28/11/2024
*** 🐕 Le jardin d’Éden 🏡 ***
Il le connaît par cœur, jusque dans ses moindre recoins, aux odeurs identiques depuis qu’il est là. Jours après jours rien ne change, inscrivant chaque regard, chaque geste, chaque pas, chaque action dans une continuité triste et morose. Une chance qu’il y ait les jours de vent, qui charrient parfois de nouvelles senteurs, celles du grand dehors, mais aussi, l’automne venue, des feuilles mortes après lesquelles il peut courir.
Des fois, il voit passer ceux qui, accompagnés de leur binôme à deux pattes, pourraient être des copains de balades. Des jours il les regarde, résigné, passer de loin, en silence, assis ou couché, d’autres, n’y tenant plus, il leur aboie dessus, les poursuit derrière le grillage. Le chien qui occupe ce grand jardin, c’est Polo.
Polo, c’est le chien caméléon. Caméléon car il peut revêtir différentes fourrures : border collie, malinois, berger allemand, caniche, jack russel, husky, staff, yorkshire, braque, rott, beagle, chien-loup, bât**d, etc. Il y a autant de Polo qu’il y a de chiens.
Polo, c’est ce chien de l’autre : voisin, connaissance, copain, ami, membre de la famille. Polo, c’est le chien des grands jardins, des terrains arborés ou encore des petites terrasses, balcons ou cours aux sols durs.
Polo, c’est le chien qui passe sa vie dehors à attendre que les jours passent.
Les plus veinards d’entre eux peuvent toutefois rentrer le soir.
Sans but, sans distraction réelle, sans exercice, sans interactions, Polo le chien peut parfois faire de la dépression et/ou développer des troubles du comportement. Alors, pour certains propriétaires, Polo devient un chien con - « mais qu’il est con ce clebs ! », ai-je régulièrement entendu, car il est plus facile de faire porter à l’autre le poids de sa légèreté. Tout le monde connaît un Polo. Moi-même, lorsque je pars faire un peu de sport autour de chez moi, j’en croise plusieurs. Tous différents dans la race. Tous identiques dans leur vie de chien.
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Ailleurs en ce bas monde, il y a Nathalie et Léa. Toutes deux, la mère et sa fille de quatorze ans, vivent seules, sont passionnées de randonnées, de grand air, de trail et de toutes ces escapades qui élargissent l’horizon, le rendent plus lumineux, redonnent du souffle à la vie. Les grasses matinées ne sont pas trop leur truc, elles préfèrent voir le soleil se lever depuis un sommet dès qu’elles le peuvent.
A ce jour, elles ont fait déjà fait plusieurs longs allers retours dans un refuge pour rendre visite à une chienne qui a fait chavirer leurs cœurs dès qu’elles l’ont vue sur le site. Cela faisait longtemps qu’elles pensaient à adopter un chien.
Elles ont pris le temps de la réflexion, de tout bien peser et penser, afin de s’engager dans l’aventure le plus sereinement possible, en toute connaissance de cause et en responsabilité. Lorsqu’elles ont vu cette chienne, cela faisait déjà un moment qu’elles étaient prêtes, alors, et ce même si elles appréhendaient un peu, elles ont décidé de franchir le pas.
Aujourd’hui était censé être la dernière visite, celle à l’issue de laquelle elles auraient dû revenir dans leur foyer à trois. Les cœurs étaient légers, heureux, impatients. Dans la voiture, tout était prêt : un coussin, deux trois jouets, de l’eau, une petite friandise de bienvenue...
Mais à leur arrivée au refuge, la sentence tombe, brutale, implacable et sans appel. Abasourdies, elles écoutent les paroles de leur vis-à-vis, chaque mot ayant l’impact d’un coup de poignard. Je pense que certains ne réalisent pas toujours le pouvoir des mots, la douleur qu’ils peuvent infliger dans cette partie tendre de l’être que l’on nomme communément le cœur, ce qui pourrait expliquer pourquoi ils les laissent s’échapper de leur bouche aussi facilement.
Aujourd’hui fut donc bel et bien la dernière visite. A ceci près qu’elles partirent comme elles étaient arrivées, à deux.
Plus t**d ce même jour, mère et fille font quelques courses au supermarché. Un instant durant lequel des regards se croisent, des mots s’échangent au sujet de cette foutue huile d’olive qui ne cesse d’augmenter, sans crier gare, les yeux de Nathalie s’embuent, rapidement imités par ceux de sa fille. Gênée, la mère s’excuse.
Pourtant, les excuses ne devraient pas venir d’elle. A moins qu’une personne à qui l’on a décidé de ne finalement pas laisser adopter une chienne, car vivant en appartement, soit coupable de quelque chose ? Eh oui, voilà le pourquoi de leur retour à deux, elles vivent en appartement et, crime majeur, n’ont pas de jardin ! Le mode de vie, les intentions, la responsabilité, le sérieux, l’affect, soudain, plus rien n’a compté, sauf le sacro saint jardin. C’est à peine croyable.
Bien-sûr, si cette observation ne fait heureusement pas généralité, elle ne devrait pour autant pas déterminer en trop grande partie le devenir, l’avenir d’un chien.
A présent, il n’y plus qu’à espérer que ses adoptants auront la même vision d’une vie avec un chien, un véritable partenaire de vie, que Nathalie et Léa. Car tout comme les Polos, des exemples à la Nathalie et Léa, il y en a malheureusement d’autres, l’absurde aime voir grand et ne se contente pas de jouer en local.
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Nous revoilà de retour aux côtés de Polo justement. Étonnamment, ce dernier aurait bien aimé vivre en appartement et profiter des attentions et de l’affection des deux filles, dont l’engagement, l’envie et la détermination indéfectibles à lui consacrer du temps et lui offrir sorties, grattouilles, confort, jeux et distractions en tous genres ne se mesuraient pas à la taille de leur chez elles ou même à leur emploi du temps.
Se balader, courir, renifler, rencontrer des copains chiens et leurs maîtres, et bien sûr, partir à la moindre occasion en vadrouille en famille, à la montagne, à la mer ou tout simplement en ville le temps d’un café, voilà l’essentiel, l’existentiel, car, comme le dira Nathalie, «Si on prend un chien, c’est pour tisser des liens, faire le maximum de choses ensemble, sinon on n’en prend pas. Du moins c’est comme ça que je concevais les choses.» Nous retiendrons l’emploi du passé, car aujourd’hui Nathalie est écœurée. Qui ne le serait pas à sa place ?
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Personnellement, je suis et resterai un fervent partisan de l’adoption en refuge. Il y a tant de malheureux qui méritent un nouveau départ…
En revanche, je sais aussi que de tout temps, regarder le monde du mauvais côté des jumelles n’a jamais été l’idéal pour se faire une idée précise de ce que nous observons. Pour quelques-uns, les retourner serait déjà un bon début. Dans notre cas, cela aurait permis qu’une belle histoire voit le jour.
A la place, ne reste que l’amertume, deux cœurs brisées, et une chienne, qui, depuis un box, attend toujours une famille.
© Texte & photo Le Temps des Chiens 🐺