30/01/2023
*** RÉACTIF ? NON MERCI. ***
Partons du principe (difficilement contournable) que les chiens réactifs sont créés par la société dans laquelle ils naissent et vivent, par les choix des hommes et leurs comportements, leurs priorités, leur regard biaisé sur les besoins du chien en général. Cette société devrait alors pouvoir absorber les problèmes qu’elle engendre. Oui, un chien réactif est un problème. On ne va pas commencer à chipoter sur les mots. Il suffit de poser la question à mes clients qui encadrent l’un d’entre eux. Leur chien est un problème au quotidien, qu’ils assument avec la plus grande humanité, et tout leur courage. Que personne ne vienne leur raconter que « penser qu’un chien réactif est un problème » n’est pas bienveillant. C’est insupportable de jugement, et la preuve de la méconnaissance totale de ce que vivre avec un chien réactif et l’aimer, représente vraiment.
À mon sens, il existe un souci bien plus grave, auquel mes clients et moi sommes confrontés depuis des années : Encore beaucoup de professionnel(le)s du chien ne veulent pas avoir à faire au chien réactif, alors même que les termes « rééducation », « réactivité », « agressivité », « bienveillance », et parfois « spécialiste de la réactivité » figurent dans leur biographie.
Éducateur.trices, comportementalistes, qui sont aussi parfois pensions et/ou toiletteurs, et même coaches sportifs ou éleveurs… En dépit de l’impressionnant aspect « multi-tâches », il faut bien constater que le seul salut du chien réactif et de son gardien reste souvent le coach individuel en comportement qui exerce vraiment la rééducation des réactivités, pas celui qui se contente d’inscrire sur son site Internet et sa page Facebook qu’il est formé pour ça.
Être formé c’est nécessaire, mais pratiquer c’est essentiel.
Pourtant…
On aime écrire sur les chiens réactifs.
On aime parler de leurs émotions, de leurs comportements…
On aime faire la liste des stages et formations qui légitiment à s’autoproclamer « rééducateur.trice - réactivité ».
Oui mais dans les faits, si un chien réactif qui se présente peut-être renvoyé ailleurs, c’est plus confortable.
C’est mon quotidien.
Je n’aurai pas l’indélicatesse de faire la liste des professionnel(le)s de France et de Navarre « formé(e)s à la réactivité » qui réorientent les gens vers moi.
ON AIME LES CHIENS RÉACTIFS, MAIS CHEZ LES AUTRES.
Quasiment tous les binômes avec lesquels je suis en travail sont confrontés depuis toujours au refus assumé (ou gêné parfois), d’être accueillis en pension, toilettage ou en activité sportive individuelle. « Nous sommes prêts à payer plus cher » n’est même pas suffisant.
Les excuses des professionnel(le)s sont diverses et variées mais laissent perplexes quand on voit qu’ils se présentent comme des rééducateur.trices de la réactivité ou de l’agressivité :
- absence d’infrastructures adaptées (alors que la rééducation des réactivités nécessite souvent des infrastructures spéciales).
- le chien ne peut pas vivre en totale collectivité (évidemment). Parce qu’en plus aujourd’hui, précisons que certains estiment que si un chien ne peut pas vivre dans le même salon que le lapin, le canari, les chats et d’autres chiens étrangers, c’est qu’il a un souci, et on le refuse.
- le chien représente un risque (si on est formé, les risques sont calculés et maîtrisés par des règles de sécurité et de prévention).
- le chien aboie trop.
- le chien bouge trop, a trop d’énergie.
- le chien demande trop de soins, d’attention.
Etc.
La réaction de mes clients est souvent la même : « On aurait dit qu’il (ou elle) n’avait jamais vu de chien réactif avant. » ou « Un chien hyperactif, c’est ça. Désolé de vous l’apprendre alors que vous êtes professionnel(le) du comportement. » ou « Ce qu’il (ou elle) demande aux chiens n’est pas du tout éthologique, c’est n’importe quoi d’attendre ça d’un chien, surtout réactif. » … etc.
Ubuesque.
Pourtant, ces professionnels ont été contactés à la base parce qu’ils inscrivent sur leur site qu’ils sont comportementalistes, travaillent sur la base de la psychologie et de l’éthologie canine… Or, rares sont les animaux dont l’éthologie leur permet de vivre en collectivité rapprochée avec plein d’individus d’autres espèces qu’ils ne connaissent même pas. Alors le chien réactif n'en parlons pas…
Les questions qui suivent sont vraiment très pénibles pour mes clients :
- « Avez-vous contacté les autres professionnels autour de vous ? » (En gros, pourquoi c’est tombé sur moi?)
- « Avez-vous demandé à la personne qui supervise la rééducation de votre chien si elle connaissait quelqu’un d’autre ? » (Genre, tout les autres, sauf moi).
- « Pourquoi ne pas l’emmener avec vous ? » (Question intrusive et culpabilisante).
- « Quand vous aurez réglé son problème de réactivité, je pourrai l’accepter ». Comme si la réactivité était un détail qui « se règle » en un claquement de doigt pour ne plus jamais revenir.
- « Si partir en vacances avec votre chien est un problème, peut-être faudrait-il essayer de voir les choses autrement… » (Je n’ai pas les mots pour qualifier l’esprit bien-pensant de cette suggestion faite à une personne qui rééduque son chien depuis des mois).
Quelle expérience faut-il avoir pour répondre des âneries pareilles à des personnes investies, qui sont parfois dans un parcours de rééducation engagé depuis longtemps avec un chien qui progresse indéniablement, en dépit de ses pathologies médico-comportementales ?
LA PAUSE NÉCESSAIRE DE L’HUMAIN D’ATTACHEMENT
Les gardiens des chiens réactifs ont parfois besoin d’une vraie pause. Ils ressentent parfois le besoin de partir en vacances avec leur famille, sans leur chien. C’est normal, et cela ne demande aucune justification. Mais pour eux, ce n’est toujours pas envisageable et on n’hésitera pas à les juger pour ça.
Parlons aussi des sports et clubs canins qui refusent systématiquement tous les chiens réactifs ou hyperactifs en séance individuelle. Mais dans le même temps, on culpabilisera les gardiens en écrivant de beaux articles qui affirment que les chiens réactifs ont un grand besoin d’activité de qualité avec leur humain. Pourtant dans les faits, la stigmatisation est réelle : « Je ne prends pas de chiens réactifs » ou alors le chien réactif sera logé à la même enseigne que les autres chiens.
Voilà pourquoi mes binômes sont régulièrement référés en Belgique chez Maud de Therapets et Nathalie, Une fille parmi les Louvettes, des éducatrices comportementalistes en capacité d’accueillir en théra-trailing (pistage) des chiens aux pathologies comportementales parfois lourdes. Le bien que cela fait aux chiens et à leurs humains est indescriptible en parallèle de leur rééducation. Ils ont besoin de respirer, de penser à autre chose dans un contexte étudié pour eux. Idem, pour l’ostéopathie. Avant de pouvoir orienter mes chiens vers Ostéopathe Animalier - Loreline Thooris (DE), nous en avons essuyé des refus de professionnel(le)s qui n'accueillent que des chiens sans pathologie comportementale.
Alors, le jour où des professionnel(le)s formé(e)s et vraiment expérimenté(e)s auront le courage de créer des pensions dotées d’infrastructures correctes ou des activités spécialement pensées pour les chiens réactifs, ils ou elles feront fortune et auront tout mon respect. Ici, je soulève non seulement un besoin réel, mais aussi, beaucoup trop d’hypocrisie. Pour reprendre le début de cet article, le chien réactif est créé par la société dans laquelle il doit vivre, et qui ne lui permet pas d’y trouver une place. Le chien réactif est un chien en situation de handicap. Cette inadaptation à la société nécessite qu’une prise en charge respectueuse soit pensée pour lui. Si même les professionnel(le)s du chien refusent d’organiser les conditions d’accueil de ce type de chien (de plus en plus nombreux), qui va le faire ?
« Vous savez, ma fille présente des troubles profonds de la sphère autistique, alors je suis habituée à cette stigmatisation qui nous fait nous sentir seuls. », me dit un jour une cliente.
Que c’est triste.
J’entends les réponses toutes faites déjà formulées : « Si nous commençons à accueillir les réactifs, tout le monde va se débarrasser régulièrement de son chien pour partir en vacances sans lui ».
Je ne suis pas d’accord.
Je réponds qu’il suffit de faire passer un entretien à la personne concernée et de s’assurer qu’elle est inscrite dans un parcours de rééducation suivie et sérieuse. Il est également possible de contacter le coach personnel qui supervise la rééducation pour obtenir des informations sur le binôme (son sérieux, sa progression, des conseils de prise en charge, etc.). Enfin, il est bien sûr tout à fait compréhensible de refuser d’accueillir un chien qui ne serait pas en rééducation, et dont la réactivité ne serait absolument pas encadrée. Personne n'est là pour rééduquer le chien réactif à la place de son humain. Mais il est impensable de poser un ultimatum : « Finissez de rééduquer votre chien, et revenez. »
Je sais bien que cet article fait l’effet d’un pavé dans la marre. Je n’y prends aucun plaisir, croyez-moi. Mais alors, pourquoi repousser des binômes qui travaillent en rééducation, et qui cherchent désespérément une solution de garde, un massage ou un sport canin ? Ou plus honnêtement, pourquoi étaler la liste des stages et formations en « rééducation » ou « agressivités », pour finalement réorienter les demandes de coaching individuel sur ceux qui pratiquent vraiment ?
« Spécialiste de la réactivité » ?
Cette formule en dit long... Comme s’il n’en existait qu’une seule… Il y a autant de réactivités que de chiens réactifs. Il n’est pas envisageable de les stigmatiser tous sous un même terme. Lorsque l’on pratique, on le sait.
J’invite tou(te)s les professionnel(le)s des sports canins et/ou de la pension, pet-sitting à domicile, etc. à se manifester en commentaire, s’ils sont en capacité de prévoir une ou plusieurs places qui soient réellement adaptée(s) au chien réactif ou hyperactif. Je précise évidemment que les milieux carcéraux et autres tortionnaires du chien peuvent garder le silence. Le chien réactif a besoin comme tous les autres chiens de beaucoup de calme et de douceur.
Audrey Ventura
Cynoconsult
Le livre « Le chien, cet animal qui nous échappe », d’Audrey Ventura est disponible ici : https://bit.ly/3t0W9ED