22/11/2023
[cultiver l'autonomie, ce n'est pas perdre le contrôle]
On ne va pas y aller par quatre chemins : la société a une idée précise et très figée de ce que doit être un chien. L'obéissance figure en tête de liste des qualités requises pour se voir attribuer les lauriers du "bon maître", et l'animalité du chien (et tous les comportements qui en découlent) est bien vite gommée, masquée, bridée et contrôlée. L'idée profondément ancrée qu'un chien doit se montrer obéissant en tout temps, en dépit de son état émotionnel et de son être, est source de tous les fantasmes mais également de nombreux conflits internes : combien de personnes se flagellent-elle en constatant que leur chien n'obéit pas en un claquement de doigts, se dévalorisent-elles car elles ont l'impression de "manquer de poigne", où vivent dans la peur que leur chien "prenne le contrôle"?
Je fais partie de ceux qui croient profondément que lorsqu'on éduque un chien (remplacez chien par n'importe quel être vivant, en réalité), la qualité la plus importante à développer est l'autonomie. Cet état de fait laisse souvent perplexe, et déclenche même chez certaines personnes une réaction défensive : comment peut-on à la fois avoir du contrôle (sous entendu par nécessité de sécurité) sur son animal, tout en lui offrant de l'autonomie ? Éclaircissons un peu le sujet :
🍁 L'autonomie telle que je l'entends est la capacité chez le chien à prendre des décisions adéquates dans une situation ambiguë. Cela peut passer par : s'éloigner calmement d'un élément effrayant dans l'environnement plutôt que d'opter pour l'agression, être en capacité de choisir soi-même la distance et le temps nécessaires à une approche sereine et sécuritaire, retrouver l'homéostasie (équilibre interne et émotionnel) de façon autonome après une grosse montée en pression sans mettre en danger son entourage... en d'autres termes, l'autonomie telle que je cherche à la cultiver chez mon chien mais également chez ceux de mes clients, c'est la capacité à traiter les émotions qui se présentent à eux, et à produire en réponse des actions qui seront exemptes de danger pour le chien et pour tous ceux qui se trouvent autour de lui
🍁 Favoriser l'autonomie n'est pas synonyme de laisser tout faire sans intervention. Si notre but est de voir notre chien prendre des décisions raisonnables et de les ancrer dans son comportement général, alors nous devons en premier lieu le mettre en conditions de réussite. Cela passe inévitablement par la gestion d'environnement et une connaissance solide des limites de notre animal. Ne pas soumettre le chien à des stimulations dont il est incapable de gérer l'intensité, c'est déjà l'aider à prendre des décisions de façon réfléchie et raisonnable, sans être submergé par l'émotion. En d'autres termes : si nous voulons renforcer des comportements qui nous plaisent, il faut leur donner l'occasion d'apparaître. Respecter la distance et le temps dont le chien a besoin pour être à l'aise dans l'observation d'un élément, c'est mettre toutes les chances de son côté pour favoriser l'approche calme ou l'évitement poli. Lui offrir une échappatoire dans une situation anxiogène, c'est diminuer drastiquement la probabilité d'agression. Lui proposer une activité permettant de décharger l'émotion plutôt que de l'étouffer, c'est limiter le risque d'explosion, et favoriser le retour autonome au calme. Bref, permettre au chien de rester au maximum dans un état émotionnel raisonné, favorisera la réflexion et la production de comportements eux-mêmes raisonnés, qui seront alors renforcés et prendront progressivement la place des comportements inadaptés
🍁 Dans notre société, et de par son statut d'animal captif, le chien se doit néanmoins de pouvoir répondre à des consignes, indispensables à sa sécurité et à celle d'autrui. Néanmoins, je persiste à croire que l'obéissance, si elle doit être pratiquée et renforcée dans certains contextes, ne doit intervenir que de façon extrêmement dosée, nécessaire et cohérente. Demander à un chien apeuré une position statique face à un déclencheur ne lui apprend pas à prendre la décision adéquate, mais le transforme en cocotte-minute. Rappeler son chien toutes les 30 secondes en promenade ne lui apprend pas à se connecter à nous, mais à se renforcer dans l'idée que nous sommes ce qui perturbe sa possibilité de combler ses besoins exploratoires. L'obéissance doit intervenir quand le chien est en difficulté pour prendre lui-même la décision adéquate (en autonomie, donc), et non l'inverse. En consultation comportementale, j'utilise souvent l'image du randonneur blessé en montagne avec son chien : si notre éducation n'est basée que sur l'obéissance et le contrôle, sans avoir développé l'intelligence émotionnelle et l'autonomie décisionnelle, que se passerait-il si nous nous blessions en montagne, sans possibilité de contrôler notre chien ? Soudainement libéré de la contrainte, saurait-il se gérer dans l'environnement ? Appréhender le danger, les croisements avec d'autres personnes, d'autres animaux? Cette image permet de se poser la question suivante : sans contrôle de ma part, mon chien est-il est capacité de s'adapter au monde qui l'entoure sans présenter de danger ? Si la réponse est non, alors il est temps de changer son fusil d'épaule, et de se concentrer sur le développement de cette fameuse autonomie décisionnelle, et de faire de l'obéissance un guide, un renfort en cas de difficulté
🍁 Laisser du choix à un animal n'est pas une preuve de faiblesse, c'est la garantie de respecter davantage son état émotionnel, sa personnalité, et de sauvegarder votre relation. Et une relation saine, basée sur la confiance, est la clé de voûte d'apprentissages solidement ancrés. Un chien domestique insécurisé émotionnellement, incertain de la fiabilité de son humain d'attachement, verra sa capacité à choisir la bonne voie parasitée et laborieuse. Si nous voulons guider notre chien vers les bons choix, soyons ce qu'il mérite que nous soyons : celui ou celle qui lui permet de s'adapter à son monde et d'y trouver son équilibre
Juliette Sastre
Yes We Dog - Éducation & Comportement canin