29/03/2023
Ce texte est d'une telle vérité 🫶
J'ai eu des commentaires vraiment honteux (si si honteux, on a été irrespectueux sous prétexte que nous sommes derrière un écran) mais c'est grâce à ce genre de pro que je sais qu'on peut y arriver nous, "propriétaire" de chien réactif malgré les mauvaises langues qui nous juges.
En fait si on cherche bien, chez eux c'est l'inverse, c'est le propriétaire qui est réactif 🤣! Souhaitons bon courage au chien ! ❤️
[l'impact de la réactivité du chien sur l'humain accompagnateur]
Une fois n'est pas coutume, l'article du jour ne se focalisera pas sur le chien (bien que quelques explications sur la réactivité soient nécessaires pour bien comprendre le fond du sujet), mais sur l'humain qui partage sa vie avec lui.
Lorsqu'on crée un lien affectif fort avec son chien, son mal-être nous impacte nécessairement, tout comme les comportements qui en découlent. De toutes les manifestations comportementales induites par un mal-être, la réactivité est sans doute l'une des plus difficiles à vivre au quotidien pour l'humain qui s'implique auprès de son chien.
Histoire de remettre les choses dans leur contexte, zoomons sur ce qu'est la réactivité chez le chien : la réactivité est une réponse comportementale visible et souvent intense (aboiements, sauts, surexcitation, chien qui se jette en bout de laisse (ou, s'il n'est pas attaché, charge), poursuite, morsure dans les cas les plus sévères...) induite par une émotion forte et souvent négative (mais pas toujours!), en réponse à un stimulus d'intensité normale. En d'autres termes, le chien réagit d'une façon qui nous semble disproportionnée devant un évènement qui nous semble anodin. On parle alors de "déclenchement" : le chien "déclenche" sur un stimulus lorsque celui-ci induit chez lui une émotion d'une intensité si forte que toute capacité de réflexion et d'apprentissage est alors floutée. Le chien est en zone rouge, la seule alternative reste l'action frontale.
La réactivité peut être dirigée vers les autres chiens, de façon généralisée ou contextuelle (le chien réagit à tous les chiens et dans toutes les situations, ou seulement à certains types de chiens, dans certaines configurations d'environnement, seulement en laisse...), vers l'humain, vers d'autres animaux, vers les véhicules...
Nous reviendrons dans un autre article sur la problématique de la réactivité chez le chien en lui-même, mais aujourd'hui, nous parlons humain. Alors, quelles conséquences directes et indirectes la réactivité de nos chiens peut-elle avoir sur nous au quotidien ? (Attention, ces constats sont des observations de terrain, et non des vérités absolues. Tous les humains accompagnateurs de chiens réactifs ne vivent pas ces moments de la même façon et peuvent ne pas se sentir concernés par les observations suivantes)
💥Incompréhension et dégradation de la relation : bien souvent, la première fois qu'un chien réagit, nous nous trouvons désemparés et saisis, parce que nous n'avons rien vu venir. Au fil du temps, l'incompréhension s'installe et nous devenons de plus en plus méfiants, la confiance que nous accordions à notre chien s'étiole et la relation se dégrade. Certaines personnes éprouvent de la rancoeur à l'égard de leur chien, en particulier lorsque les déclenchements sont potentiellement dangereux pour autrui. Les libertés du chien se voient souvent restreintes, par crainte que de nouveaux incidents ne se produisent, et le cercle vicieux se met en place : moins les besoins du chien sont comblés, plus la tension monte, plus la confiance s'étiole et plus la relation se dégrade. Les balades deviennent source de stress, et des moments supposés renforcer la complicité se transforment en véritables purgatoires. Parfois, les balades se réduisent (en temps et en fréquence), car l'intensité des déclenchements est si difficile à gérer que chaque sortie devient un enfer, pour l'humain comme pour le chien. La diminution de ces moments de complicité humain-chien impacte alors inévitablement la relation, qui peut alors se distendre progressivement.
💥Mise à mal des relations sociales, isolement : chaque humain accompagnateur d'un chien réactif l'a un jour ou l'autre senti peser sur lui : le regard des autres. Dans une société où nous attendons d'un chien qu'il soit calme, silencieux, sociable en toutes circonstances, les déclenchements parfois bruyants et impressionnants de nos réactifs sont mal vus, et les regards et paroles tranchantes sont monnaie courante. Les humains de chiens réactifs sont (beaucoup trop) souvent jugés et réduits au comportement du chien à l'instant T; nous devenons le "maître du chien agressif", et les jugements à l'emporte-pièce y vont bon train : éducation trop laxiste, chien dominant, maître incompétent... sont des à priori tenaces et encore bien ancrés dans l'imaginaire collectif, provoquant un sentiment d'isolement social important lors des sorties, en particulier dans les zones rurales et semi-rurales, où l'on rencontre souvent les mêmes chiens et les mêmes humains.
Outre l'isolement ressenti vis-à-vis des personnes croisées lors des balades, le sentiment de solitude grandissante peut également se manifester au sein même de l'entourage familial et amical de l'humain d'un chien réactif. L'incompréhension est souvent grande devant les réactions intenses du chien, et les mêmes clichés et conseils délétères se répètent souvent : le chien devrait être davantage cadré, puni, il tente de prendre le contrôle et de dominer son maître... Les émotions du chien (et de l'humain) sont souvent mises de côté, ignorées, créant et creusant un fossé entre la personne et son entourage (en particulier lorsque la volonté d'accompagner son chien dans le respect de ses émotions et capacités est fortement ancrée, et que l'entourage familial et/ou amical n'adhère pas à ces convictions).
Ce clivage entre la personne et son entourage peut même s'infiltrer jusque dans le couple, tant la tension crée par la situation et l'incompréhension - des comportements du chien mais également des réponses respectives de chaque conjoint - peuvent peser dans la vie quotidienne.
💥Impact négatif sur l'estime de soi, mal-être : la réactivité de nos chiens peut, à terme, fortement peser sur notre confiance en nous-même, en nos capacités et nos compétences, et engendrer un véritable mal-être, qui peut alors rayonner jusque dans des sphères très larges de nos vies. Le sentiment de culpabilité est fréquent et tenace (culpabilité de ne pouvoir aider notre chien à mieux vivre et gérer ces émotions si intenses qui le mettent à mal, culpabilité de le garder davantage en laisse, culpabilité lors de potentielles mises en danger ou mise en inconfort d'autrui induites par ses déclenchements...).
Les jugements et conseils non sollicités de l'entourage, bien souvent diamétralement opposés à nos convictions, ne font que nourrir et aggraver ce sentiment de culpabilité et la dévalorisation que vivent nombre d'humains de chiens réactifs. Bien qu'intimement convaincus (et à juste titre!) que la coercition ne fera qu'amplifier le mal-être de nos chiens et donc leurs potentielles réactions, le décalage entre nos convictions et les interventions de l'entourage peuvent créer une réelle dissonance, très difficile à gérer et supporter au quotidien.
💥Stress chronique, hypervigilance : dans leurs témoignages, beaucoup d'humains accompagnateurs de chiens réactifs relatent avoir le sentiment d'être sur le qui-vive en permanence à l'extérieur, et ce, même en l'absence de leur chien. L'habitude de "faire la girouette", de scanner en permanence l'environnement afin de détecter les potentiels déclencheurs crée une hypervigilance et une tension qui peine à s'évacuer de notre organisme (au même titre que le cortisol (hormone du stress) s'évacue très lentement du corps de nos chiens après un gros déclenchement). Je ne m'étalerai pas en détail ici sur les conséquences du stress chronique chez tous les êtres vivants, je laisse cela aux scientifiques ayant profondément étudié le sujet. Mais mon expérience de terrain (tant auprès des chiens que des humains, dans mon activité antérieure) me permet d'avancer sans grand risque de me tromper que le stress chronique et l'anxiété engendrés par la gestion constante de l'environnement sont particulièrement délétères pour les personnes qui les vivent.
Si ce tableau semble bien noir, j'ai également pu constater (tant par moi-même, au gré de mon parcours avec mon propre chien qu'au fil de mes échanges avec d'autres humains accompagnateurs), que la cohabitation avec un chien réactif pouvait également avoir des conséquences étonnamment positives :
🍀 Apprentissage plus poussé du langage canin, meilleure lecture de son chien : vivre aux côtés d'un chien réactif nous pousse souvent à nous dépasser, à remettre en question nos connaissances, à questionner nos acquis. Nous devenons de plus fins observateurs, apprenons à écouter nos chiens et à anticiper les déclenchements potentiels. Nous devenons de meilleurs accompagnateurs, et, au fil du temps, de meilleurs guides, y compris dans les sphères plus larges que celles concernées par la réactivité. Nous apprenons à connaître et reconnaître les émotions de nos chiens, à les considérer et les respecter. Et, au passage, nous pouvons également apprendre à connaître, reconnaître et respecter nos propres émotions...
🍀Renforcement du lien humain/chien : paradoxalement (la première partie de l'article évoquant une potentielle dégradation de la relation), celle-ci peut également se renforcer dans l'avancée commune vers un mieux-être du chien réactif. L'écoute, le respect et l'empathie que nous appliquons auprès de nos réactifs, peuvent les conforter dans l'idée que leur humain d'attachement est rassurant, fiable et respectueux. Nous pouvons devenir leur phare dans la tempête, la main bienveillante qui les guide en sécurité lorsque la mer s'agite.
🍀 Naissance de vocations : si nous faisions un petit sondage, je serais très curieuse de connaître le nombre de (bons) professionnels du comportement canin qui sont ou ont été, dans leur parcours, les humains d'attachement d'un ou plusieurs chiens réactifs. Le dépassement de nos limites, la nécessité de pousser toujours plus nos connaissances, pour améliorer le bien-être de nos chiens et le nôtre, me semble devenir bien souvent le terreau d'une passion qui se mue peu à peu en vocation. La volonté de mettre nos connaissances, non seulement au service des chiens qui vivent ces moments difficiles, mais également de donner à leurs humains les clés nécessaires à l'amélioration de leurs conditions de vie, est un carburant inépuisable dans notre pratique professionnelle.
Et ce sont tous ces éléments, qui, dans la grande aventure qu'est le quotidien auprès d'un chien réactif, nous font tenir bon. Ça, et l'amour inconditionnel.
Juliette Sastre
Yes We Dog - Education & Comportement canin