08/12/2023
Nous partageons aujourd'hui le témoignage poignant d'une lectrice sur les nombreuses difficultés des métiers du monde agricole qui, à ce jour, suscitent bien trop peu de reconnaissance de la part de la société :
« Ce Jeudi 3/11 après une journée de souffrance et d'inquiétude j'ai dû être hospitalisée à 5 mois de grossesse pour des contractions douloureuses, fort heureusement sans incidence sur la santé de mon bébé. Pour l'instant.
Il faut dire que ma vie n'est pas de tout repos : je suis gérante d'un centre équestre sur lequel je travaille seule pour assurer les cours, les travaux d'aménagement, les soins aux 37 chevaux et poulains présents, y compris le parage des sabots de mes propres chevaux. Je fais mon maximum pour leur offrir une qualité de vie saine et équilibrée, passer du temps avec mes élèves et leur famille et offrir des prestations de qualité pour tous et j'aime profondément mon métier.
Un choix de vie certes épanouissant mais extrêmement exigeant, physique, peu rémunérateur et pour lequel il faut lutter au quotidien (soins, réparations, imprévus, planification, gestion, budget, administrations, communication, fournisseurs et divers prestataires, solitude, fluctuation de la clientèle, gestion de l'inflation etc...)
Hier à l'hôpital, j'ai passé ma journée à jongler entre médecins, standard MSA et Service de Remplacement. Les médecins s'accordaient tous à dire que je devais lever le pied, rester au repos, faire très attention jusqu'au terme de ma grossesse pour ne pas mettre mon bébé en danger. Pour ça, ils m'ont fait un arrêt de travail pour grossesse pathologique de 14 jours renouvelable, à transmettre d'urgence à la MSA pour que je puisse mettre en place le plus vite possible un remplacement au club.
Réponse de la MSA : vous n'avez droit qu'à 14 jours d'arrêt pathologique pour lequel vous serez remplacée au club sur la totalité de votre grossesse. Après ce délais de 14 jours, vous devrez soit reprendre le travail, soit payer vous même le remplacement à hauteur de 20€/heure (déductible de 60% aux impôts).
Moi : 20€ de l'heure pour une moyenne de 7h par jour, 7 jours par semaine, je m'excuse mais je ne me paie pas moi même le quart de cela à la fin du mois ! Déductible aux impôts ça me fait une belle jambe, encore faudrait-il les avoir et pouvoir en faire l'avance jusqu'à restitution des 60%. Par ailleurs, je n'ai toujours pas acquis la faculté de manger des cailloux depuis mon installation donc si je résume la situation :
1) je reprends le travail et je prends le risque de perdre mon bébé
2) je gagne au loto pour payer mon remplacement
3) je mets la clé sous la porte pour préserver mon bébé, ma santé et mon équilibre financier
Vous me direz que j'aurai pu y penser avant, que c'est un choix et que personne ne m'a forcée. Honnêtement, je me suis renseignée pour mes droits et pour mon congé maternité mais je n'ai malheureusement pas pensé que ça puisse mal se passer aussi tôt dans ma grossesse. Par ailleurs, j'avais été mal informée par un agent MSA qui m'assurait d'être couverte en remplacement même si je devais être arrêtée bien avant la date prévue.
Je ne suis qu'une petite structure équestre, je ne me sens pas indispensable à l'agriculture comme peuvent l'être les éleveurs ou maraîchers qui nous nourrissent au quotidien. A ce titre je suis non seulement dégoûtée par la façon dont je suis considérée aujourd'hui dans ma situation personnelle, mais je le suis encore bien plus quand j’entends partout autour de moi des injustices concernant par exemple une éleveuse qui a travaillé toute sa vie, qui a toujours pris soin de déclarer ses revenus dans l'espoir d'une retraite décente à qui on dit le jour J "estimez vous heureuse de toucher 400€/mois, après tout vous l'avez bien choisi votre métier ? Personne ne vous a forcé à vous balader tous les jours avec vos brebis. Vous n'avez qu'à vendre votre ferme"
Ou même juste hier la jeune fille du Service de Remplacement qui me confiait tristement le cas d'un agriculteur rendu paraplégique suite à un accident sur son exploitation à qui la MSA n'accorde que ses 10 jours réglementaires de remplacement annuels pour congé maladie (mais loooool les gars !!!!). Ben oui, c'est la réglementation.
On ne parlera pas des endettés à vie, de ceux qui se foutent en l'air, de ceux qui mettent la clé sous la porte parce qu'ils perdent le travail de toute leur vie dans une inondation et ne se font pas rembourser et j'en passe.
Tout le monde dit : "ah mais la MSA on connaît bien, c'est pas la peine de compter sur eux" et personne ne fait rien pour que ça change. Aucun politicien n'en parle. Dès qu'un petit pas en avant est fait, il faut absolument s'en glorifier et s'en contenter ! On parle beaucoup du Qatar et de sa coupe du monde dégueulasse mais on n'est même pas capables d'offrir de la dignité à ceux qui se lèvent tous les matins, tous les jours de toute l'année pour vous offrir votre assiette sur la table. On sait que l'agriculture est dure, ingrate, qu'on y laisse tout son temps libre, sa santé, on y sacrifie des loisirs, des vacances en famille et j'en passe. A croire que le monde s'imagine que l'air de la campagne, les animaux de la basse cour et conduire un tracteur suffit au bonheur du bon paysan simpliste. Qu'ils vivent tous dans la "Sobriété Heureuse", les petits veinards !!! Heureusement qu'on a inventé Karine Le Marchand pour qu'ils puissent au moins ba**er un peu. Des fois.
Bon courage aux générations futures à qui je vais avoir bien du mal à encore servir de modèle parce que leur rêve c'est de travailler avec les chevaux et vivre de leur passion. Mais à quel prix ? »
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