20/02/2023
Bonjour.
Je me permets de vous partager une expérience choque d'une collègue, qui on pense est un cas rare mais croyait moi quand c'est notre métier on le voit plus que régulièrement et TROP régulièrement.
Le suivi des pieds n'est pas un jeux a prendre à la légère c'est clairement l'une des choses la plus importante du cheval.
Pas de pieds pas de cheval, on le dira jamais assez.
Un suivi régulier n'est pas une option mais une obligation pour le bien être de vos chevaux.
"Voilà pourquoi tenir les délais de parage et de ferrage reste primordial.
Lorsque votre maréchal ferrant vous donne des échéances pour l'entretien des pieds de votre cheval, lorsqu il vous répète qu'il est trop gros et qu'il va finir par avoir des problèmes, lorsqu'il vous conseille d'appeler le vétérinaire parce qu'il a trouvé que quelque chose n'allait pas (changement des aplombs, raideurs, changement brusque de comportement, modifications physiologiques importantes), s'il vous plaît, ne sous estimez pas ces conseils.
Je viens de vivre la plus désagréable expérience professionnelle, depuis que je suis installée, cet après midi.
Un client m'a appelé la semaine dernière pour le parage d'une ardennaise de 18 ans. Nous avons pris rendez vous rapidement et nous nous sommes arrangé avec le vétérinaire qui devait l'endormir (et non pas simplement la sédater, subtilité que je n'avais pas saisie alors).
Le client me la présente ainsi :
"Elle est fourbue depuis son premier poulinage, et n'a jamais été très coopérative, même dans un travail. Elle est endormie pour la maréchalerie depuis trois ans. Et en ce moment elle pose mal les pieds. Je n'ai pas de nouvelles de l'ancien maréchal-ferrant."
Connaissant l'angouement de mes collègues pour les ânes, les poneys et les traits, je ne me pose pas plus de questions et je me dis que mon prédécesseur a jeté l'éponge devant une bête lourde, mal éduquée et qui a sûrement mal.
En arrivant, la discussion se résume à peu près à cela:
"-Vous venez? Elle est au parc derrière le hangar!
-Je préférerai qu'on la fasse sous le hangar. On sera au plat, au propre et à l'abri et on pourra la soulager avec le manuscopic si besoin est.
-D'accord, je vous la ramène."
Jusque là, je voyais la chose se dessiner d'une manière laborieuse mais efficace.
Et j'ai vu arriver la jument. Complètement boiteuse de loin, mais je me suis dit qu'en crise de fourbure, c'était inévitable. Et plus elle s'approchait, et plus je me rendais compte que la fourbure n'était pas le seul soucis. Quand la jument est arrivée devant moi, je suis restée sans voix.
Antérieur gauche: Bouleture plus que sévère et un pied qu'on ne peut plus qualifier de "bot", contracture tres serieuse du flechisseur, une auteur de talon une fois et demie supérieure à celle de la pince, une encastelure bizarre et des traces de lésions un peu partout.
Antérieur droit: Début de bouleture raisonnable mais en cours d'évolution, un pied déchiqueté et de manifiques traces de lésions un peu partout aussi.
Étonnamment les postérieurs étaient beaux. Et j'ai levé les yeux. J'ai découvert une jument squelettique, dans une position antalgique qui fesais peur à voir.
Là, je comprends qu'endormir la jument est à prendre au 1er degré.
Je demande au propriétaire depuis quand est elle comme ça et quand est venu mon confrère la dernière fois.
"- Ça fait un peu plus de deux mois qu'elle marche comme ça. Et le maréchal l'a vue il y a un an. On la fait une ou deux fois par an, ça suffit. Et puis il faut l'endormir à chaque fois. Alors on essaye de repousser un peu.Le maréchal l'avait bien redressée l'an dernier. Il lui avait mis des fers à l'envers. Et ça allait mieux. Mais au bout de deux fois je n'ai plus eu de nouvelles"
Je lui explique que les bêtes fourbus nécessitent des soins beaucoup plus fréquents, que c'est trop dommage d'avoir arrêté le ferrage, surtout quand on voit son état aujourd'hui. Que je suis pessimiste sur ce cas mais que si on veut se donner les moyens, on peut peut être la sortir de ce mauvais pas, à grand coups d'orthese, de fer orthopédique, de traitement pour détendre les tissus fibreux, d'un suivi et d'une rigueur sans faille. Mais que j'aimerai quand même avoir l'avis du veto. Éventuellement, on peut envisager un autre type d'approche, genre sédatif léger type Domosedan, moins cher, efficace, pas besoin du veto pour le donner et ça permettrait de suspendre la jument le temps du parage/ferrage/orthese.
Le propriétaire à l'air réceptif, je me dis qu'on a peut être une chance.
Sur ce, le vétérinaire et son interne arrivent. Les vetos sont d'accord avec ce que j'ai dit, on commence un traitement decalcifiant pour détendre les tissus conjonctifs fibreux, on l'endort, on la pare, on voit comment ça évolue et on envisage un ferrage et une orthese avec armature métallique dans les deux semaines qui suivent.
On emmène donc la jument dans l'herbe grasse pour la calmer et l'endormir.Elle se défend pendant un bon moment. Elle n'a pas trop envie de se laisser aller, je le vois depuis le début. Mais elle finit par tomber, délicatement, sur le flanc gauche.
Je ramène la disqueuse chargée à bloc, rainettes affûtées comme des rasoirs, la GE neuve, rogne pied et mailloche, la totale. Je revêt mon tablier pendant que L. fait un somme, tenue, caressée, chuchotée, gratouillée par mon compagnon. En voyant le tableau, je suis... optimiste. Alors j 'attaque l'antérieur droit, le plus disponible vu la position. Talons... fourchette... longs mais pas pire. Je commence à couper en pince... mèrde. Un trou noir. C est sûrement un résidu d abcès. Je prend une rainette pour tâter le terrain, voir si c est profond. Ça a l'air. Alors j'enlève un bon cerneau... et là, l'apocalypse. Des asticots partout, partout, partout, une odeur de mort, et surtout une cavité béante et dont je ne vois pas le fond. Je commence à me poser des questions. J'appelle le veto. Et le regard qu'on se lance n'est pas très rassurant. Je lui demande le feu vert pour tout décaper.
On se met d'accord sur le fait que si il n'y a plus de tissu vivant, la suite sera compliquée.
Je décape. Encore. Encore. Encore. Rien. Même plus de phalange. On se rend compte que l infection et la nécrose ont gagné le bourrelet perioplique par endroit. Je remonte encore. Je crois qu il manque un morceau de la deuxième phalange aussi. Je demande au propriétaire d'aller me chercher un grand seau d'eau claire. Pendant son absence, je demande au veto son avis, en connaissant déjà la réponse. Ou on la suspend pendant au moins 6 mois dans un environnement sain et on soigne cet anterieur avec des pansements en priant pour que quelque chose repousse, et tant qu'à faire autant travailler sur l'orthese de l'antérieur gauche pendant ce temps, soit on arrive à persuader le propriétaire de l'euthanasier sur place. Il me dit aussi que vu l'évolution de la nécrose, la jument aurait du être traitée il y a au moins 6 mois et que même si le propriétaire n'avait rien vu avant, la bouleture aurait dû l alarmer. Mais comme il repousse sans cesse les échéances à cause du coût des interventions, il est presque certain que les soins ne seront pas fait. Autant penser à l euthanasie tout de suite. On est d'accord. Le propriétaire revient. Nous lui exposons la situation. Il reste 10 minutes avant qu elle se réveille. Il faut prendre une décision rapidement.
Réponse du proprietaire:
-"Je vais attendre lundi que ma femme rentre pour voir avec elle"
On est vendredi, il est 14h 45 et je commence à imaginer L., le pied éventré comme une boîte de conserve, au milieu du pré, attendre encore 72 heures.
Je deviens catégorique, il ne faut pas que cette jument se réveille si ils ne sont pas prêts à vivre au minimum 1 an de galères perpétuelles mais qui seront peut être productives. Il prend la décision de la laisser partir. Le veto fait l'injection et 3 minutes plus t**d le décès est constaté. J'ai des larmes plein les yeux. Des larmes de haine, d'impuissance et de désarroi. Mais je ne laisse rien couler.
Les conclusions de cette histoire sont multiples.
- J ai compris que mon confrère avait jeté l'éponge parce qu'il s'était investi durement dans une démarche, un protocole qui fonctionnait, qui portait ses fruits et soulageait cette jument et que les proprietaires n'ont ni suivi ni respecté.
- J'ai eu mal. Mal de constater des proprietaires se disant aimants et attentifs à leurs bêtes, sans même réagir aux modifications flagrantes de comportement, de posture, de morphologie de leur animal.
- J'ai eu mal de croire au fond de moi qu'on pouvait faire quelque chose pour cette jument, que j'avais envie de tenter, mais que les propriétaires ne suivraient pas, comme précédemment.
- J'ai eu mal d'être principalement responsable, suite à mon diagnostique, de l'euthanasie d'un cheval que je n'avais jamais vu, que je n'avais jamais suivi.
- J'ai eu mal d'être là, avec elle quand elle est partie.
- Et j'ai encore mal de repenser, qu'avant de partir, son propriétaire m'ai dit:
-"Tous ses poulinages se sont mal passé, elle a perdu un poulain sur deux, a fait des fourbures à chaque fois, pendant plus de 10 ans. On a failli la perdre des tas de fois." et de me dire qu' en connaissance de cause, rien n'a changé.
Cette jument avait un pouls de 155bpm, équivalent de la fréquence cardiaque d'un cheval étant en crise de colique aiguë. La crise de colique est ponctuelle. Alors que cette jument souffrait de cette manière depuis au moins deux mois. Elle "marchait" tant bien que mal, était d'une maigreur sans nom et ne se nourrissait plus beaucoup. Mais elle avait la force d'être toujours là, de survivre.Si on avait engagé un protocole de soins, je sais qu'elle se serait battu.
Si cette jument avait été faite dans les délais que le maréchal demandait, elle serait sûrement encore avec nous aujourd'hui, et je serai fière d'avoir un nouveau cheval de trait dans ma clientèle. J'aurai fait une belle ferrure orthopédique sur une fourbure avancée, rien de plus. Il n'y aurait sûrement eu ni bouleture ni nécrose. Et donc pas d'euthanasie.
J'ettends souvent "je ne pensais pas que c'était aussi grave!" comme réponse après une intervention sur un cheval dont les propriétaires ont déjà été prévenu de problèmes plus ou moins graves qui n'ont pas été traités.
Lorsque votre maréchal ferrant vous donne des échéances pour l'entretien des pieds de votre cheval, lorsqu il vous répète qu'il est trop gros et qu'il va finir par avoir des problèmes, lorsqu'il vous conseille d'appeler le vétérinaire parce qu'il a trouvé que quelque chose n'allait pas (changement des aplombs, raideurs, changement brusque de comportement, modifications physiologiques importantes), s'il vous plaît, ne sous estimez pas ces conseils.
Notre but n'est pas de se faire de l'argent sur votre dos. Nous gagnons notre vie en exerçant notre métier.
Mon metier, c'est le bien être de votre animal, autant que faire se peut et pour le plus longtemps possible..."
