01/04/2024
"UNE SEULE VIOLENCE"
La semaine dernière (mardi 20/03), j’ai suivi une formation organisée par NousToutes et AMAH (Association contre la maltraitance animale et humaine) au sujet du « Lien entre maltraitance animale et humaine ».
Parce que là où un animal est maltraité, il y a risque qu’un.e humain.e le soit aussi, et inversement.
Le texte qui suit est ainsi un mélange entre constat et réflexion personnelle.
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Concernant le contenu de la formation proposée (1h30), pour poser le contexte : rappel sur les définitions des violences sexistes et sexuelles (+chiffres clés), ce qu’est la maltraitance animale, le Lien entre les violences animales et humaines, ce que dit la loi, les leviers d’actions et des ressources complémentaires.
Ce temps de formation aura eu cet effet étrange de me ramener à mon ancienne profession de CPE (conseillère principale d’éducation) tout en me confrontant à mon domaine d’activité actuel, en comportement canin.
Lorsque j’étais CPE, je travaillais en collège REP+, dans une ville où 45% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où les difficultés socio-économiques sont donc importantes. Ma pratique quotidienne était marquée par la gestion des violences scolaires, des violences de rue à la sortie des cours et des violences intra-familiales, en lien avec les professionnels ressources (ASE, IDE, Psy-En, forces de l’ordre, établissements spécialisés...).
Pour pouvoir accompagner les élèves dans ce quotidien, j’ai cherché à comprendre les mécanismes en jeu, les liens entre le milieu socio-économique et le rapport à l’École / rapport au travail / rapport à la violence, etc.
J’ai travaillé sur l’Histoire de la Réunion, sur la langue créole et sa place dans les institutions (oui, c’est lié), sur la place de l’École à la Réunion... Et bien sûr, j’ai travaillé sur les élèves à besoins éducatifs particuliers et parmis eux : les élèves allophones et les élèves en grande difficulté sociale et familiale.
Et il se trouve que cette formation de NousToutes x AMAH m’a permis de faire de nouveaux liens entre la thématique abordée et certains des faits d’actualité de ces dernières semaines à la Réunion et j’ai souhaité vous les exposer, ou du moins, exposer ma réflexion, au travers de ces stories.
Les faits en question :
* Des signalements pour actes de maltraitance sur des animaux commis par des MINEURS
* Des actes de violence et de délinquance commis par des MINEURS et/ou JEUNES ADULTES.
Le premier point commun entre ces deux phénomènes ? Leur localisation. Ces faits sont principalement recensés dans les mêmes localités / les mêmes villes.
Le deuxième point important ? La classe socio-professionnelle majoritaire dans ces secteurs : classe socio-professionnelle défavorisée à très défavorisée.
Or, de nombreuses études ont déjà montré que, dans les milieux modestes / défavorisés / très défavorisés, les violences (intra-familiales, à l’école, hors l’école) tendent à être plus présentes, tant en termes de fréquence qu’en termes d’intensité. N’oublions pas non plus que la Réunion est marquée par :
- un taux de pauvreté avoisinant les 36% (contre 14% en France Métropolitaine, données de 2020, INSEE),
- un taux d’illettrisme de 23% (données de 2011, la prochaine étude donnera les nouveaux résultats courant 2014 mais l’illettrisme et l’analphabétisme restent une priorité dans la axes politques de la Région Réunion)
- un taux de chômage de 20% en moyenne pour 2023.
Tous ces éléments sont à relier entre eux pour avoir une vision globale des faits et des actions à mettre en oeuvre pour lutter contre la Violence (au singulier, avec un grand V pour englober tous les types de violences).
A cela, ajoutons les informations fournies par l’AMAH, sur leur site, concernant la situation des enfants quand on parle du Lien entre les violences animales et humaines (je cite) :
« Dans la synthèse internationale établie par Monsalve, en 2017, cette prévalence des violences faites aux animaux par les enfants est de 8,8 à 30%. Toujours dans cette étude à partir d’études réalisées dans différents pays, la prévalence des violences faites aux animaux est de 25 à 68,7%.
29 à 61,5% des enfants sont témoins des violences faites aux animaux, 3 à 44% y participent. La prévalence d’avoir vu ou fait des violences aux animaux au cours de l’enfance est plus importante dans les foyers violents (11 à 37,5%) que dans les foyers non violents (1 à 11,8%). La prévalence des violences faites aux animaux au sein des foyers violents est rarement disponible, même si le taux de co-occurrence avec les violences familiales est de 25 à 86%.
(...)
En résumé, il est établi qu’il existe :
- Un lien entre l’exposition à des violences lors de l’enfance, commises notamment sur les animaux, et/ou les violences subies, et la présence de comportements violents à l’âge adulte ;
- Un lien entre les violences conjugales et les violences ou menaces de violence contre l’animal de compagnie.
- Chez les adolescents, des liens entre les violences faites aux animaux et les comportements violents (vandalisme) ou ceux exercés envers d’autres adolescents. »
(Fin de citation)
Et même si je ne l’ai pas dit plus tôt, il y a fort à parier que les jeunes concernés dans les faits cités en préambule sont eux-mêmes confrontés (voire victimes) à la Violence dans leur sphère familiale, amicale, scolaire.
Pour ce qui est des violences envers les humains, dans le milieu familial, notamment, des dispositifs et des actions de sensibilisation / prévention / accompagnement existent.
Mais quand on s’attarde sur les chiffres pour la Réunion, quand on voit à quel point les services de l’ASE sont débordés, que les structures pour femmes et enfants victimes de violences sont peu nombreuses voire pas adaptées, on peut sérieusement se poser la question de leur efficacité et des objectifs visés derrière.
A ce sujet, le dossier de Presse « Bilan de la sécurité à la Réunion » pour l’année 2023, est édifiant et surtout effrayant.
Concernant les violences envers les animaux, des choses aussi sont faites. Sans les citer toutes, je pense tout particulièrement à APEBA qui intervient en milieu scolaire pour de la sensibilisation et de la prévention sur la cause animale.
Mais que devient toute cette transmission lorsque la porte de l’école est franchie ? Car une fois rentré chez lui, l’enfant / l’ado se retrouve face au discours / aux actes / à la vérité de son.ses parent.s, qui, dans ces milieux, vaudront toujours plus que le discours de l’École ou des politiques publiques.
Parce que le problème de fond est que les parents ne sont pas mis dans la boucle. Le projet n’est pas co-construit avec eux.
Je le sais d’autant plus que c’était un des aspects de mon quotidien de CPE : créer / renouer / pérenniser le dialogue avec les familles, pour accompagner au mieux leurs enfants / les élèves.
Et là où le bât blesse, c’est que les violences envers les animaux et les violences envers les humains sont prises comme deux problématiques isolées et traitées de manières indépendantes.
Si on va encore plus loin, on peut également soulever le fait que dans toutes les politiques de lutte contre la Violence, un paramètre semble être oublié : l’origine interne de cette violence.
Nous avons, à la Réunion, un passé traumatique qui se transmet encore au fil des générations : nous avons une Histoire commune construite sur la violence de l’esclavage, de l’expropriation, de l’immigration forcée. Et encore aujourd’hui, nous voyons cette immigration forcée avec les arrivées / départs de personnes en provenances de Mayotte, des Comores et de Madagascar, notamment.
La violence de l’Histoire se retrouve dans les rapports sociaux, dans les modèles éducatifs, dans les situations de violence intra-familiale, puis, intrinsèquement dans les situations de violence envers les animaux.
Attention, cependant : je ne déresponsabilise pas ces jeunes de leurs actes, au prétexte de tout ce que j’ai évoqué plus haut. Mais il me parait important de comprendre comment on en arrive à ce niveau de violence à un si jeune âge (pour certains, dans les violences envers les animaux recensées par APEBA).
Les derniers actes de violences recensés dans l’Est de l’île sont l’oeuvre de jeunes. Mais quand on creuse un peu, quand on prend, par exemple, la crise des gilets jaune et ce qu’elle a engendré de situations de conflits sur l’île, on se rend compte qu’il y a une violence (et une colère) sourde, latente, bel et bien présente, déjà chez nos aînés et qui se transmet aux jeunes, de manière directe et/ou indirecte.
Au JT, j’ai entendu pour la première fois, une professionnelle, consultante en pratiques éducatives, dire :
« Les adultes sont responsables de la situation actuelle parce qu’un enfant / un adolescent est l’exact reflet de ce qu’on lui donne à voir, des valeurs qu’on lui transmet, du cadre qu’on lui pose. Et qu’est-ce qu’on leur montre au quotidien, dans les familles, à l’école ? Dans les interactions, les adultes jouent à celui qui a tord et celui qui a raison, celui qui est le plus fort. Comment est-ce qu’il (l’enfant / l’ado) pourrait faire autrement ? »
Ces mots sont tellement forts, tellement justes.
C’est donc un réel changement de paradigme qui devrait s’opérer : endiguer les violences commises par les jeunes sur d’autres humains ET sur les animaux doit donc aussi et surtout passer par un travail d’accompagnement de l’adulte, en tenant compte de tous les aspects cités depuis le début. Et c’est sur une véritable analyse systémique que doivent reposer les politiques de lutte contre la Violence.
Car finalement, il en va de l’avenir de ces jeunes et donc de notre avenir ; il en va de la sécurité de ces jeunes et donc de notre sécurité à tous. Animaux et humains.
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Ressources / informations / numéros utiles :
Pour les signalements de maltraitance, APEBA a un formulaire dédié, accessible directement depuis la bio de leur page Facebook : https://www.facebook.com/associationapeba
Sinon, appeler directement les services de Police / de Gendarmerie.
Enfance en danger : 119
Femmes victimes de violences : 3919
Maltraitance des personnes âgées et adultes handicapés : 3977
Urgences : 17
Urgences sourds et malentendants : 114
Pour NousToutes : https://www.noustoutes.org/
Pour AMAH : https://www.amah-asso.org/
Et pour terminer, l'ORViFF (Observatoire Réunionnais des Violences Faites aux Femmes) : https://www.orviff.re/fr/1/accueil.html