05/09/2023
LA LEÇON DE VIE DU CHIEN CENTENAIRE
« C’était mieux avant, confia le chien centenaire à ses jeunes congénères qui l’écoutaient avec attention… Quand j’étais petit, les hommes disaient à leurs enfants de nous laisser tranquilles. Quant à nous, les chiens, nous étions libres la plupart du temps, du moins sur nos terres, ou dans nos villages. Nous étions des corniauds, des chiens croisés de croisés, pour la plupart d’entre nous. On nous nourrissait de chutes de viandes, de têtes ou pattes de volailles, de carcasses, de gros os… et tout le monde était contenté. Ah, c’était une autre époque ! J’aurais bien aimé voir la tête de la fermière à qui on aurait dit, « ton chien risque de s’étrangler avec ça ! ». Riez les enfants, riez… mais la vérité c’est que vous y avez perdu beaucoup.
Le lien que nous entretenions avec les hommes, n’avait rien de comparable avec celui qui vous unit aujourd’hui. Vous êtes pour la plupart surprotégés, enfermés dans vos maisons… La loi des hommes peut avoir du bon parfois, en ce qui nous concerne, mais elle a aussi son lot d’extrémités qui nous empoisonnent. Et je continue de penser que c’était plus simple à mon époque. Nous, les chiens d’autrefois, qui passions une bonne partie de notre vie dehors, n’étions pas forcément plus à plaindre que vous… On s’occupait moins de nous, c’est vrai, mais d’un autre côté, nous jouissions d’une certaine liberté. Et surtout, surtout, nous avions la paix, car en ce temps-là, personne n’aurait laissé un enfant nous grimper sur le dos. Oui, je vous le dis, même si à l'époque les hommes faisaient moins de « chichi » avec nous, il existait des principes clairs et simples, relevant du bon sens le plus élémentaire. J’allais dire « rustique », car, sans vous offenser, il est évident que nous l’étions bien plus que vous. Dans les maisons, nous entendions souvent :
- « Tu ne déranges pas le chien pendant qu’il dort, ou pendant qu’il mange, sinon il va te mordre ».
- « Tu ne reprends rien au chien, sinon il va te mordre ».
- « Tu ne lui tires pas la queue, sinon il va te mordre ».
Etc.
Et, je vous assure, les petits-d’hommes comprenaient vite. Et si l’un d’entre eux n’en faisait qu’à sa tête, et qu’un chien lui montrait ses dents, ce n’était pas le chien qui était euthanasié. Ni l’enfant d’ailleurs, rit-il. Je vous ai bien eus. Cependant, l’enfant était sermonné par ses parents, car il était nécessaire qu’il comprenne bien les règles, pour sa sécurité.
Et le monde tournait bien.
Des légions d’humains ont ainsi grandi avec ces avertissements. Ça ne les a pas rendus phobiques des chiens. Ça ne les a pas empêchés non plus de nous aimer beaucoup. Ils ont au contraire appris à nous respecter. Et avec ces règles de prévention, tout le monde était protégé - enfants et chiens.
Aucun spécialiste ne leur avait pourtant enseigné tout ça, et aucun de mes maîtres n’a jamais été éthologue. Aujourd’hui, les professionnels en sont à répéter ces principes à des adultes, des personnes parfois très cultivées, mais qui ont oublié l’essentiel. De nos jours, nous sommes intellectualisés, humanisés, au mépris de notre animalité, de nos réactions naturelles, de nos comportements ancestraux de chien… Car si l’incident se produit, sachez que du « gentil toutou » vous passerez immédiatement à la « sale bête ».
Le bon sens se perd, soyez prudents mes amis… Apprenez à vous éloigner des enfants de l’homme, puisque l’homme n’apprend plus à ses enfants à s’éloigner des chiens.
C’est alarmant, surtout quand ce sont des parents eux-mêmes, qui envoient leur enfant de quatre ans me caresser, alors que je me promène tranquillement, et que je ne demande rien d’autre que la paix que l’on doit à mon grand-âge, et à mon arthrose. Dernièrement, j’ai appris que des hommes enseignent à leurs petits à « déranger leur chien pendant qu’il mange », parce qu’il doit apprendre à se montrer patient « avec son petit-frère humain ».
Les hommes modernes marchent sur la tête.
Que leur diraient leurs grands-parents s’ils les voyaient ?
Ne se demanderaient-ils pas si leurs descendants ont perdu la raison ?
Qui serait sermonné ? Le chien ? L’enfant ? Ou eux, les parents inconscients qui demandent à leur petit de quatre ans de toucher un gros chien qu’ils ne connaissent pas ?
Voilà pourquoi aujourd’hui, l’expression commune « aimer les chiens », ne signifie plus rien à mes yeux. Car ce couple qui encourage son enfant à venir me caresser, dira sûrement qu’il aime les chiens. Mais nous aimer impose de respecter notre animalité, et notre nature canine. Mais ça, c’est une autre paire de manche. »
Audrey Ventura
Cynoconsult
ACTUALITÉ
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