08/09/2024
*** 🐶 Tonton, ou l’approche miraculeuse du rappel 🌲 ***
⚠️ A L’ATTENTION DES LECTEURS ⚠️
Peu fier de ses actes passés, comme nous allons le découvrir ensemble, c’est à la demande sans ambages du principal intéressé, Tonton, que nous préserverons son anonymat.
Dimanche 22 septembre 2013 - Massif du Vercors.
Ce jour-là, dans le cadre de la réalisation de mon livre, le tout premier topo guide de trail, j'étais parti arpenter le massif du Vercors accompagné d'un copain, Chris, et de son fidèle Tonton. Adopté à l'âge d'un an, Tonton en avait à présent deux et demi. Depuis, Chris avait découvert, et les joies d'avoir un chien, et le genre de douleur que provoquait l'action de s'arracher les cheveux. A ce rythme là, il y avait fort à parier qu'il serait chauve d'ici 2014, 2015 s'il avait de la chance. Selon lui, Tonton, à qui la calvitie en devenir de son binôme humain importait guère, avait le don de trouver ce qui rendait fou mon pote. Parmi tous ses talents, celui où il excellait était le rappel. Enfin, une forme bien particulière : le rappel dit aléatoire. Je suis sûr que certains d'entre vous voient de quoi je parle et compatissent déjà avec Chris...
Lassé de voir subitement Tonton se carapater sans raison - du moins sans raison pour Chris -, et ne plus répondre au rappel, alors que, cinq minutes plus tôt tout allait pour le mieux, Chris était allé chercher sur le net astuces, idées et exercices afin de le travailler dans son coin.
Bien que moins fourni qu’aujourd’hui, rappelons que nous étions en 2013, internet avait déjà toutefois en rayon tout ce qu’il fallait pour être heureux...où pas. Le tout et son contraire côtoyaient le bon comme le moins bon, auxquels s’ajoutaient des avis d’experts, pseudo experts comme joyeux ignorants. La toile vendait déjà du rêve à la pelle, promettant monts et merveilles, tout en oubliant de préciser les effets secondaires commençant à se déverser sur le monde, à l’image de ce silence caractéristique annonçant la mort, qui tendait déjà à étouffer certaines professions, lesquelles aujourd’hui ont malheureusement disparu, tandis que d’autres prenaient un sérieux coup dans l’aile. Mais ça, c’est une autre histoire.
C’est également sur internent que le frangin du voisin de Chris, Paul, trouva ce que ce dernier allait annoncer à mon pote. « C’est l’outil ultime du rappel ! Parait que c’est miraculeux ! » lui dit-il. « Mon frère l’a vu sur un site américain. Il a pensé à toi, me l’a dit, et voilà, je te le dis.» Paul sachant Chris au bout du rouleau avec cette histoire de Tonton qui foutait subitement le camp, à la poursuite de lui seul savait quoi, ne répondant plus à son nom, au rappel et à toutes autres formes de hurlements et gesticulations, c’est en toute bonne foi qu’il pensa apporter LA solution au mal qui le rongeait.
Chris écouta son voisin avec la plus grande attention, le plus grand sérieux, car lorsqu’il était question du rappel de Tonton, la plaisanterie n’avait pas sa place ! Chacun des mots de Paul firent mouche, fusant entre les mailles du grillage séparant leurs jardins tels des flèches, et venant se ficher dans son esprit, lequel s’était mis depuis peu à surchauffer, faisant bourdonner ses oreilles, symptôme probablement dû à l’afflux massif de sang dans son cerveau, lui-même dû à la soudaine et brutale augmentation de son rythme cardiaque, résultante de la puissante émotion qu’avait provoquée l’annonce de Paul !
Une poignée de minutes plus t**d, une fois ce dernier reparti chez lui, avec probablement le sentiment gratifiant du devoir accompli, Chris fonça sur internet chercher l’outil en question, non sans un coup d’œil assorti d’un petit sourire en coin à Tonton qui pionçait paisiblement dans son panier, et commanda donc la fameuse Crécelle Miraculeuse ! Oui oui, vous avez bien lu, mon pote commanda une crécelle ! Enfin, celle-ci était en principe miraculeuse, du coup ce n’était plus vraiment une crécelle ordinaire, voyez-vous…
Pendant que nous marchions, il me dit que, selon l’auteur de l’article, l’idée consistait à la faire tourner dès lors qu’on désirait rappeler son chien, le bruit émis par la crécelle agissant sur les neurotransmetteurs liés au rappel. Chris avait lu l’article un nombre fois tel, qu’il pouvait le réciter d’un bout à l’autre sans en oublier ne serait-ce qu’une virgule. Il me fit donc un topo du truc pendant près de dix minutes et me le vendit si bien qu’un instant je me crus à la fête foraine, devant l’équivalent du stand de tir à la carabine à plombs : « Allez allez ! venez tenter votre chance mon bon monsieur. Avec notre Crécelle Miraculeuse, rappel du canidé récalcitrant garanti ! Ici, aucune arnaque, à tous les coups on gagne ! » Oui, un instant, je m’y cru vraiment. Puis la réalité, brutale et implacable montra sa sale gu**le.
Nous venions de commencer de monter vers le Pas de Berrièves, lorsque, d’un coup, Tonton, qui ouvrait la voie à quelques mètres devant nous, marqua un bref arrêt et leva la truffe vers le Pas tout là-haut. Aucun doute, il avait senti quelque chose. Nous, ce que nous sentions en revanche, c’était une nouvelle carapate ! Aussitôt, Chris envoya la main sur le côté de son sac à dos et attrapa la Crécelle. Dans le même temps, Tonton déclencha, fusant avec la rapidité d’un carreau d’arbalète. Chris fit tourner sa Crécelle à toute berzingue. Au bout de quelques secondes, il fallut se rendre à l’évidence : Tonton s’était barré. Les miracles ont cela de désolant (si tant est qu’ils existent), qu’ils n’ont pas toujours lieu en toutes circonstances, auquel cas, pourrait-on les appeler ainsi ?
« Bo**el de m***e ! Ça marchait jusqu’à présent ! » s’énerva mon pote en partant derrière Tonton, tout en continuant à faire tourner sa crécelle devenue ordinaire. « Dans quelles conditions, ça marchait ? » lançai-je dans son dos.
Le laissant filer devant - la pente était raide - je le suivais du regard, image insolite d’un homme pourchassant son chien, qu’on ne voyait déjà plus, et l’appelant désespérément à l’aide de ce drôle d’outil, qu’il tournait si vite au-dessus de sa tête qu’un instant, je me fit la réflexion qu’il pourrait bien finir par s’envoler.
Bien-sûr, nous retrouvâmes Tonton. Enfin, en réalité, c’est plutôt Tonton qui nous retrouva une heure plus t**d, selon son bon désir, tandis que nous étions assis dans les alpages du vaste plateau de la réserve naturelle, Chris ruminant sa colère, n’appréciant plus rien de ce décor pourtant si magnifique et sauvage.
- C’est la faute de ce jour. » dis-je sobrement.
- Quoi ?
- Le jour de l’équinoxe d’automne, c’est toujours le bo**el avec le rappel des chiens ce jour-là.
- T’es sérieux là ?
- Au moins autant que ton gars de l’article.
Nous nous regardâmes une seconde en silence, avant d’éclater de rire de concert.
Pour Tonton, la suite de la randonnée fut en revanche moins drôle car il la passa en laisse ; Ainsi est la vie des rebelles et des non conformistes : de brèves libertés, malheureusement très vite remplacées par les fers du droit chemin.
Ce soir là, la Crécelle Miraculeuse, qui était en bois, fut utilisée pour allumer le barbecue, domaine dans lequel elle s’avéra exceller, le feu prenant du premier coup, tel un miracle. Enfin !
Par la suite, Chris finit par aller solliciter un professionnel près de chez lui et les choses s’améliorèrent grandement, sans toutefois être parfaites car, comme nous le savons, les êtres vivants ne sont pas des réveils que l’on règle à sa guise. Mais au moins, mon pote, qui, ce jour-là, apprit et comprit certaines choses, voyait désormais les réactions et les comportements de Tonton avec un œil nouveau. La vie continua. Chris ne devint finalement pas chauve.
Aujourd’hui...
Le fleuve du temps a coulé sous le pont de la vie. A présent, lors des balades, Tonton ne s’éloigne guère plus qu’à un ou deux mètres de Chris et revient dès qu’il l’appelle. Plus fort qu’une crécelle, plus fiable que les miracles, implacable aussi, c’est le temps, qui empile sur notre dos ces années qui raidissent peu à peu nos mouvements.
Par moments, Tonton doit se dire qu’elle est bien loin, cette époque où il partait ventre à terre à la découverte du monde, de ses odeurs et des autres animaux le peuplant, faisant fi des injonctions de Chris.
Aujourd’hui, lorsqu’il voit un jeune congénère faire l’école buissonnière, il le suit une seconde du regard puis se tourne vers Chris, juste à côté de lui, à sa droite. Chris est toujours à droite désormais, point de repère protecteur et rassurant, tel un phare, dans un environnement que l’âge rend par moments incertain.
Lorsqu’ils se regardent, Chris sourit et lui dit toujours quelque chose de gentil, et Tonton continue à trottiner doucement, d’un pas un peu un raide certains jours.
Le jeune chien venant de prendre la poudre d’escampette est déjà loin. Son copain à deux pattes lui courant après, s’époumonant comme le faisait Chris au bon vieux temps.
Encore un coup d’œil, puis Tonton se détourne. Il y a un âge pour tout. Et à présent, Tonton le sait, « il est trop vieux pour ces conneries. »
© Texte & photo Le Temps des Chiens 🐺