06/05/2024
Pour ceux qui souhaitent réfléchir aux comportements de nos chiens, qui souhaitent mieux les comprendre, qui acceptent de se remettre en question, de s'améliorer pour leur bien-être, de faire des compromis sans tout attendre ou exiger d'eux, d'accepter qu'ils sont des individus à part entière, et non des objets... Pour ceux qui veulent apprendre, ou réapprendre... Les autres ne sont pas sur cette page où ne lirons pas ce post, mais si nous partagions pour que les mentalités évoluent plus vite ?
BESOINS DU CHIEN
VERSUS
EXIGENCES HUMAINES
Nous en demandons beaucoup trop à nos chiens. Je me le dis souvent. Je vois depuis des années défiler devant mes yeux des individus de plus en plus réactifs, de plus en plus sensibles. J’observe de plus en plus de chiens (dans mon travail ou mon quotidien) qui semblent perdus ou affolés dans un monde qui ne les comprend plus vraiment. Certains professionnels diront que ces chiens ont toujours existé. Je ne suis pas de cet avis. Je pense que la réactivité des chiens s’aggrave à mesure que notre société perd son animalité et le contact avec la Nature. Je n’ai pas de preuve, juste des observations. J’observe en parallèle des humains de plus en plus en exigeants, dans le contrôle le plus total, des gens angoissés du résultat, voulant à tous prix imposer leur mode de vie au chien qu’ils viennent d’adopter et se disant prêts à tout faire pour y parvenir. Le chien doit s’adapter, pas l’inverse. Il doit s’habituer rapidement à son environnement, accepter les règles de la maison, se voir assaillir d’une tonne de demandes n’ayant aucun sens pour lui, et au final, il est écrasé de devoirs et d’obligations sans vraiment avoir le droit et le respect. Chien et humain deviennent de plus en plus inadaptés l’un à l’autre. C’est le constat que je fais. Comment pourrait-il en être autrement dans cette société si pressée, si bruyante, si rapide et souvent si capricieuse ? Comment peut-on espérer du chien qu’il continue à s’adapter encore et toujours quand cela semble déjà si difficile pour nos enfants (de plus en plus émotifs, hypersensibles, stressés, etc.) ?
*** Le chien est un animal prédateur dont la vision est basée sur le mouvement. Il est génétiquement conçu pour réagir à ce qui se meut. Mais il se trouve immergé contre son gré au beau milieu d’enfants en bas âge qui courent et intégré malgré lui dans une société qui vit à 100 km/h. Nous voudrions qu’il ne bouge pas, ne s’élance pas, ne cherche pas à se soustraire aux situations qui le dérangent. Nous voudrions qu’il soit toujours pleinement détendu dans des environnements hyper mouvementés, trop stimulants pour lui.
*** Le chien est un animal social dont une grande part de la communication intra spécifique se trouve au sol. La zone cérébrale de l’olfaction est 40 fois plus développée chez le chien que chez nous. Il est génétiquement conçu pour explorer l’environnement, pister les odeurs, les identifier, laisser les siennes. Mais nous voudrions qu’il marche droit en laisse sans tirer vers les bas-côtés et nous exigeons qu’il ne s’intéresse pas aux excréments de ses congénères.
*** Le chien est un mammifère carnivore doté de carnassières. Il est génétiquement conçu pour broyer des os crus et détruire de la matière non comestible. Il est destructeur et nettoyeur. C’est de cette manière qu’il décharge son anxiété et sa nervosité. Mais nous ne voulons pas que le chien détruise ses jouets et ronge des os crus car le vétérinaire dit que c’est dangereux et que le chien va user ses belles dents ou s’étrangler.
*** Le chien est un animal qui creuse naturellement la terre pour s’occuper, enterrer, débusquer de petits insectes ou tout simplement pour le plaisir de creuser. Mais nous ne voulons pas que notre chien fasse des trous dans nos jardins. Et même en balade nous n’accepterons pas qu’il se salisse les pattes de cette façon. Alors il sera empêché de s’adonner à cette activité naturelle.
*** Le chien est un canidé domestique qui, comme tous les canidés, est censé manger au sol, lentement et de manière motivante (sans monotonie). L’activité alimentaire suppose qu’il remplisse une action, une mission qui rendra le fait de manger encore meilleur. Mais nous tenons à le nourrir à hauteur, croyant que c’est bénéfique pour sa digestion. Nous nous organisons pour qu’il mange à heures fixes, la même chose, au même endroit toute sa vie, ignorant sa nature animale en quête d’aventures et de missions.
*** Le chien est un canidé carnivore opportuniste censé manger cru comme tous les canidés de ce monde. Mais nous le nourrissons de croquettes car la société de consommation et le monde de la publicité sont parvenus à nous faire croire que la nourriture transformée industrielle est adaptée à notre santé et à celle de notre chien et que le naturel est indigeste voire dangereux.
*** Le chien vocalise. C’est un animal social qui communique en partie grâce à des signaux vocaux. Il aboie, il gémit, il jappe, il grogne... Mais nous souhaiterions qu’il se taise. Il n’aura pas le droit de grogner, encore moins le droit d’aboyer. Certaines communes françaises sont mêmes allées jusqu’à prendre des arrêtés municipaux interdisant aux chiens d’aboyer. Un non-sens annulé en conseil d’Etat.
*** Le chien est un animal actif qui bouge beaucoup. Bouger l’aide à gérer la sphère émotionnelle (comme les enfants et comme nous, en fait). Le comportement naturel du chien n’est pas du tout de s’asseoir sur demande 30 fois par jour. Le chien s’assoit très peu de lui-même. Peu de gens l’ont observé. Il reste sur ses quatre pattes ou se couche totalement. Mais l’une des premières choses que nous allons exiger de lui c’est le sacro-saint « assis ».
*** Le chien est une espèce qui ne marche pas. Il trotte ou il court. Sa vitesse de croisière en promenade est en moyenne de 15 km/h. Mais nous allons espérer qu’il accepte de marcher à nos pieds en laisse courte, ignorant ainsi que pour lui, la balade devient en réalité une immense source de stress. Les humains les plus rapides dépassent rarement 4 km/h en promenade. Pour le chien, l’humain est lent comme nous trouverions désagréable de marcher des kilomètres en tenant la main d’un enfant de 2 ans.
*** Le chien est un animal dont la préhension se fait uniquement par la bouche. Mais tout dans son éducation va converger vers l’interdiction de prendre, de mordre quoique ce soit, de tirailler quoique ce soit, de ronger, de rogner, de mastiquer. Pour tout, pour rien, on lui impose aujourd’hui une muselière alors que le chien n’a jamais mordu, n’est pas particulièrement réactif, juste parce qu’il a eu la malchance de naître dans la mauvaise race ou parce que l’accès de sa famille à certains services publics sera refusé.
*** Le chien est un mammifère capable de prendre des initiatives et des décisions parfois complexes. Il réfléchit. Il fait des choix. Mais nous allons exiger de lui l’obéissance « au doigt et à l’oeil », annihilant progressivement chez lui toute capacité de réflexion et de conceptualisation pour ensuite lui reprocher d’être bête comme ses pieds ou peu confiant en lui. On finira par le comparer aux chiens intelligents qui décident, proposent, prennent les choses en mains, ignorant que ces chiens surprenants n’ont jamais connu l’obéissance crasse.
*** Le chien est un animal qui considère que ce qu’il trouve au sol lui appartient et que ce qui est déniché par lui en balade a été abandonné ou laissé par un autre. Désormais cette trouvaille est sienne et elle a souvent une grande valeur à ses yeux. Mais nous allons la lui voler sans ménagement au motif que nous devons pouvoir tout lui reprendre. Nous allons aussi continuer à laisser traîner la nourriture derrière nous sur les meubles ou les tables basses pour lui reprocher ensuite d’être voleur et indigne de confiance.
*** Le chien est un animal qui, pour des raisons liées à la prédation, se roule dans la boue ou dans les odeurs fortes afin de se fondre dans l’environnement et ne pas être perçu par les proies. C’est un comportement atavique qui lui procure du bonheur. Parfois le chien le fait sans chasser, juste pour le plaisir de le faire. C’est un reste de comportement primitif qui lui fait du bien. Mais nous allons lui interdire formellement de se salir en promenade ou de souiller la voiture en rentrant.
*** Le chien est une espèce qui apprécie les distances et les grands espaces. Tout dans ses modes de communication l’indique. Il se montre détendu lorsqu’il peut aborder son congénère en plusieurs temps, en courbe, jamais directement et surtout librement. Mais nous continuons obstinément à lui imposer des rencontres frontales en laisse, dans des rues étroites en nous étonnant qu’il finisse par se montrer « réactif » avec les siens.
Etc.
Des exemples, j’en ai beaucoup trop… Et même devant un professionnel du comportement qui, avant toute rééducation, souhaite opérer un recadrage éthologique en vue du bien-être du chien et de l’enrichissement de son quotidien, nous continuons à résister, à protester, à dire « je ne vois pas les choses comme ça ». L’éthologie fait peur. L’animalité du chien dérange. Mais à quoi bon en vouloir un alors ? Quand on me demande quel animal je voudrais être, on s’attend étonnamment à ce que je réponde « le chien ». Pour rien au monde je voudrais être un chien. Le chien est un animal que j’aime et respecte autant que je le plains. À bien y réfléchir et plutôt que de les stériliser à tout-va au mépris de leur équilibre hormonal et comportemental, il me semble urgent de diminuer drastiquement la production de chiens pour ne la remettre qu’entre les mains de sélectionneurs génétiques sérieux et investis qui rechercheront l’adaptabilité à l’environnement comme critère principal de construction de lignées nouvelles et qui sélectionneront soigneusement leurs adoptants. Les refuges sont bondés, les éducateurs sont saturés et le chien est consommé, abandonné, euthanasié. Il est indispensable d’encadrer fermement la possibilité d’adopter en refuge ou d’acheter en élevage en refusant catégoriquement que des citadins puissent jeter leur dévolu sur un Border collie ou un Berger des Pyrénées ou que des primo-adoptants puissent choisir un chien issu d’une lignée de travail. Une formation sérieuse dispensée par des comportementalistes expérimentés en méthode positive et l’obtention d’un permis de détention pour toutes les races sont à mon sens devenus indispensables et essentiels à l’adoption saine d’un chien. Il me paraît également nécessaire, plutôt que de les écouter aveuglément, d’exiger une remise à niveau des vétérinaires n’ayant aucune connaissance de l’éthologie, de la psychologie et du comportement ou ayant des connaissances datant des années 50. Enfin, je ne cesserai jamais d’être sidérée de lire certains professionnels (éleveurs, vétérinaires ou même éducateurs) raconter dans leurs articles que « tout est une question d’éducation » et que des citadins peuvent sans problème adopter des chiens issus de lignées de travail pour ensuite aller travailler 8 heures par jour et n’offrir que des promenades en laisse sensibilisantes aux milieux urbains. Si en effet l’éducation peut tout régler et si en effet ces professionnels sont omnipotents, je propose de leur envoyer tous mes réactifs sur le mouvement ou sur les humains, des chiens sensibilisés aux contextes urbains depuis leur plus jeune âge sur les conseils de professionnels qui pensent que l’immersion et l’éducation peuvent révolutionner la génétique. Et nous verrons bien si l’inconscience, la légèreté et l’omnipotence restent inchangées.
Le livre « Le chien, cet animal qui nous échappe » d'Audrey Ventura est disponible ici : https://bit.ly/2NLC0DD
Crédit photo Alice Cousin avec Maya et Ollie
Audrey Ventura
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