08/02/2023
*Plus on a mal, et... Plus on a mal.*
Quand j'étais adolescente, on m'a dit qu'il fallait que je m'épile. On m'a soigneusement expliqué que plus j'allais le faire, et moins ça ferait mal. Autrement dit, qu'avoir mal régulièrement créerait une résistance à la douleur, un amoindrissement du ressenti douloureux.
J'ai essayé, j'ai eu mal, toujours mal, toujours mal, et puis j'ai arrêté de me faire du mal en espérant que ça s'arrête un jour.
Quelques années plus t**d, sur les bancs de la fac, je découvre le concept de prise en charge de la douleur.
J'y apprends qu'il y a encore quelques siècles, l'anesthésie n'existait globalement pas... Qu'il fallait serrer les dents et espérer s'évanouir rapidement quand on passait sous le bistouri.
J'y apprends qu'il y a encore quelques décennies, l'anesthésie existait mais n'était pas utilisée sur les humains incapables d'exprimer "proprement" une douleur. Autrement dit, les nourrissons pouvaient être opérés à cœur ouvert à la naissance sans anesthésie.
J'y apprends encore qu'une étude scientifique a été menée sur l'apprentissage de la douleur et que ses conclusions sont sans appel : un bébé qui n'a pas mal après sa naissance (anesthésie locale pour les piqûres par ex) aura un ressenti de la douleur inférieur à un bébé qui a mal après sa naissance (piqûre sans anesthésie locale). Autrement dit, prendre en charge la moindre douleur dès le départ fait qu'on a moins mal ensuite.
Quelques années plus t**d, je rencontre un neurobiologiste qui étudie la douleur chez les bébés prématurés, avec les mêmes conclusions : il faut prendre en charge toute douleur, même celle qui nous semble infime et ridicule.
Si on y réfléchit d'un point de vue neurologique, c'est logique !
Plus on a mal, plus les nerfs nociceptifs (qui véhiculent le message de la douleur) seront utilisés et donc renforcés. Plus ils sont renforcés, plus le message passe facilement et rapidement. Plus il passe facilement, plus le ressenti est puissant.
Il existe un mécanisme neurologique qui permet d'éteindre le ressenti douloureux en ayant un ressenti sensitif plus fort. Seulement, le mécanisme de renforcement du chemin neuronal de la douleur va renforcer le ressenti douloureux par rapport au ressenti sensitif potentiel et donc empêcher le déclenchement de ce mécanisme. Donc non seulement la douleur sera plus forte, mais il sera aussi plus difficile de la faire disparaître.
Autrement dit : plus on a mal, et plus on a mal.
Maintenant, revenons à nos chevaux, et imaginez : sur une zone du corps donnée (disons, au hasard, la zone du flanc que touchent les éperons), le cheval n'est quasiment jamais touché délicatement (pas de renforcement du chemin sensitif) mais régulièrement stimulé douloureusement (renforcement du chemin nociceptif).
Plus il sera stimulé, et plus il aura mal.
Autre exemple, le conflit des processus épineux. Au début, ça touche, c'est un peu douloureux, mais comme il y a plein de stimulations sensitives autour, la douleur est masquée naturellement. Puis, plus ça touche, plus c'est douloureux, et moins les stimulations sensitives sont efficaces pour masquer la douleur. Au bout d'un moment, c'est trop t**d, le chemin neuronal de la nociception est tellement renforcé que le cheval ne peut pas s'empêcher de "hurler" de douleur, quoi qu'on fasse.
Quand la nociception est plus forte que la sensation, que faire ?
On peut choisir d'ajouter des produits qui vont diminuer pharmacologiquement la douleur. Mais cette douleur va revenir, si on continue de stimuler la nociception... Et notre cheval arrêtera de répondre aux médicaments/plantes.
On peut choisir au contraire, de diminuer la stimulation nociceptive, pour que le chemin neuronal arrête de se renforcer. En parallèle, on peut essayer de renforcer les chemins sensitifs, en caressant la zone très souvent. Et après de longs mois de remodelage des chemins nerveux... On pourra espérer qu'une stimulation nociceptive soit de nouveau masquée par une stimulation sensitive.
Quoi qu'il en soit, la cause de la douleur doit être traitée : si ce sont les éperons qui font mal, on change d'éperon (ou on les retire) ; si ce sont les processus épineux qui font mal, on apprend au cheval à se déplacer sans les faire se toucher.
Et il y a quelques cas, où la cause ne peut pas être traitée... Les douleurs neuropathiques notamment ne peuvent pas être traitées. On peut chercher à prendre en charge la douleur qu'elles causent, on peut ret**der l'évolution de la pathologie... Mais on ne pourra pas soigner.
Un cheval qui exprime de la douleur n'est pas une chochotte. C'est un cheval qui a eu suffisamment mal dans sa vie pour avoir développé une sensibilité accrue à cette douleur. C'est un cheval qui ne souhaite qu'une chose, c'est que la douleur s'arrête. C'est un cheval qui serait prêt à aller au bout du monde avec vous, si la douleur s'arrête.
Alors prenons en compte la douleur de nos chevaux : moins ils auront mal, moins ils auront besoin de l'exprimer, moins ils auront de comportement dangereux. Si vous ne le faites pas pour eux, faites-le au moins pour vous !
Image issue de l'étude :
Facial expressions of emotional stress in horses
Johan Lundblad, Maheen Rashid, Marie Rhodin, Pia Haubro Andersen
bioRxiv 2020.10.19.345231; doi: https://doi.org/10.1101/2020.10.19.345231