11/09/2024
........ "Les signes d’inconfort et le complexe du bien être" .....
Il y a un peu plus d’un an, j’avais écrit un texte, que j’avais appelé « le complexe du bien-être », où je parlais d’un certain extrême vers lequel la quête du bien-être du cheval me semblait glisser, en s’éloignant de certains fondamentaux. Je ne l’ai jamais publié, je n'ai jamais osé…
Puis, au dernier évènement du Nokota Challenge, une personne dans le public m’a fait la remarque que Tiger Lily était la jument qui montrait le plus de signes d’inconfort avec des fouaillements de queue et les oreilles en arrière quand je lui demande d’avancer et elle m'a demandé quel était mon positionnement vis-à-vis de cela. Je pensais avoir beaucoup expliqué déjà dans les vidéos puis sur notre 1ère démo le samedi, le tempérament très introverti de Tiger Lily, et que se porter en avant était depuis nos premiers échanges associé à la manifestation de quelque chose de désagréable.
Précisons déjà ce que sont « signes d’inconforts », ce sont des manifestations physiques liés à une émotion « négative », une situation désagréable. Lorsqu’un cheval est dans l’inconfort, on peut remarquer des mimiques comme les oreilles en arrière, la mâchoire serrée, les naseaux tendus, le contour des yeux tendus sans clignotement. Le corps est crispé, les mouvements peu fluides, voir asymétriques, il peut fouailler de la queue. La défense vis-à-vis des demandes peut se manifester par des mouvements d’encolure violents, des montées de dos ou de croupe, des jets de postérieurs… Les signes sont donc très nombreux à observer, et il est important de ne pas relever un ou deux signes et déduire d’un inconfort sans regarder le cheval dans son entièreté et surtout mettre la situation dans son contexte !
Pour expliquer là où je veux en venir, je vais partir de Tiger Lily avec sa queue et ses oreilles lorsqu’on lui demande de se porter en avant.
De mon observation des relations dans le troupeau que nous avions au Texas, Tiger Lily se bougeait très peu, ne trottait jamais de son plein gré, et était très très souvent poussée par les autres individus du troupeau. Les demandes de se pousser étaient généralement assez fortes, rapides, intenses, avec des registres comportementaux assez forts en intensité. Elles ne prenaient pas de pincettes pour communiquer, autant pour demander à l’autre de bouger, que dans la manière de consentir à bouger. Si elles avaient la parole, on aurait dit qu’elles étaient un peu rustres et brutes de décoffrage et qu’elles rallaient sans retenue.
Donc j’ai démarré avec une jument qui ne savait que se faire pousser, qui n’avait aucune idée de l’intérêt de se déplacer autrement que lentement si ce n’était pas pour fuir, et qui râlait systématiquement quand il fallait se bouger.
Autre élément du contexte : son état physique. Y a-t-il des éléments physiques qui peuvent influencer des signes d’inconfort pour la mise en avant ? Oui plein.
C’est une jument qui revient de loin, qui a beaucoup manqué. Lorsque le corps manque d’apport, la survie va dépendre, entre autres, de la capacité à fonctionner en sous régime, donc à s’économiser au maximum. Se déplacer rapidement consomme plus de l’énergie donc met en péril la survie. C’est une des raisons pour lesquelles elle a appris à s’économiser et se mettre en avant est pour elle quelque chose de négatif.
Ensuite, elle avait un important problème dentaire, provoquant un abcès dans un des sinus frontaux, donc une sinusite chronique. L’hyper pression dans le maxillaire supérieur, et l’os frontal devait très probablement lui donner des maux de tête. Vous avez déjà couru avec le mal de tête ? Non parce que cela vous donne l’impression que votre cerveau cogne à l’intérieur de votre crâne. Il est donc fort possible que trotter ou galoper lui donnait ou augmentait des douleurs au crâne.
Enfin, par rapport à son fonctionnement général, elle était très très raide de la ligne du dos, avec une difficulté à positionner ses postérieurs sous sa masse pour se propulser, un fort déséquilibre sur l’avant main. Elle se déplaçait en se laissant tomber vers l’avant et elle ne parvenait pas à maintenir son galop plus de quelques foulées. Etait ce une conséquence de la période de manque qui a cassé sa courbure de croissance ? Ou à cause du problème dentaire ? Ou les deux ? Ou autre chose que l’on ne saura jamais ? Peu importe. Mais c’est le contexte.
Avant de commencer son éducation au sol, j’ai donc préparé le nécessaire afin de s’occuper des points concernant son état physique.
Elle a eu des séances d’ostéopathie, de shiatsu, de lithothéapie, d’énergétique, d’olfactothérapie.
On a fait un bilan nutrition, où elle a été pesée et mesurée sous tous les angles, pour établir son état et ses besoins précis au jour d’aujourd’hui, en fonction des valeurs nutritives des fibres présentes chez moi (herbe et foin). Le but : évaluer le retour de croissance et de développement, le manque d’état, faire reprendre doucement, ne pas provoquer de choc, et aider à vivre ce changement d’environnement en interne.
Elle a eu des cures en phytothérapie et homéopathie pour aider son système immunitaire, son système digestif (estomac, muqueuse intestinale, flore microbienne…), son système ostéo articulaire… etc
On a été en clinique pour faire un scanner crânien et choisir la thérapeutique adaptée basée sur un diagnostic précis. Elle a eu les soins dentaires nécessaire, des antibiotiques et des anti inflammatoires qui ont permis d’améliorer à 80% tous les symptômes visibles (mastication, écoulements, gonflements…). La prise en charge se fera en plusieurs interventions sur un an.
Après tout cela, j’avais l’assurance que l’on pouvait commencer le travail, en ayant amélioré tout ce qui pouvait influer sur la difficulté à se porter en avant de Tiger Lily.
Comment lui faire apprécier le fait de trotter, se bouger, jouer dans le mouvement ? Déjà, en ayant un état d’esprit motivant, mettre du fun et être ultra positive. Récompenser généreusement le moindre petit effort pour qu’elle est envie d’en faire plus. « Demander souvent, se contenter de peu, remercier beaucoup ». Varier les mouvements, jouer avec mon énergie et le moins possible avec mes outils, et donner des buts. Il faut donner des objectifs, concrets, et non pas bouger pour bouger.
Et ensuite, il faut l’aider dans son corps pour que le mouvement devienne quelque chose qui lui fasse du bien. Et là, on va aborder la notion « d’effort physique ».
A ce stade, et encore aujourd’hui, elle préfère être à l’arrêt, elle met les oreilles en arrière et fouaille de la queue que je lui demande de marcher, de trotter, de se déplacer latéralement…
Elle montre des signes d’inconfort. Est-ce que je dois arrêter ? Est-ce que dans notre vison de la relation au cheval où l’on prend en compte son bien être comme pilier central, je dois stopper l’activité dès que je vois des signes d’inconfort ? En gros, est ce que parce qu’elle met les oreilles en arrière et fouaille de la queue je ne peux pas lui demander de se bouger ?
Pour moi la réponse est évidemment non !
Tout le monde est d’accord pour dire qu’il est indispensable de travailler le physique du cheval en plus de son mental, et que les deux sont totalement liés. Qu’il faut lui permettre de gagner de la souplesse, de la force musculaire, de l’équilibre, pour qu’il se développe au maximum de son potentiel et pour qu’il soit dans les meilleurs conditions physiques pour toutes les activités que l’on va lui faire faire, que ce soit à pied, monté ou attelé. On va le gymnastiquer, le faire se tonifier, lui apprendre à utiliser son corps de manière optimale, à s’équilibrer sur l’arrière main puis se rassembler. On va lui faire faire du sport, parce que le cheval est fait pour cela, c’est un athlète né.
Et quand on parle de sport, de se développer physiquement, on parle de faire des efforts physiques.
Dans un 1er temps, si vous n’êtes pas sportif, que vous être raide, pas endurant et pas musclé, il va falloir que vous vous mettiez un coup de pied au cul pour sortir vos baskets. Et si c’est votre ado que vous poussez à sortir pour bouger, il va râler lui aussi ! Pourtant vous savez que c’est pour son bien, et qu’il ne faut pas donner raison à ses signes d’inconfort !
Sortir de sa zone de confort est inconfortable, par définition, et surtout lorsque l’on n’en a pas l’habitude ! Le corps, lorsqu’il est mal en point, est difficile à mettre en mouvement, le cerveau cherche son confort et donne envie d’arrêter, les muscles font mal, le souffle est irrégulier… Mais c’est en se stimulant par l’effort physique que le corps réagit et que chaque élément (ligament, tendon, muscle, fibres nerveuses, cœur, poumon…) gagne en force, en bonne santé. Les hormones (endorphines, dopamines…) donnent ensuite cette sensation agréable qui créée le plaisir de se mettre en activité.
L’effort physique, quelque soit le stade de difficulté, aura un impact positif si vous allez repousser, petit à petit vos limites, si vous allez étendre votre zone de confort. Cela veut dire que petit à petit, le corps comprend qu’il y a du confort à aller hors de la limite de sa zone de confort, parce que l’on parvient à agrandir cette espace confortable. C’est cela qu’il se passe dans le processus de développement physique. Petit à petit, les exercices du début deviennent de plus en plus faciles, vous parvenez à courir vos 3km de plus en plus facilement alors vous commencez à rajouter 500m, puis encore 500m… Pourtant, au départ, vous faisiez la grimace !
Je crois que dans notre monde du cheval qui cherche toujours plus de bien être pour les chevaux, il faut faire attention à ne pas tomber dans ce que j’appelle, « nos complexes du bien-être ».
Un complexe parce qu’il est complexe de trouver la justesse et l’ajuster à chaque cheval.
Un complexe par qu’il semble que certains soient perdus entre écouter son cheval et savoir quand, comment, combien agir tout en gardant l’idée que c’est pour son bien.
Un complexe parce qu’on est à un stade où des mouvements de pensée nous poussent à nous justifier de faire faire des choses avec nos chevaux, de les mettre à l’effort physique et d’aller se cacher si un signe d’inconfort apparait au risque de se faire crucifier.
Il vient d’y avoir les JO.
Des athlètes du monde entier nous montrent leurs incroyables capacités dans tous les sports. Prenez le temps de les regarder. Lorsqu’ils sont dans l’effort, est ce qu’ils ont le visage relâché comme quand ils sont repos ? non. Est-ce qu’ils ont un grand sourire ? non, uniquement quand ils ont franchi la ligne d’arrivée. Comment est leur corps ? Il est tendu, les muscles sont engagés, ils respirent forts. Et avez-vous déjà écouté ce qu’ils racontent de leurs préparations pour en arriver à ce niveau ? Des efforts, repousser ses limites pour se créer un corps d’athlète. On les admire, ils ont des corps au maximum de leurs capacité et de la santé.
Vous voyez où est le paradoxe ?
L’effort est par définition inconfortable mais c’est par lui que l’on se développe.
Le cheval est un animal athlétique par sa nature, constitué pour les efforts physiques, bien loin de ce qu’on offre à une grande partie de la population de chevaux dans notre pays.
Quand je travaillais exclusivement en tant qu’ostéopathe, j’en ai croisé des chevaux non actifs, en surpoids, sans capacité musculaire ni cardio respiratoire, et qui font une balade tous les samedis avec leur cavalier assis (lourdement) dans la selle. Souvent pas ou peu de préparation ou d’entretien physique, pas de dos, pas d’abdos, souvent pas de pied. Des chevaux qui ne savent pas utiliser leur corps pour porter un cavalier, qui vont en balade ou en carrière le dos creux et qui fonctionneront comme cela pendant… toute leur vie. Des cavaliers qui n’ont jamais eu la chance d’apprendre des notions d’anatomie, de biomécanique, et qui ne voient pas la différence entre un cheval qui fait un effort juste ou un effort faux… Mais comme l’ostéopathe vient une fois par an pour les blocages de dos du poney, il répare et ça repart...
Le bien-être, il commence par la (re)connaissance des besoins.
Parmi ses besoins vitaux, le cheval à celui de sa santé physique, et elle découle en partie de l’exercice physique. Des parents ne voudraient pas que leurs enfants passent leur vie entre la cuisine et le canapé. On sait très bien que les activités sportives aident au bon développement du corps, à la bonne santé physique et psychique. Donc même s’ils râlent, les parents vont forcer leurs enfants à aller faire du sport, et petit à petit, ils ne râleront plus d’en faire.
J’entends souvent la réflexion « Oui mais l’humain il choisit de faire telle activité, pas le cheval ».
Oui et non ! Si j’écoute mon cheval, je peux savoir dans quelles activités il semble avoir le plus de capacités, d’aisance, d’envie, et choisir d’aller plus loin dans ces activités qui lui plaisent. Le développement physique sera nécessaire quelques soit l’activité.
Et si je veux le bien être de mon cheval, alors j’ai pour responsabilité de l’aider à se développer physiquement, à aller au meilleur de lui-même, et lui faire améliorer sa locomotion. La stabilité émotionnelle, la confiance en soi, l’incarnation complète de sa personnalité vient lorsque le cheval maitrise parfaitement son corps, son équilibre, sa force. Il se bouge dans la régularité de son propre rythme, il n’a aucun inconfort de déséquilibre ou de raideur.
Cette maturité mentale et physique est notre responsabilité et c’est pour moi l’aboutissement de la quête de son bien-être.
L’amener au meilleur de lui-même.
L’amener en haut de la montagne
Mais évidemment, pour aller au sommet, il y a eu ce petit chemin escarpé, difficile, avec des plats, des montées, des descentes, de l’effort, des grimaces, des courbatures, de la transpiration, des pauses nécessaires, des endorphines, un cœur qui bat, un corps qui vit.
Je suis ostéopathe, mon 1er métier a été d’écouter les mouvements du corps, et aider les corps à retrouver du mouvement. On m’a enseigné que l’arrêt du mouvement dans le corps c’est la mort, et que le mouvement c’est la vie.
Que le corps n’a de limite que celles que l’on se met dans nos esprits.
Que l’inconfort n’est qu’un signal, et que c’est n’est pas l’ennemi mais le stimulus pour réagir, et que l’esprit peut finir par rechercher l’inconfort afin de continuer à stimuler le développer de son corps.
Que manifester son inconfort n’est que de la communication, et si l’effort est juste par rapport au contexte, alors l’inconfort n’est que le passage obligé pour aller vers bien plus de confort que ce soit pour le mental que pour le corps.
Alors est ce que le fait que Tiger Lily mette les oreilles en arrière et fouaille de la queue quand je lui demande de se mettre en mouvement est un signe qu’elle n’est pas assez bien pour faire l’exercice ? Elle est inconfortable à l’instant T, et il faut passer par là pour qu’elle soit de mieux en mieux dans son corps.
C’est valable pour absolument tous les chevaux et je continue à éduquer et travailler les miens pour les amener à être au plus haut niveau de développement physique et mental que nous sommes capables d’atteindre.
Le but est d’être au maximum de l’épanouissement, et cela nous permet de pouvoir réaliser des exercices difficiles avec la détente que l’on recherche. Cette détente, qui est la manifestation de se trouver dans une zone de confort, est construite par la recherche de la souplesse, de la force musculaire et de l’équilibre. Donc à traverser l’inconfort par de l’effort physique et mental.
Être essoufflé, transpirer, grimacer, avoir des courbatures, c’est être vivant ! Alors vivez, faites battre votre cœur pour qu’il batte le plus longtemps possible. L’effort et son inconfort sont les amis du bien-être. Ne tombez pas dans les extrêmes qui vous immobilisent.
Photo Jade Beaumont
Nokota Challenge