgré ces interrogations qui me poursuivront toute ma vie, de pencher toujours davantage vers une éducation non violente. Bien sûr, il m’arrive de perdre patience, bien sûr, il m’arrive d’être injuste, bien sûr, il m’arrive de crier. J’essaie juste de faire en sorte que cela arrive de moins en moins, car je sais que ce ne sont pas des méthodes de travail, et que ces façons de faire ne font que me permettre d’évacuer mes émotions négatives, mais n’ont aucun intérêt d’un point de vue éducatif. La punition ne fonctionne pas bien en éducation, peu importe l’espèce concernée. Et elle peut avoir des conséquences fâcheuses à long terme. Si elle peut être évitée au maximum, c’est l’idéal. Même si nous sommes humains et, par définition, imparfaits ! Nous ne pouvons pas être des robots sans émotions négatives, mais il est essentiel pour le bien-être de nos chiens que nous arrivions un minimum à canaliser ces dernières.
N’importe quel chien peut être éduqué/rééduqué en méthodes respectueuses. Au quotidien, il n’y a nulle justification au fait d’employer « l’autorité » pour éduquer un chien. Ce qui compte, c’est la cohérence, la constance, le timing, l’observation et l’interprétation prudente de ce que nous notons. Même un chien présentant des comportements très agressifs n’a nul besoin d’être malmené pour progresser. Tous les éducateurs et comportementalistes rencontrent des cas difficiles, même ceux qui travaillent en « positif ». Et jouer les gros bras n’a jamais servi à rien d’autre qu’à gonfler son ego : en tout cas, ça n’aide aucunement à éduquer un chien. Je considère même, aujourd’hui, que c’est un aveu d’incompétence.
Au fil du temps, j’ai compris ce qui manquait à la relation que j’entretenais avec mes chiens : j’exigeais trop d’eux, sans même savoir pourquoi. Comme beaucoup d’humains, je pensais qu’il « fallait qu’ils obéissent ». J’avais du mal à accepter qu’ils aient leurs propres aspirations, différentes des miennes. J’ai appris à lâcher prise. Aujourd’hui, je fiche presque totalement la paix à mes chiens lors des balades : il m’importe seulement qu’ils aient un bon rappel, qu’ils connaissent le « stop » et qu’ils ne m’arrachent pas le bras quand je les tiens en laisse (mais ils sont le plus souvent en liberté). Je continue de leur enseigner des « tricks », pour le plaisir, mais je ne leur demande jamais de s’asseoir ou de se coucher sur demande : cela m’est bien égal. J’ai remarqué que, plus je leur laissais de liberté, plus ils se rapprochaient de moi, dans tous les sens du terme. Je ne ressens plus ce petit « manque » dans la relation avec mes chiens, comme je l’éprouvais il y a quelques années. Je me sens bien avec eux, je n’aurais nulle envie qu’ils soient autrement. Et cela semble enlever un énorme poids de leurs petites épaules.
Avant, j’étais une « tradi », je voulais le contrôle, l’obéissance, je voulais faire de mes chiens ce qu’ils n’étaient pas. Aujourd’hui, je suis une « positive » -même si, je le répète, je n’aime pas beaucoup ce terme galvaudé- et j’accepte que mes chiens soient des animaux avec une vie propre. Moins je leur impose ma volonté, et plus ils me font confiance. En voulant tout contrôler, j’étais à côté de la plaque, et je passais aussi à côté de la plus belle des relations. Même si j’ai honte de ce que j’ai pu faire par le passé, je suis heureuse d’avoir été une « tradi ». Parce que j’ai pu observer les résultats de ces méthodes de mes propres yeux, et que je suis fière du cheminement mental qui m’a menée à des méthodes d’éducation bien différentes aujourd’hui. Je n’en veux pas à ceux qui sont « tradi ». J’en veux seulement à ceux et celles qui se complaisent dans ces méthodes d’éducation sans manifester l’envie d’évoluer. Parce qu’avec les connaissances scientifiques dont nous bénéficions aujourd’hui, nous savons désormais que rien ne justifie de faire mal ou peur à un animal. Pas même d’essayer de le sortir d’un refuge.
Elsa Weiss / Cynopolis
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