06/06/2024
ATTENTION ARTICLE TECHNIQUE LONG....
👉« L’herbe courte est-elle meilleure pour les chevaux à problèmes métaboliques ? »🌾
La réponse est au mieux « ça dépend », au pire « NON »!
La lecture d’un article scientifique ou comment se poser des questions en permanence, être curieux et ne pas extrapoler…
Exemple de l’article de Siciliano (2017) « Effect of Sward Height on Pasture Nonstructural Carbohydrate Concentrations and Blood Glucose/Insulin Profiles in Grazing Horses »
🌾 (Effet de la hauteur d’herbe sur les concentrations de glucides non structuraux des prairies et les profils de glycémie/insuline chez les chevaux qui pâturent) 🌾
Nous avons été interpellés récemment par une personne qui nous disait : « l’herbe courte est moins riche en sucres que l’herbe haute, il faut faire pâturer nos chevaux à problèmes métaboliques sur de l’herbe courte ». L’article de Siciliano (2017) est sorti dans cette discussion et la conclusion qui avait été faite sur cet article était : « Pour les chevaux à problèmes métaboliques privilégiez un accès à des couverts courts. Couverts courts = baisse de la teneur en sucres solubles » ❓
Aïe, creusage de cerveaux, remise en cause, une centaine de « ça dépend » plus t**d on se dit qu’il serait souhaitable d’analyser en détail l’article avant de se prononcer.
Et c’est bien là que le bât blesse, car cette fameuse phrase, sortie du contexte de l’étude, en fait une potentielle bombe dangereuse pour les chevaux si elle est prise comme argent comptant et que demain, tous les détenteurs d’équidés, pris d’une frénésie, lâchent Pompon sur de l’herbe courte !
Contexte de l’étude de Siciliano (2017):
📌Six hongres adultes en bonne santé âgés de 6 à 12 ans ont été mis au pâturage dans des prairies de fétuque élevée pendant 10 heures (de 8 h à 18 h) pendant sept jours, l'accès aux pâturages étant leur seul régime alimentaire. Trois chevaux ont été placés dans des pâturages avec une hauteur d'herbe « courte » d’environ 15 cm ; les trois autres dans des pâturages avec une hauteur d'herbe » haute » de 30 à 40 cm.
Déjà sur cette première partie il peut y avoir une erreur d’interprétation sur la notion d’herbe courte. Herbe courte ne veut rien dire en tant que tel et effectivement quand on regarde les hauteurs de pâturage de l’étude, ces hauteurs-là pourraient déjà être qualifiées de « hautes » dans nos conceptions habituelles de pâturage équin. Un 15cm sur une fétuque élevée n’aura pas la même valeur alimentaire qu’un15cm sur une prairie naturelle de 90 espèces. Un 15 cm de fétuque élevée n’aura pas la même valeur qu’un 15 cm de prairie naturelle.
De plus, dans une étude sur l’insuline, le vécu du cheval et son origine génétique peuvent être impactant donc c’est à prendre en compte, ainsi que le faible effectif de 6 chevaux pour l’étude.
📌Après la période d'analyse d'une semaine, chaque switche pour passer sur une hauteur d’herbe opposée à la première
📌 Les parcelles de pâturage « courtes » et « hautes » ont été fauchées à une hauteur d'environ 15 cm 32 jours avant le début de l'expérience. Les parcelles « courtes » ont été refauchées à environ 15 cm 11 jours avant le début de la première période de 7 jours et à nouveau 1 jour avant le début de chaque nouvelle période de 7 jours.
Le cœur de compréhension de l’étude est bien dans ce paragraphe. En réalité, les parcelles sont fauchées à 15 cm 1 mois avant l’expérimentation. Pour les parcelles « courtes » elles sont maintenues à 15 cm en permanence par de la tonte. Ces divers traitements de fauche ont impacté le comportement de la prairie et la qualité de sa repousse. Une repousse post fauche n’entraîne pas la même biodiversité qu’une repousse post pâturage. La fauche est de plus une action moins traumatisante pour une graminée qu’une pression de pâturage intense qui va plutôt conduire la prairie à stresser et à stocker plus de sucre.
📌 Tous les chevaux avaient accès au pâturage pendant 10 h/j de 8h à 18h. Quand ils ne pâturaient pas, tous les chevaux étaient logés individuellement dans des enclos partiellement couverts contenant des abreuvoirs automatiques et aire stabilisée, sans fourrage complémentaire. La masse d'herbe (kg MS/ha) a été calculée pour chaque pâturage afin de garantir que les deux groupes de chevaux avaient suffisamment de matière sèche pour tenir pendant au moins 7 jours. De plus, les auteurs ont noté que les herbes dites « courtes » poussaient activement alors que les herbes « hautes » ne poussaient pas. La croissance des plantes a le potentiel de diminuer la concentration de NSC (correspondent aux glucides non-structuraux comprenant l’amidon et les sucres solubles dans l’eau+ fructanes) – divers rapports mentionnent une diminution d’environ 40 % de NSC lors de la repousse après la récolte. Dans cette étude, les concentrations de NSC se sont avérées plus élevées dans l’herbe haute que dans l’herbe courte.
Sur le plan comportemental nous sommes de nouveau face à une interrogation. Que font les chevaux de 18h à 8h ? ils ont visiblement accès à un abri et de l’eau, mais le pâturage reste leur seul régime alimentaire. Ils ont donc l’estomac vide pendant 14h. Quand on connait les liens entre stress alimentaire, cortisol et insuline, et les variations individuelles de l’impact de ce type de stress métabolique sur un cheval comment va-t-on interpréter les données d’insuline ? Comment quantifier l’impact de la frénésie comportementale d’ingestion à l’ouverture de la parcelle. Nous sommes loin d’une extrapolation possible sur un cheval au pâturage H24 sans contraintes.
Autre point : sur une hauteur de 30-40 cm le volume instantané d’herbe est forcément supérieur à celui de la parcelle de 15 cm. Etant donné que les chevaux peuvent augmenter leur ingestion jusqu’à 5% de leur poids vif nous avons ici aussi un impact non négligeable de l’effet pondéré quantité ingérée/taux de sucres. Les volumes d’herbe offerts entre les 2 traitements étaient donc différents (1.7% du poids vif contre 5% du poids vif), c’est pour cette raison que les chevaux sur l'herbe « courte » ont montré des pertes de poids corporel d'environ 11 kg au cours de la période de sept jours par une diminution du remplissage intestinal et/ou du fait que les chevaux consommaient moins d’herbe que ceux sur la zone d'herbe haute ; les chevaux sur l'herbe haute n'ont pas perdu de poids corporel. Sur une ingestion à 1.7% du poids vif avec perte de poids corporel, le métabolisme de l’insuline est passé en mode « survie ».
📌Le 7e jour de chaque période, des échantillons de sang ont été prélevés sur chaque cheval avant la mise au pâturage, puis 2, 4, 6 et 8 heures après la mise au pâturage. Des échantillons d’herbe ont également été prélevés dans chaque parcelle de pâturage au même moment que les échantillons de sang. Le sérum et le plasma des échantillons de sang ont été récoltés et analysés pour les concentrations d'insuline et de glucose, respectivement.
Les prélèvements d’insuline n’ont lieu que le 7ème jour, soit à un moment donné où la parcelle est presque terminée et que les chevaux se rapprochent des gaines des graminées (là où le sucre est concentré). Pour quelles raisons ont-ils choisi le 7ème jour ? (mystère)
📌Les concentrations moyennes de Glucides Non structuraux des prairies étaient plus faibles (P < 0,001) dans les parcelles à 15 cm que celles à 30-40cm. La concentration d'amidon des plantes de pâturage n'était pas différente entre les traitements. Les concentrations moyennes de glucose plasmatique avant pâturage n'étaient pas affectées par le traitement. Les concentrations moyennes d'insuline sérique avant pâturage n'étaient pas affectées par le traitement. Les pics d'insuline étaient plus élevés (P < 0,01) lorsque les chevaux broutaient la parcelle de 30-40 cm que dans les parcelles à 15cm, probablement en raison d’une plus grande consommation de Glucides Non Structuraux (volume d’herbe*concentration en glucides).
📌En conclusion, la diminution de la hauteur d’herbe par la tonte des parcelles a diminué les concentrations de Glucides Non Structuraux et a par conséquent diminué la réponse insulinique postprandiale des chevaux qui pâturaient.
La conclusion réelle de l’étude était :
✅Une tonte fréquente (à15 cm) diminue la concentration en glucides non structuraux des plantes de pâturage. « Cela maintient le fourrage dans une phase de « repousse » qui consomme les Glucides Non Structuraux stockés. »
✅Les chevaux qui pâturent dans des prairies de fétuque élevée dont le couvert est maintenu plus court (15 cm) par de la fauche ont une réponse insulinique sanguine atténuée.
✅Le maintien d’une hauteur de pâturage plus courte peut potentiellement réduire le risque de fourbure.
☝️ Que faut-il retenir de tout cela ?
L’éternel « ça dépend ».
Il est difficile de faire des généralités et au mieux il est possible de déterminer des tendances.
🌾Le taux de sucres dans l’herbe est conditionné par la météo, le sol, l’environnement, l’espèce, la pression de pâturage et le stress subit par la plante. Il ne faut jamais sous-estimer l’impact du stress vécu par la plante sur sa capacité à stocker du sucre (en humaine on commence à peine à accepter l’impact du stress sur l’obésité).
🌾Dans nos relevés réfractomètre d’ailleurs, à emplacement et traitement égal, certaines graminées natives (agrostis par exemple) ont des taux de sucres plus élevés que des pieds de ray-grass anglais en instantané. L’agrostis est plus « malin » et habile pour s’adapter à toutes les conditions et a une formidable capacité à stocker quand il le peut.
Donc NON ne pas tirer la conclusion sur la simple base de cette étude que des chevaux à problèmes métaboliques peuvent être mis sur de l’herbe courte.
Avis aux amateurs-trices, il reste 3 places dans la formation d'octobre près de Niort où on parle pâturage de manière approfondie. Cette formation s'adresse aux détenteurs d'équidés (professionnel ou particulier) pour leur permettre de mieux gérer leur prairie et leurs chevaux dans le respect de l'environnement. Info ici : https://www.helloasso.com/associations/equibee/evenements/stage-equides-humains-et-prairies-automne-2024-deux-sevres-79