19/03/2022
« La tendance à faire tout en positif n’est qu’une mode ridicule »
Disent ils du bout des lèvres, avec un petit sourire narquois et méprisant vis à vis de leurs collègues ou clients.
« Le positif, c’est n’importe quoi, vous leur laissez un doigt ils vous bouffent le bras, il faut être ferme, autoritaire ».
Ah, comme je suis lasse d’entendre ces phrases de la part des pseudo experts ! Souvent uniquement des « experts cynophiles » d’ailleurs. Ce n’est pas une pensée qui revient parmi les professionnels liés à d’autres espèces animales (zoos, félins, aviaires etc etc), mais c’est très ancré dans les esprits que, quand même, le tout positif avec le chien bah ça ne fonctionne pas toujours.
En même temps « agiter la carotte » constamment c’est ridicule non ? « Moi mon chien, il fait les choses parce qu’il m’aime » ou encore mieux : « parce qu’il sait qui est le maître ».
Outre le ridicule besoin de satisfaire son ego d’humain en mal de reconnaissance, cette façon d’appréhender l’animal ne s’appuie sur aucune -je dis bien : aucune- étude.
Ceux qui clament que ça ne fonctionnent pas, savent ils réellement de quoi il en retourne ? J’en doute : car les sciences comportementales sont formelles, et ce, depuis près de 100 ans tout de même (il serait quand même temps de se mettre à jour non ?) des pionniers comme Pavlov, Skinner, et bien d’autres se sont succédés et relayés, chacun apportant sa pierre à l’édifice des sciences comportementales.
Et pourtant comme dirait si bien Susan Friedman, l’espèce de « brouillard culturel » entourant le comportement, la culture de la punition a encore de beaux jours devant elle.
Alors on pourrait se demander mais pourquoi ?
Il y a plusieurs raisons qui expliquent le fait que la punition est encore très largement utilisée.
▶️ La premiere et principale, nous vivons littéralement dans une société punitive. Depuis enfant, nous sommes grondés, à l’école réprimandés ou puni par un système de notation qui donne une valeur immédiate sans s’intéresser au pourquoi, sans s’intéresser à l’individu, son schema de pensées, et ne lui donne d’ailleurs aucune information sur la façon d’aborder son échec. Dessinant tranquillement, insidieusement les contours d’une étiquette qui risque de rester sa prison pour un bout de temps.
Nous sommes tellement bien conditionnés nous même à ce système qu’il serait presque inenvisageable qu’il en soit autrement. Non ?
« Moi j’ai vécu la même chose et j’en suis pas mort ». Est ce réellement une raison suffisante pour justifier le fait de ne pas tenter de faire mieux ?
▶️ La seconde c’est que... Ca marche. La punition fonctionne, évidemment. Et c’est aussi pourquoi il est aussi difficile de « changer une équipe qui gagne ».
D’un point de vue strictement scientifique la punition a déjà maintes et maintes fois prouvé son efficacité, et nous en avons d’ailleurs absolument besoin pour survivre : si j’apprends qu’en touchant ce fil électrique d’une cloture dans un champ je me prends une décharge, il y a fort à parier que je ne fasse pas la même erreur 2 fois !
Le problème est la : si la punition est efficace pour supprimer des comportements en revanche elle ne s’intéresse pas au « pourquoi » le comportement est apparu en premiere instance. Ainsi même si je réprimande mon animal 50 fois parce qu’il fait p**i dedans, s’il avait en réalité une infection urinaire et que c’était la cause de ce « mauvais » comportement, je viens simplement de briser notre relation, notre complicité sans même m’intéresser au pourquoi. Sans même donner une solution alternative à l’animal qui, meme avec toute la meilleure volonté du monde, ne pouvait simplement faire autrement à ce moment la. Il peut y avoir mille et une autre raison à ce comportement : satisfaire un besoin qu’un jeune chiot ne pouvait tout simplement pas retenir après 3h d’attente, un stress immense vécut dehors l’empêchant de se détendre suffisamment pour faire ses besoins etc etc.... Tout ce que punir le comportement bêtement sans regarder the « big picture » ne permettra de determiner. Et vous vous retrouverez donc dans cette spirale infernale ou la cause du comportement n’ayant pas été identifiée, le comportement, malgré la punition, risque de persister, voir empirer...
▶️ Et j’en viens donc à mon dernier point : plus le comportement persiste, plus ça risque d’être l’escalade de la violence : ayant été nous même renforcé dans le fait que « ca a marché une fois » on recommence « plus fort » pour tenter de retrouver notre quiétude initiale. Qui n’a jamais dit non une fois, puis non en faisant les gros yeux, puis non en poussant, puis non en criant et en faisant de grand gestes ?
Pourquoi dans ces moments la est on aveuglé et persistant dans ce comportement malgré nos multiples échecs ? Pourquoi est-on.... Aussi « tétu » que le chien en face qu’on étiquette exactement de la même façon ?
La réponse est assez simple en réalité et s’explique aisément en science comportementale : historique de renforcement, extinction et processus de renforcement à durée variable.
Et oui parce que la persistence d’un comportement, le coté « tétu » se travaille, ce n’est pas inné et encore moins une étiquette à coller sur la tête d’un animal.
Et ne parlons meme pas des professionnels qui clament qu’il faut de l’autorité, qu’un chien est dominant et qu’il vous faut, vous humain, asseoir votre dominance sur lui. Comme si la dominance impliquait la violence dans les rapports, et comme s’il n’y avait pas littéralement une tonne d’étude qui venait contredire la pseudo dominance inter spécifique qui justifierait, par lien de cause à effet, la violence.
A non pardon. Le « cadre ».
Mais le fameux cadre, il existe lorsqu’on cherche à modifier le comportement de son animal. Amener son animal à trouver la meilleure solution pour lui (et pour nous aussi au passage), n’a pas besoin de se faire dans la violence. Je n’ai pas besoin de crier pour obtenir un rappel efficace, je peux faire autrement. Je n’ai pas besoin de mettre des coups de pieds aux fesses des enfants pour leur apprendre leur table de multiplication, je peux faire autrement.
Je peux faire autrement.
Cette simple phrase devrait justifier à elle SEULE, le fait de prendre le temps de faire autrement. Bousculer nos aprioris, bousculer nos habitudes, remettre en question nos acquis. Parce que justement, je suis humain, je peux, j’ai la possibilité de me donner les outils pour faire autrement.
Si les sciences comportementales sont tant en échec c’est aussi par simple méconnaissance, car comme toute science, elle n’est pas magique, elle demande du temps pour son application. Elle demande d’en comprendre les fondements, le pourquoi, les subtilités.
Et la science ne donne pas de ligne directrice, elle ne donne pas d’éthique à suivre. Ca, c’est à nous de nous en occuper. Savoir que la punition ca marche c’est une chose. Mais a quel prix, et avec quels effets secondaires ? Toutes les petites lignes qui ne sont finalement jamais décrites par les « experts » vous conseillant impunément de fracasser votre compagnon de vie.
Savoir que le renforcement positif ca marche, avec beaucoup plus de bénéfice et sans effets secondaires - si ce n’est cultiver la confiance - c’est mieux.
Alors maintenant et vous ?
Serez vous prêt à remettre tout votre système de croyance en question ?
Serez vous prêt à pencher la feuille et observer la scène d’un nouvel angle ?
Serez vous prêt à.... Faire autrement ?
Le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux - Marcel Proust
Photo qui illustre parfaitement le propos :
Ace - sourd, épileptique partiel, accueilli en FA et resté pour toujours car implacable : catégorisé et étiqueté par d’autres comme mordeur, destructeur, hypersensible, (très) glouton + protection de ressource, peureux, réactif enfant, chien plus grand que lui, dangereux car comportements aberrants. Je n’aurai pas donné cher de sa peau si j’avais été un tant soit peu violente.
Aujourd’hui… c’est le meilleur chien qu’il m’a été permis de rencontrer : il a fallut 2 ans : il n’y a pas de magie, mais il est ok tout, il a une stabilité émotionnelle forte, il ne détruit plus, il sait s’éloigner lorsqu’il le souhaite s’il n’apprécie pas une interaction, il sait communiquer et à confiance dans le fait qu’il sera entendu et compris. Certains le connaissent bien je travaille souvent avec lui pour aider à son tour des copains chiens réactifs chiens. Il a cette sensibilité qui était son pire défaut, et qui est maintenant sa plus grande force : désamorcer immédiatement s’il sent un chien en face mal a l’aise.
Il a… confiance. Cette confiance a toute épreuve qui fait que moi aussi, j’ai confiance en lui les yeux fermés. La seule chose qui n’a pas changé c’est sa sensibilité au toucher : sauf que maintenant c’est pour se faxer dans les bras pour des sessions de câlins à n’en plus finir. Cette sensibilité au toucher qui aurait été son plus grand défaut si cette même main avait un tant soit peu servit à autre chose qu’à de la douceur.
Et vous savez quoi ? Lui n’a pas changé. La façon de l’appréhender, le regard porté sur lui, en revanche, ont changé. Et n’ont fait que révéler tout ce qu’il avait déjà.
Marion
Consultante en Comportement Animal
FFCP