26/01/2021
*** LE SENS DE L’HUMOUR EXISTE-T-IL CHEZ LE CHIEN ? ***
« Il est temps d’arrêter de courir après le propre de l’homme ». Cette phrase légèrement exaspérée de Frans De Waal fut prononcée par le primatologue à l’encontre de la communauté scientifique qui, aujourd’hui encore, semble suivre François Rabelais (situé au XVIème siècle) pour ne s’intéresser que très peu à des questions que l’on croirait réservées aux humains, telles que le rire, le sens de l’humour ou l’étendue des émotions et des concepts. Dans « Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux? », il précise que le sens politique, la culture, l’empathie et le sens de l’humour ne sont pas nos apanages. On ne peut pourtant que constater la rareté des études, expériences et recherches scientifiques sur ces sujets. Le postulat de départ étant l’unicité de l’être humain dans toute la création, on comprend que cet anthropocentrisme puisse ralentir considérablement les questionnements en général.
LE RIRE ET LE SENS DE L’HUMOUR CHEZ LES ANIMAUX
Le rire est un réflexe, conséquence soit d’une interaction physiologique (comme des chatouilles), d’une situation cocasse (comme la surprise) ou de la communication (le rire lui-même). Il suppose donc de pourvoir ressentir, d’avoir du recul par rapport à une situation étonnante ou comique, d’être capable d’empathie. On sait que les circuits neurologiques qui produisent le rire se trouvent dans les régions les plus anciennes du cerveau des mammifères. Ainsi, ces animaux pourraient parfaitement exprimer leur joie dans le rire. Ils ne peuvent toutefois pas le communiquer comme nous. L’ensemble des mammifères et des oiseaux sont des êtres sensibles et émotifs. Notre limite reste que « lire le rire animal » nous est difficile. En effet, leur squelette, leur morphologie ne leur permet pas de formaliser le rire de la même manière que nous. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe pas.
L’expérience des rats chatouillés de Jaak Panksepp et Jeffrey Burgdorf a montré que les rongeurs poussaient de touts-petits cris lors de caresses ventrales et que les petites bêtes venaient spontanément se présenter à la main qui chatouille. La manifestation de plaisir était claire pour les deux hommes. D’autres expériences ont été réalisées ensuite afin de prouver l’hypothèse que ces rats riaient de plaisir. Ils disposaient du choix entre un levier provoquant l'émission du son « rire de rat » et d’un levier émettant un son « cri de rat ». À chaque fois, les rats optaient pour le rire et émettaient les sons. Ces éléments n’ont pas suffi à convaincre la communauté scientifique restée convaincue qu’il ne s’agissait là que de la manifestation d’un bien-être et non d’un rire.
Plus probante selon moi, est l’expérience du zoo de Harlem racontée par Frans De Wall et l’éthologue Fleur Daugey. L’enclos des chimpanzés fut encerclé par des humains portant des masques de panthère. La réaction des primates fut très violente : cris, jets de pierre, attaques en direction des humains masqués. Les hommes ont alors retiré leur masque. Les singes se sont immédiatement calmés. Mais le plus intéressant resta la mimique faciale de l’une des vieilles femelles, Mama, expression que Frans de Waal appelle « le visage de rire » (et qui n’est pas facilement descriptible). Mama trouvait en fait la situation très drôle. En 2018, dans « Sciences et Avenir » fut également relatée une scène fascinante où un grand mâle chimpanzé fut attaqué par un tout-petit bébé. Le mâle adulte se mit alors à crier exagérément, à se sauver comme s’il était terrorisé par le petit. Sa mimique faciale était la même que celle de Mama. Il semblait s’amuser beaucoup de cette situation totalement décalée d’être agressé par un bébé de son propre clan.
Le sens de l’humour maintenant, fait intervenir l’esprit, l’intellect. Il suppose la capacité d’analyser une situation comique et de prendre du recul par rapport à elle. Le sens de l’humour prouve la bonne santé mentale. Lui et son degré de compréhension sont des preuves d’intelligence et de bien-être mais ils divergeront selon les cultures, les croyances (limitantes), le degré de développement personnel, l’état émotionnel, etc. Dès lors, si le sens de l’humour semble bien exister chez les primates, ils n’en seront pas tous capables ou pas au même degré. Mais ce constat nous concerne également. On se souvient que Desproges disait que l’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui… La question serait donc plutôt : « Cet animal ici présent est-il capable d’avoir le sens de l’humour ? ». Cela semble en effet dépendre de chaque individu.
Prenons l’exemple de Koko, illustre femelle gorille parlant la langue des signes et comprenant plus de 2000 mots d’anglais. Elle nous a malheureusement quittés en 2018. Elle s’est révélée capable de se jouer régulièrement de l’humain, de lui faire des blagues. C’est la célèbre histoire des lacets de son éducatrice que Koko a noués entre eux avant de lui demander de se lever et de courir.
ET NOS CHIENS ?
Darwin adorait les chiens. Il fut l’un des premiers à déconstruire le mythe du caractère unique de l’homme dans la Nature. Dans ses travaux, le chien est souvent le principal sujet d’étude et d’observation. Il fut précurseur dans l’acte d’affirmer que l’homme n’a pas le monopole de la joie, de la tristesse, de l’amour, de la haine, de l’altruisme, de la fidélité, de l’imagination, de la conceptualisation, de l’empathie, du sens de l’humour, etc. C’est en 1871 que Darwin écrit que « les chiens montrent ce qu’on peut sans peine appeler un sens de l’humour distinct du simple jeu ». Et c’est là que le sujet devient passionnant. Il est rejoint sur ce point par Vinciane Despret, psychologue et philosophe, enseignant l’éthologie à l’université de Liège, pour qui le sens de l’humour est absolument nécessaire au jeu. Elle se distingue sur ce point du spécialiste du canidé, l’éthologue Marc Bekoff, qui observe depuis une vingtaine d’années les coyotes, les chacals et les chiens. Il estime que le jeu social suppose un respect de l’autre, une connaissance des règles du jeu et un respect de ces règles, mais il ne va pas plus loin. Vinciane Despret, dans la logique de Darwin, insiste sur le fait que le jeu n’existe pas sans une « humeur de jeu » et cette humeur de jeu ne serait autre que « le sens de l’humour ».
Pour ma part, je pense (à ce jour) que certains chiens en sont capables, pas tous. Cela dépend de leur intelligence naturelle (génétique), du niveau de leur socialité, de leur bien-être mental, de leur personnalité, de leur éducation, de l’humain qui les accompagne, etc. Lorsque j’observe des chiens heureux et sociables jouer entre eux, je vois souvent des facéties, des taquineries, des mises en boîte… Je les regarde et j’ai vraiment l’impression parfois qu’ils sourient, qu’ils rient. Ils émettent un son difficilement descriptible qui ne semble être produit que dans les grandes phases de jeu. C’est une espèce d’halètement saccadé, gu**le grande ouverte face au chien complice, un son entre la toux et l’éternuement, souvent ponctué de petits sauts et de courses-poursuites. Certains chiens sont de véritables clowns qui peuvent potentiellement taper sur les nerfs de congénères bourrus, sérieux (ou se prenant au sérieux?). Mais surtout, quand il m’arrive d’observer ce comportement, je me demande « que ressens-tu en les regardant ? ». Je ris, cela m’amuse beaucoup. Et parfois certains chiens inviteront leurs humains à les rejoindre dans le jeu par des sollicitations, il est vrai, parfois maladroites. Quelque chose passe entre eux et nous. Et il se pourrait bien que ce « quelque chose » soit tout simplement l’humour.
Je ne fais pas de généralisation sur les races ou les espèces. Jamais. Pour dire que l’humour dépend des races ou des espèces, il faudrait réaliser une vaste étude sur des centaines d’individus dans chaque race, dans chaque espèce. Ce que je peux essayer de dire (avec précaution), c’est ce que j’observe. Et je constate que le sens de l’humour n’est pas une question de race ou d’espèce mais plutôt d’individu, de bien-être personnel, d’intelligence, de socialité, de culture. Je connais un Akita heureux et enjoué, que je trouve très drôle, adoptant souvent des comportements face à l’humain ou à ses congénères qui le rendent comique et parfois incompris. On dirait qu’il tente de nous séduire, de nous assouplir. Si on le touche, il fait des petits bonds, gu**le ouverte, en toussotant et en balançant la tête de gauche à droite. Il tourne autour de nous et essaie à son tour de nous pousser de son nez. Cela peut durer longtemps. Il y a une interaction facétieuse avec l’homme. Il nous embête pour rire. Ce chien semble se moquer de nous, nous taquiner. Tous les Akitas et tous les chiens en général ne le font pas. J’ai vu un jour un Jack Russel taquiner un chat en faisant de petits sauts autour de lui pendant que le chat, assis et imperturbable, l’observait avec beaucoup d’indifférence. L’un était stoïque et l’autre semblait vouloir jouer à tous prix. Le Jack semblait vouloir convaincre le chat de la légèreté de la situation en lui apportant sa b***e, arrière-train en buse, queue remuante, posture couché sur le dos devant le chat puis de nouveau, en buse. Toutes les postures et communications de jeu, de joie, d’humeur guillerette y sont passées. Rien n’a fonctionné. Ce pauvre Jack voulait jouer et son « humeur de jeu », son sens de l’humour semblait indestructible face à ce chat très sérieux. Ici, le clivage culturel est évidemment énorme. Les deux espèces n’ont pas les mêmes codes. C’est une grande limite à l’humour. Nous pouvons ainsi passer totalement à côté de farces ou de situations comiques logées dans une culture mais absente de la nôtre. Voilà pourquoi pour les humains, l’humour homme-chien demeure complexe en ce que les différences spécifiques peuvent se révéler très clivantes, surtout si l’humain se base sur des croyances limitantes (hiérarchie, nécessité de l’obéissance, refus (ou peur?) de la spontanéité, jugement permanent du chien, des autres, déni de l’animalité de l’homme, spécisme, etc.).
Ce qui est sûr c’est que le rire est communicatif et que l’humour qui se trouve à sa base se transmet bel et bien de manière intra et interspécifique. Ainsi, l’homme et le chien étant des mammifères sociaux, sensibles et empatiques, la thérapie par le rire a déjà fonctionné sur un chien très dépressif refusant de sortir, de jouer, de manger. La musique diffusée dans le foyer, les rires réguliers dans la maison, les danses, les jeux des humains entre eux, les embrassades, ont fini par réveiller le chien, lui redonner l’envie de rire. La joie s’est répandue certes, mais aussi la légèreté, le recul, l’envie de jouer et donc l’ »humeur de jeu » qui, pour pour Vinciane Despret, n’est autre que l’humour des animaux.
SOURCES
- « Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ? », Frans De Waal, Les liens qui libèrent, 2016.
- « La dernière étreinte : Le monde fabuleux des émotions animales... et ce qu'il révèle de nous », Frans De Waal, Les liens qui libèrent, 2018.
- « Darwin's Dogs: How Darwin's Pets Helped Form a World-Changing Theory of Evolution », Emma Townshend, Frances Lincoln, 2009.
- « La face cachée de Darwin, l’animalité de l’Homme », Pierre Jouventin, Libre et solidaire, 2014.
- « Le sens de l’humour chez les singes », entretien avec Frans De Waal, Sciences et avenir, 2018.
- À REGARDER : Quand un singe réagit à un tour de magie : https://www.youtube.com/watch?v=oVLtrOpWEXM
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Audrey VENTURA
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